lundi 26 avril 2010

Simples Secrets

Produit par Robert De Niro en 1996 et dirigé par Jerry Zacks, un inconnu issu de Broadway dont c’est là l’unique réalisation au cinéma, Marvin’s Room est l’adaptation d’une célèbre pièce de théâtre de Scott McPherson. Adapté par l’auteur juste avant sa mort en 1992, le film réunit une distribution qui claque : Meryl Streep, Diane Keaton, Leonardo DiCaprio et Robert De Niro qui, dans un rôle discret et plutôt inhabituel, résume à lui seul le ton général du film : à la fois émouvant, dramatique même, mais aussi souvent drôle, Marvin’s Room est une œuvre touchante qui, sous ses allures de mélo larmoyant, cache une véritable émotion plus discrète et généreuse. Est-il besoin de préciser que le titre français est parfaitement ridicule ?

Deux sœurs s’ignorent depuis 20 ans : la première est coiffeuse et galère avec ses deux enfants dont l’aîné souffre de troubles comportementaux ; la seconde a passé sa vie au chevet de son père invalide et sa tante un tantinet gâteuse. À la suite d’un grave problème de santé, toute la famille est contrainte à des retrouvailles forcées et houleuses. Bien sûr, sur le papier tout ceci peut sembler too much dans le registre de la boîte à mouchoirs. Avec la bonne vieille ficelle de l’épreuve qui rapproche les membres d’une famille et son parfum de rédemption, on s’attend à une avalanche d’étreintes et de nez qui coulent, passages presque obligés du mélo US. Pourtant le film évite la plupart des pièges du genre et surprend souvent.

Le fait que le scénario soit écrit par un auteur mourant écarte d’emblée toute suspicion de produit cyniquement conçu comme un tire larmes. Tout est ici abordé avec une simplicité et une pudeur qui forcent le respect. À ce titre, les échanges entre le médecin (De Niro) et la patiente (Diane Keaton) sont d’une touchante justesse et esquivent les excès de pathos par des éléments de comédie qui affleurent sans jamais s’imposer. Tout le film est d’ailleurs fort bien écrit : fluidité des dialogues qui font mouche, parfait équilibre entre les différentes tonalités qui permettent de passer d’une émotion à une autre en quelques instants, presque par surprise. Le regard tendre jeté sur les personnages, même les plus borderlines, n'est pas sans évoquer l'univers de Tennessee Williams, le désespoir en moins.

Bien sûr, c’est aussi brillamment interprété. Le duo Streep/Keaton, tout en complémentarité, illumine l’écran. En contre point, un DiCaprio intense laisse merveilleusement passer la vulnérabilité du personnage de Hank sous ses aspects agressifs et auto destructeurs. Tous les seconds rôles sont également excellents : Gwen Verdon incarne une émouvante Tante Ruth complètement à l’ouest, affublée d’un improbable système anti-douleurs électronique qui déclenche aussi la porte du garage ; Margo Martindale est une psy impeccable et même le petit Hal Scardino, sans presque aucun dialogue, est épatant en témoin lunaire. Et puis le tandem De Niro/Dan Hedaya, frères à l’écran, nous offre un savoureux moment de comédie. Quant au rôle titre - pour le moins ingrat -, il est tenu par Hume Cronyn dont c'est la dernière prestation sur grand écran.

Évidemment, l’exercice montre aussi ses limites : hésitant entre mélodrame assumé et une délicatesse se refusant aux excès, Marvin’Room peut décevoir des deux côtés. L’accumulation de "tuiles" peut faire parfois un peu déborder la coupe tandis que l’inévitable évocation du passé conflictuel manque sans doute un peu de densité. Qu’importe, car à l’image de sa conclusion abrupte qui nous laisse imaginer la suite sans rien en dire, le film de Jerry Zacks ne prétend pas être un chef d’œuvre ni donner une spectaculaire leçon de vie. Il s’attache à décrire au plus juste un moment de l’existence de personnages complexes et vulnérables, maladroits souvent, face à l’inéluctable : la mort des siens.

mardi 20 avril 2010

Le Choc des Titans

Il est des exploits qui frisent l’intervention divine et la chose magique. Foirer à ce point un remake de ce genre, il fallait de la ténacité et de l’ambition : Louis Leterrier l’a fait. Cet homme n’a peur de rien, on le savait depuis son redoutable Hulk. Mais il démontre aujourd’hui qu’il ne s’agissait pas d’un accident de parcours lié à un personnage ingrat. Non, Louis Leterrier tient le cap afin de rejoindre Michael Bay au panthéon des plus mauvais réalisateurs de blockbusters et au-delà. Et il y parvient avec une aisance remarquable.

Pourtant l’affaire s’annonçait bien moins risquée que l’adaptation du géant vert : il s’agissait de redonner du tonus et un coup de lustre à un Choc des Titans de 1981 charmant et réussi mais déjà passablement vieillot à l’époque. Film d’aventure construit tout entier autour d'effets spéciaux - comme toutes les productions du tandem Schneer/Harryhausen depuis 1955 -, Le Choc des Titans touille plusieurs mythes docilement mis en images par Desmond Davis, yesman de l’époque qui se borne à filmer les intermèdes entre chaque morceau de bravoure d’un Ray Harryhausen en fin de carrière. C'est léger, simple, bon enfant. Bref, on est assez loin de Citizen Kane.

Nulle révérence excessive donc, ni hurlement au sacrilège de ma part pour oser profaner un "classique" : tout en étant très attaché à l’original, l’annonce de ce remake m’enthousiasmait. Le projet annonçait en effet le retour de l’aventure mythologique tout en s’attaquant à l’un de ses meilleurs représentants dont la remise au goût du jour était prometteuse, pour ne pas dire "facile". Mieux : les dieux semblent même se pencher un temps sur le projet puisque c’est Lawrence Kasdan qui était chargé du premier scénario tandis que les producteurs clamaient leur admiration du Gladiator de Ridley Scott. Ma foi, on a vu pires augures.

Et puis soudain, tout bascule comme disent les journalistes. Exit Lawrence Kasdan, arrivée de Louis Leterrier. L’enthousiasme en prend un coup mais je croise les doigts. Après tout, on l’a vu, l’original était aussi un film de producteurs. L’irruption d’une bande-annonce tonique en diable me rend même confiant. Il y a bien ce Zeus chevelu et illuminé façon disco qui inquiète un peu mais le laser enfumé derrière un Laurence Olivier épuisé n’échappait pas non plus au kitch dès 1981.

Las, la découverte du film lui-même se situe au-delà d’une simple déception. Durant 2 heures, Letterier collectionne méthodiquement les bourdes. Là où l’histoire originale est fluide et limpide, tout est ici bancal et inutilement confus. En prétendant ajouter des éléments, le film ne fait que se perdre toujours un peu plus dans les méandres de motivations fumeuses. Motivations dont il faut en permanence expliquer les tenants à coup d’introduction récitée et de péripéties racontées à postériori. Plus grave : en éliminant la scène d’ouverture de l’original, il sacrifie un élément spectaculaire décisif qui du même coup prive le spectateur d'un aperçu de la menace censée planer ensuite durant tout le film. D'un point de vue narratif c'est du suicide. Le déroulement de la quête est du même niveau, accumulant les épreuves de façon désordonnée dans un fatras de scènes disparates s’entrechoquant sans aucune unité si ce n’est celle d’être très mal filmées et photographiées.

Côté comédiens, c’est un jeu de massacre. Qu’ils soient inconnus, confirmés ou prestigieux, tous se vautrent à chaque instant, démontrant, comme c’était déjà le cas dans Hulk, que le problème se situe bien derrière la caméra. Sam Worthington, déjà falot dans Avatar et Terminator Salvation, sublime encore son jeu limité et son absence totale de charisme. Mais soyons honnêtes, son prédécesseur ne brillait guère par sa présence et son talent, sa sélection étant due surtout à son statut d’amant d’Ursula Andress retenue alors pour incarner la déesse Aphrodite.
Liam Neeson, déjà rompu à l’exercice depuis La Menace Fantôme, limite les dégâts et en fait le moins possible. Malheureusement Ralph Fiennes n’a pas cette chance : son rôle d’Hadès étant plus "consistant" que celui de Zeus, l’occasion lui est donnée de se ridiculiser à plusieurs reprises. Affublé d’un maquillage de train fantôme, d’une posture hasardeuse, d’une voix enrouée et de dialogues insipides, on a la tentation de détourner le regard, submergé par l’embarras. Tous les autres seconds rôles sont transparents, inadaptés ou en font des caisses, maniant un humour à mi-chemin entre Taxi et Transformers. C'est dire si on rit.

Le festival de mauvais goût qui tient lieux de choix esthétiques n'arrange rien. Mais est-ce bien surprenant de la part d’un réalisateur se réclamant des Chevaliers du Zodiaque ? Outre l'Olympe plutôt moche, c'est une succession de postiches miteux et de maquillages à la truelle qui rappellent les inénarrables téléfilms italiens type La Caverne de la Rose d'Or. Une mention pour les Djinns, subtils mélanges d’Hommes-des-Sables et de Transformers en bois affublés d’yeux lumineux. S'ajoute à cela un Calibos aux allures de mutant radioactif échappé de La Colline à des Yeux tandis que la Méduse en toc semble extraite de l’affreux Beowulf 3D de Zemeckis. Reste le Kraken qui s’en tire plutôt bien, il est bien le seul. Scènes d’action illisibles, cadrages je m'en foutistes, décors artificiels et effets spéciaux ternes complètent le tableau.

On a trop souvent tendance à sous estimer la difficulté de réaliser convenablement un film de ce type, en pensant à tort que n’importe qui fait l’affaire, que ce n’est qu’une question d’argent, d’effets spéciaux. À la vision de cette purge, on se rend compte combien l’entreprise est hasardeuse, en équilibre entre d'innombrables choix artistiques pouvant, à chaque instant, faire sombrer le film tout entier. Et contrairement aux idées reçues, ces choix sont souvent ceux du réalisateur en titre. En archétype du cinéaste indigent incapable même de copier son modèle, Leterrier nous offre là un bêtisier du gros film, et plus largement une sorte "d'anti leçon" de cinéma. Car loin du simple remake raté ou de la superproduction impersonnelle, Le Choc des Titans 2010 est avant tout un film effroyable, à la fois horriblement mal écrit et dirigé, sans aucun atout, même pas celui d’être involontairement drôle. A fuir.

mardi 13 avril 2010

L'Imaginarium du Docteur Parnassus

Allez hop, reprise du blog après quelques semaines d’absence pour cause d’activités musicales soutenues. Pour ce come-back printanier, pas question de faire dans la demi-mesure : on attaque avec l’Imaginarium du bon docteur Gilliam dont la prodigieuse bande-annonce présageait un retour plus flamboyant, poétique et visionnaire que jamais. Seulement voilà, le présage tourne rapidement au mauvais sort.

Mal écrit et brouillon, ce Parnassus se limite à un clone poussif des fringantes Aventures du Baron de Munchaüsen réalisées par le même Terry Gilliam en 1988. Brassant platement des thèmes identiques jusqu’à une caricature vite ennuyeuse, le cinéaste mâchouille ses propres gimmicks de fond et de forme tels de vieux chewing-gums éventés. Ce n’est plus un style, c’est du radotage. Il faut reconnaître que l’auteur avait annoncé le film comme une synthèse de ses travaux antérieurs. Mouais.

Créateur multitâche et cinéaste culte, Gilliam vit depuis toujours sur l'idée que ses échecs s’expliquent par la trahison de vilains producteurs ou par la faute à pas de chance. Le réalisateur maudit de l’Homme qui a tué Don Quichotte se traîne en effet une scoumoune carabinée côté coulisses. Son Imaginarium n’échappe pas à la malédiction puisque ce n’est rien de moins que l’un des acteurs principaux, Heath Ledger, qui meurt en plein tournage. Mais expliquer les errances du scénario par ce drame serait trop simple : le caractère fantasmagorique du film s’accommode très bien du passage de trois comédiens pour un même rôle. Non, c’est bien d’un manque d’idées fraîches dont il s’agit. Un comble pour un auteur iconoclaste dont l’un des thèmes essentiels est l’inlassable promotion d’un imaginaire débridé face à la monotonie du quotidien.

Reste une foisonnante direction artistique adaptant intelligemment les possibilités techniques actuelles à l’imagerie personnelle du réalisateur. Mais, comme le scénario, ce feu d’artifice ronronne et jamais ne touche. Malgré l’abattage d’une pléiade de comédiens irréprochables, il flotte comme une froideur, un parfum de commande : une coquille joliment peinte mais vidée de sa substance. Terry Gilliam ressemblerait-il aujourd'hui à son vieux Baron de Munchaüsen momentanément desséché et las de raconter de nouvelles histoires ?