Dans la série "dites-moi John, quelle nouvelle série héroico-régressive à prétention littéraire pourrait-on produire à grands frais pour Noel prochain ?" voici donc l'adaptation de La Boussole d’Or, premier volet de la énième "fameuse-trilogie-vendue-à-X-millions-d'exemplaires" ici signée Philip Pullman. Je fais d'ailleurs partie des millions en question. Bien moins réussi que Harry Potter et le surprenant Stardust, mais un bon cran au-dessus des redoutables Narnia et Eragon, ce premier opus se situe en milieu de gamme de cette fantasy à la mode qui déferle depuis quelques années sur les écrans. Mais elle n’évite pas bien des défauts du genre, tant sur le plan littéraire que cinématographique.
Adapté de manière scolaire par le réalisateur Chris Weitz (qui ?), le scénario est très fidèle au roman. Ce qui n’est pas très étonnant lorsque l’on sait que Philip Pullman supervisa en grande partie la production. Malheureusement cette fidélité de principe tourne au handicap et n’évite pas le problème des adaptations copieuses où l’on souhaite tout mettre, tout dire, tout expliquer au prix d’un grand carambolage d’images et de concepts d’autant moins clairs qu’ils ne le sont pas toujours non plus dans le livre. C'est peut-être d’ailleurs là l'une des raisons majeures de son échec commercial aux Etats-Unis, même si le film fit une très belle carrière internationale. Pourtant cette Croisée des Mondes peut se prévaloir de bien des qualités qui font cruellement défaut à certains de ses navrants concurrents à succès.
On y retrouve cet univers original et foisonnant qui s’écarte enfin de la sempiternelle imagerie moyenâgeuse pour flirter notamment avec le steampunk, ces Daemons qui sont les doubles animaux de chaque individu, le spectaculaire peuple des ours qui donnera lieu à la scène la plus intense du film et bien sûr un propos qui se situe plutôt du côté de la subversion vis-à-vis d’un ordre religieux qui entend gouverner sans partage sur les esprits. Mais c’est là aussi une autre critique de fond que l’on peut faire au film : par manque de courage ou soucis de conformisme, le despotique et obscurantiste Magistérium n’est ici jamais nommé "Eglise". D’ailleurs presque toutes les notions religieuses sont éludées alors qu’il s’agissait là de la partie la plus audacieuse (la seule ?) de l’œuvre de Pullman. A quoi bon se targuer de fidélité à l’auteur si l’on transige finalement sur son idée maîtresse.
Certes, la très belle direction artistique tente de palier cette vague auto-censure à coup de "costumes-qui-évoquent" et de décors tournant autour du pot, mais le compte n’y est pas tout à fait. Il subsiste heureusement quelques bribes d’un discours inhabituel dans ce genre de littérature jeunesse souvent bien conservatrice voire tristement réactionnaire. Ici s’affrontent donc en filigrane la connaissance et la croyance, le libre-arbitre et la soumission à l’ordre millénaire. Mais comme dans l’œuvre originale, toute cette bonne volonté est nuancée par les poncifs habituels : des personnages principaux forcement aristocrates, les autres se réduisant peu ou prou à des serviteurs transis de respect, ou bien cette manière effrayante de glorifier l’esprit guerrier sous le cache-sexe de l’honneur. Il est au passage parfaitement navrant que notre époque propose encore à la jeunesse de se former l’esprit sur de tels de principes rétrogrades au nom d’une supposée tradition narrative.
Au sommet d’une distribution de luxe culmine Nicole Kidman dont Pullman dit qu’il en rêvait dès l’écriture du roman. Vu que le personnage original est une ténébreuse brune aux yeux noirs, on n’est pas obligé de le croire, mais peu importe car l’actrice incarne fort bien cette Grande Méchante séduisante et onctueuse à souhait. Si Ian McKellen est bien présent par la voix de l’ours Ionik Byrnison, l'excellente Kathy Bates doit se contenter de trois phrases prononcées par un lapin, tandis que l’on n’apercevra Christopher Lee qu’assis à une table face à un Derek Jacobi à peine plus présent. Quant à Kristin Scott Thomas, je la cherche encore.
La gamine figurant la jeune héroïne Lyra s’en tire honorablement. Il faut reconnaître aux auteurs une saine volonté d’éviter l’adorable-poupée-blonde-aux-yeux-bleus que l’on pouvait redouter, en choisissant une Dakota Blue Richards au physique assez inhabituel (jusqu’à ces drôles de petites dents marron gasp). Évidemment le personnage lui-même n’échappe pas à l'invraisemblance de ce type de littérature où le gamin de service se doit d’être à la fois un messie, un stratège digne de Jules César et un combattant de première classe, le tout à l’âge de 11 ans.
Mais ne boudons pas notre plaisir car malgré ses faiblesses le film reste un très joli spectacle richement décoré et sans aucun temps mort, soutenu par une puissante musique d’Alexandre Desplat qui donne à une intrigue honorable le souffle de la grande aventure. Il est d’ailleurs regrettable que son échec commercial relatif rende peu probable le développement ultérieur de certaines idées à peine esquissées mais qui promettaient de donner une maturité salutaire à un genre qui en a tellement besoin.
dimanche 23 novembre 2008
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