dimanche 27 décembre 2009

Avatar

C'est bien connu, ce qui est rare est précieux. Avec 7 films en 25 ans (Steven Spielberg en affiche 18 sur la même période), James Cameron est devenu au fil du temps une sorte de Stanley Kubrick pop, de Cecil B. DeMille techno dont chaque réalisation constitue désormais un événement.
Artisan autodidacte et perfectionniste, dispendieux comme personne et un peu long à la détente, le cinéaste se fait pourtant connaître sur des bases plus modestes : avec son premier Terminator ou même Aliens, une suite aussi inattendue qu'efficace au film de Ridley Scott, il surprend par sa faculté à livrer des œuvres musclées, spectaculaires mais bien moins coûteuses qu'elles en ont l'air. Issu du monde des effets spéciaux et de la très pingre écurie de Roger Corman, James Cameron connaît bien l'envers du décor et n'a pas son pareil pour afficher 3 dollars à l'écran là où un seul est dépensé.

Mais à partir d'Abyss, tout bascule : le budget devient un gouffre sans fond, le tournage une épopée et le film lui-même un événement par ses nombreuses performances techniques et artistiques. Contrepoint à sa réputation de redneck un peu trop porté sur les armes et la chose militaire, Abyss prend même la forme d'un immense message pacifiste. Malgré un succès mitigé, le film est une réussite qui constitue à ce jour son film le plus fort, le plus original et sans aucun doute le plus personnel.

Pour se refaire une santé financière, Cameron revient ensuite à son robot porte-bonheur et livre un Terminator 2 surproduit, consensuel et (déjà) vaguement aseptisé. Le statut de super star de Schwarzenegger - qui pense déjà sans doute à sa future carrière politique - s’accommode désormais mal du personnage d’androïde assassin qui se transforme cette fois en gentil protecteur d’enfant, dénaturant considérablement le thème originel d’un premier opus dépressif en diable. Mais grâce à son efficacité punchy et surtout des effets spéciaux numériques révolutionnaires, ce T2 remporte la mise et hisse à nouveau son créateur au sommet du box office.

Passons sur True Lies - Claude Zidi adapté par James Cameron, on se pince - pour arriver à Titanic, film de tous les records : budget, recettes, tournage, décors, effets spéciaux, tout y est kolossal, jusqu'au métrage lui-même qui atteint 3h15. Une exception cependant : le scénario. Manichéenne et convenue, centrée sur un triangle amoureux à l'eau de rose, l'aventure humaine qui accompagne la catastrophe n'est, sur le papier, guère passionnante. Pourtant la magie opère grâce au talent d’un couple de comédiens désormais mythique, à l'hyperréalisme terrifiant de la reconstitution et finalement au souffle romanesque qui emporte le spectateur presque malgré lui. C'est avec la même recette que James Cameron fait son retour aujourd'hui. Mais Avatar pousse cette fois à l'extrême le grand écart entre la forme et le fond.

Inutile de s'étendre sur la forme, tout a été déjà dit par la promo, la critique et vos amis. Oui, Avatar est visuellement prodigieux, oui le relief est saisissant, oui le film marque son époque par le bond qualitatif dans l'utilisation du numérique, par sa troublante homogénéité entre réalité et virtuel. Somptueux livre d'images flamboyantes, vertigineuses parfois, Avatar est une éclatante lanterne magique qui vous colle au fauteuil. Seulement voilà, toute cette magie, ce travail de visionnaire exigeant illustre une histoire d'une impardonnable paresse. Chaque phrase ou péripétie, le plus minuscule rebondissement a déjà été ruminé mille fois pour former au final un épuisant florilège de poncifs lénifiants. Du coup, sur 2h40 de film, l'émerveillement se teinte peu à peu d'indifférence, voire d'irritation pour finalement flirter avec l'ennui.

D'autant que cette fois, rien ni personne ne vient relever cette soupe passablement rance : pas de comédiens talentueux ou charismatiques ni de situations dramatiques fortes, aucun climax ni suspens, aucune astuce de scénario, bref : zéro surprise. Même le final renonce à exploiter les maigres idées semées ici ou là : l'évocation d'une planète presque consciente, connectée en un réseau chimique pouvait présager une conclusion dantesque, symbolique, tel un Miyazaki survitaminé. Mais nous n'avons droit qu'à une simple bataille entre ptérodactyles pandorins et vaisseaux tout droits sortis d'Aliens. Comme le reste, c'est bien fait, mais d'une immense pauvreté compte tenu de l'ambition du projet.

Et puis usé jusqu'à la corde ce redoutable catalogue de clichés exotiques pour occidental "tout confort" qui, entre 2 pétitions Facebook et une livraison de sushis à domicile, se rêve en pagne dans un Eden fantasmé façon parc d'attractions. Ah le bon peuple où l'on est chef de naissance, où l'on choisit sa femme comme un bibelot, où les accouplements sont prévus dès l'enfance, où une Vérité sort de la bouche de la première cartomancienne venue, où les Anciens (surtout les morts) ont toujours raison, où l'on tue mais en se donnant des airs de Grand Sage. Ah l'aimable tribu qui a tout compris à la vie, mais qui a quand même besoin qu'un bon vieux Marines bas du front les prennent par la main quand il s'agit de passer aux "choses sérieuses". Bons Sauvages. Pour un peu, ils avaient le rythme dans le sang dites donc...

Pesante cette leçon de vie où le héros mitouille devant des lianes fluo, en communion avec une nature gaïesque, forcement maternelle, envoyant des messages chaussés de plomb à propos "des Hommes qui ont tué la Terre". Méchants humains. Tous. Tandis que les Na'vis eux, se contentent d'affirmer qu'il s'agit de leur planète, qu'elle leur appartient haha. D'ailleurs elle est chouette cette supposée "connexion" avec les autres créatures qui est en réalité un lavage de cerveau réduisant les animaux à des esclaves dont on s'approprie carrément le système nerveux. Big Brother peut aller se rhabiller.

Bref, sous ses allures naïves et infantiles, l'intrigue trouve le moyen de véhiculer une bonne flopée d'idées douteuses et contradictoires dont il faut reconnaître qu’elles sont synchros avec l'idéologie dominante du moment. Ceci expliquant sans doute la complaisance de la critique bien pensante, célébrant poésie et pertinence là où elle moque impitoyablement la légèreté d'un Star Wars, le conservatisme d'un Lion King ou traque le plus fantomatique message crypto national-socialiste d'un 2012.

D'ailleurs si, comme le dit Cameron, Avatar parle de la Terre, de nous, si le film est censé faire "réfléchir sur notre rapport à la nature", pourquoi transposer l'histoire sur une planète lointaine ? Pourquoi cet anthropomorphisme prétentieux qui va piller l'Afrique, la vraie, celle qui souffre ici et maintenant des mêmes exactions dénoncées dans le film, pour n'en faire qu'un folklore de pacotille, condescendant et propret digne des années 30 ? Faut-il donc aujourd'hui repeindre en bleu des comédiens Noirs et leur coller des oreilles de lapin pour les rendre acceptables et nous émouvoir, des fois qu'ils ressemblent un peu trop à nos voisins humains ?

Bien sûr tout cela serait sans doute moins irritant, moins décevant, si James Cameron ne se posait pas en directeur de conscience mystique ni ne tambourinait que des années furent nécessaires pour mener à bien le film et son scénario.

Finalement, à l'opposé d'un Spielberg qui achète sa liberté en alternant commandes et œuvres personnelles, James Cameron semble devenir inexorablement soluble dans le Hollywood le plus stérile. Après le succès sans précédents de Titanic, on pouvait imaginer que l'auteur ambitieux et efficace d'Abyss mette à profit cette liberté pas seulement dans le choix des décors ou la qualité du relief. Cameron se contente ici d'un long et somptueux film sans âme, articulé sur des lieux communs à la fois simplistes et opportunistes, radotés à l’infini tel un vieil ordinateur à scénarios de chez Disney, l'humour et la bonne humeur en moins.

lundi 14 décembre 2009

Le Dernier Vendredi 13 de la St Valentin sur la Gauche

Les slashers c'est comme les fraises ou la grippe, ça revient par vagues. Environ une par décennie, le temps qu'une nouvelle génération de teenagers arrive sur le marché du pop-corn et de la capote. Sous-genre ultra codifié jonglant allègrement avec les hormones, l’ultra-violence, les croquemitaines et les grands ciseaux qui coupent tout ce qui dépasse, son étude, rien que sous l’angle psychanalytique, nous mènerait en moins de deux à une somme de 1000 pages. Rassurez-vous : un historique aussi bref que subjectif et nous parlerons des trois remakes emblématiques du genre sortis sur les écrans en 2009 : La Dernière Maison sur la Gauche, Meurtres à la St Valentin et Vendredi 13.

Des premières déferlantes des années 70 et 80 émergent deux œuvres maîtresses : Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper (1974) et dans une moindre mesure Maniac de William Lustig (1980). Deux films percutants, à la personnalité forte mais qui semblent pourtant relever du coup de bol tant la carrière ultérieure des deux réalisateurs est calamiteuse. J'y reviendrai avec des chroniques dédiées.
Il convient d’ajouter Halloween de John Carpenter (1978) qui, à défaut d’être passionnant, peut se targuer, comme le Hooper, d’être un véritable film de cinéma face à une cohorte de métrages souvent minables, écrits sur un coin de table et initiés par des producteurs au rabais qui n’en finissent plus de dupliquer la recette à peu de frais (Vendredi 13, The prowler, Happy Birthday, Sleepaway Camp, Carnage...).

Après une longue pause, le slasher fait un premier come back en 1996 via Scream de Wes Craven qui se limite déjà à singer la vague précédente tout en prétendant lui rendre hommage : vieille ficelle du cinéaste à bout de souffle qui se planque derrière le clin d’œil au spectateur. Mais le succès est là, sifflant le coup d’envoi d'une nouvelle escadrille de tueurs parmi lesquels remakes et suites sont déjà bien présents (Halloween 20 Après, Souviens- toi l'Ete Dernier, Urban Legend...). Mieux produite que les originaux mais stupidement aseptisée côté gore - un peu comme si on virait les chevaux d'un western quoi – cette nouvelle génération s’essoufflera plus vite que les précédentes. Tant mieux.

Le retour d’un gore nettement plus démonstratif durant les années 2000 est l’occasion pour Hollywood de s’engouffrer à nouveau dans la brèche. Mais désormais les producteurs renoncent à rechercher une quelconque originalité pour un genre aussi limité et se bornent à puiser dans le patrimoine en refilmant méthodiquement deux décennies de "classiques". La démarche ne présente que des avantages : reformater de vieilles recettes rentables destinées aux nouveaux spectateurs tout en flattant la nostalgie des anciens. Et ça marche : le slasher fait cette année un retour triomphant au box office.

À tout saigneur (haha) tout honneur, commençons par l'increvable tueur de Vendredi 13, Jason himself, héros d’une bonne dizaine de longs métrages. Produit par Michael Bay et réalisé par Marcus Nispel qui avaient déjà commis ensemble un remake aseptisé de Massacre à la Tronçonneuse, ce "reboot" se révèle être une redoutable mascarade qui parvient presque à surpasser la nullité les films originaux. Car si la version indigente de 1980 s'endormait sur une intrigue cachectique filmée à la torche, cette nouvelle resucée y ajoute des sommets de bêtise et de vulgarité, nous rappelant ainsi à chaque instant que c’est bien Michael Bay qui mène le bal. Malgré la tentative de compiler plusieurs films de la série pour densifier - en vain - l'intrigue, ce nouveau Vendredi 13 foire à peu près tous ses effets, qu'ils soient spéciaux ou non. Prodigieusement ennuyeux et débile, mal construit, jamais spectaculaire, le film parvient même à rendre Jason inexistant. Chapeau les mecs.

Meurtres à la St Valentin est déjà nettement plus intéressant. Prenant un tantinet le contre-pied en utilisant le cadre pas très yuppie d'une sombre bourgade minière en perdition, le film de Patrick Lussier fonctionne plutôt bien. Malgré la présence de pimpantes vedettes de la télévision pour cibler le public ado, My Bloody Valentine tente de minimiser les tartes à la crème libidineuses où Ken et Barbie se tripotent entre 2 coups de hache. Ici la météo grisouille et le chômage sévit, on a le cheveux gras et le moral en berne. L'intrigue se permet même un sympathique whodunit préservant jusqu'au bout le mystère de l'identité du tueur. Même si c'est au prix de quelques acrobaties du scénario, la sauce, plus consistante que d'ordinaire, prend plutôt bien. D’autant que le gimmick du relief donne à l'ensemble un joyeux goût de fête foraine et de train fantôme.

La Dernière Maison sur la Gauche version 2009 est incontestablement le plus aboutis d’un point de vue formel. C'est aussi le plus crapoteux sur le fond. Pas tant par ce que l'on y voit, mais bien par ce qu'il révèle de ses auteurs.
Là où les autres slashers s'en tiennent à des divertissements effrayants qui flirtent avec l'attraction de foire, cette Maison sur la Gauche n’est pas sans rappeler l'esprit des sous-produits à asticots, ces films de cannibales où il s'agit de produire le plus beau tas de merde racoleur tout en jurant, la main sur le coeur, qu'il s'agit d'un propos d'auteur qui "interroge" le spectateur.
En jouant ainsi le double jeu de la violence à velléité sociologique et du voyeurisme égrillard qui ne s'assume pas, le film se révèle d’une insupportable tartufferie. L’éprouvante scène de viol qui domine le film pourrait éventuellement "interroger" si toutefois les auteurs ne s’attachaient pas auparavant à filmer complaisamment et en détail les effeuillages de la toute jeune actrice. Du coup, on peut légitimement se demander quels sont leurs véritables motifs. Ou pas.
Bref, tout ça finit par produire un sentiment désagréable qui n’a rien à voir avec la qualité d’un scénario ou d’une mise en scène. Et les "bons vieux" messages moisis d’autodéfense ou de victimes payant par la torture la désobéissance à leurs parents ne font qu’alourdir davantage cette production à la fois déplaisante et sans intérêt, où des agresseurs bidons trimballent leurs tronches de soap opera sur un scénario qui ne surprend jamais.

Comme on le voit, le ripolinage en cours ne donne pas pour l’instant de résultats bien convaincants ni ne révèle de nouveaux cinéastes comme ce fut le cas pour le film de zombies/contaminés. Malgré des budgets confortables, les slashers revisités finissent par s’embourber inexorablement dans les mêmes ornières qu’autrefois, comme prisonniers d’une boucle sans fin qui les ramène au point de départ. Tout au moins outre-atlantique. Car en Europe Eden Lake ou même notre Haute Tension national étaient parvenus à donner quelques couleurs à un genre sévèrement sclérosé. En attendant la prochaine vague, le prochain coup de bol ?