vendredi 23 octobre 2009

Prédictions

Alex Proyas fut un cinéaste prometteur. En 1994, il manque de peu la Palme d’Or du Court-Métrage à Cannes puis se fait remarquer pour son second film : The Crow. Bien qu’inégale, cette adaptation d’un comic à succès devient aussitôt culte pour tout un public dark tout en convainquant les fans de la BD, ce qui n’est pas rien.

Mais c’est quatre ans plus tard avec son remarquable Dark City que le réalisateur australien acquiert sa réputation de cinéaste visionnaire débarrassé de son passé clinquant de clippeur/pubard. Intrigue inquiétante et parano, univers poétique proche d’un Terry Gilliam et final vertigineux font de Dark City une splendide réussite qui laisse présager le meilleur pour l’avenir.

Et puis avec I, Robot, c’est la douche froide : énorme production produite par et pour la star Will Smith, le film malmène l’univers d’Isaac Asimov à coup de sponsors, bourre-pifs et cavalcades 3D. Quelques moments touchants affleurent ici ou là mais le tout sombre inexorablement dans l’action-movie de série, humour lourdingue compris.

Mais l’on pardonne à Proyas pour qui c’est le premier blockbuster. Bien d’autres avant lui se virent phagocytés par l’ogre hollywoodien friand de produits formatés. Reniant le film, le cinéaste fait retraite pendant cinq ans pour revenir avec ce Knowing dont il est cette fois le producteur. On allait voir ce qu’on allait voir, d’autant que le scénario bénéficiait d’une réputation flatteuse. Malheureusement, Proyas en liberté se révèle un cinéaste maladroit et emphatique, faisant preuve d’un goût douteux et d’une idéologie redoutable.

Côté prédictions, il faut reconnaître que la présence au générique de Nicolas Cage n’était pas bon signe tant l’acteur semble choisir les nanars avec une constance impressionnante. Déjà peu convaincant en aventurier du scénario perdu (Benjamin Gates 1 & 2) ou en super-héros pyrotechnique (Ghost Rider), il torpille d’entrée ce rôle de père-de-famille-ordinaire-prof-d'astronomie tout en fausses dents et lifting plastifié. Guère aidé par un scénario alambiqué qui présentait pourtant un fort potentiel dans le registre de l'aventure mystérieuse façon X-files, Cage n’évite pas toujours le comique involontaire. Le film non plus.

Car à force de collectionner les coups de pied au cul du hasard et les indices bidons pour faire avancer l’histoire, Proyas finit par saborder ses bonnes idées. Mêlant voyance, film catastrophe, menace cosmique et drame personnel, le tout dans un climat résolument sombre où humour et romance sont exclus, Prédictions et sa fin radicale avait les moyens d’offrir une très belle surprise à tout amateur de fantastique et de SF.
Mais comme emporté dans une surenchère scénaristique intenable et pollué par un message mystique aussi déplaisant que grotesque, Prédictions passe de l’aimable série B de luxe à un larmoyant salmigondis de bondieuseries du 3eme type.

Du coup, le réalisateur n’en finit pas de clore son film en accumulant les scènes d’apothéose toutes plus foireuses et artificielles les unes que les autres. Tout a déjà été vu mille fois et en mieux dans cette fin à rallonge où se succèdent de paresseux emprunts à Rencontres du 3eme Type, Independence Day voire aux Elohims chers à Raël. Tout ça sur fond de reconquête de la foi par le héros, fils de pasteur. Gasp. On éclaterait de rire à tant de mauvais goût et de bêtise si le tout ne laissait un vilain arrière-goût d’élitisme sectaire.

Alex Proyas fut un cinéaste prometteur. C’était il y a longtemps.

lundi 12 octobre 2009

Without a Clue

Parmi la pléthore d’œuvres s'inspirant plus ou moins librement du mythe de Sherlock Holmes, Without a Clue occupe une place à part en réussissant l’exploit de rire du personnage sans verser jamais dans la parodie. Reconnu même par les holmesiens les plus susceptibles comme un véritable hommage à l'oeuvre de Sir Arthur Conan Doyle, le film parvient en effet à offrir une authentique aventure dans le plus pur esprit de l’auteur tout en commettant l’outrage suprême : faire du célébrissime détective un imposteur !

La folle idée de Thom Eberhardt et de ses scénaristes propulse en effet le Dr Watson au rang de seul génie du duo. Un duo qui n’existe même pas puisque c’est le bon docteur qui imagine le personnage de Holmes pour les récits qu’il publie régulièrement dans les pages du Strand Magazine. Mais rattrapé par le succès, Watson se voit contraint de donner chair au célèbre détective. Pris de court, il recrute un acteur raté, passablement obtus et prêt à tout pour une bonne bière. Ulcéré par l’attitude désinvolte et irresponsable du comédien auquel il souffle toutes ses prodigieuses déductions sans en retirer le moindre prestige, Watson finit par s’en débarrasser. Du moins le croit-il. Car face à l’hostilité du Strand qui ne veut pas d’un simple "Crime Doctor" enquêtant seul et surtout la nécessité de traiter une affaire d’Etat qui exige la présence exclusive de Holmes, le docteur se résigne, la mort dans l’âme, à reconstituer une dernière fois le couple de détectives…

Dès la première scène, le ton est donné : on passe en un instant du mythe dans toute sa splendeur à l’hilarant envers du décor où un Watson irascible et frustré terrorise un faux Holmes complètement largué. Outre un scénario truffé d’idées tordantes, le tandem d’acteur qui incarne le duo mythique est pour beaucoup dans la réussite du film. C’est un épatant Ben Kingsley à contre emploi comme l’on dit, qui interprète ce docteur Watson tonique, intelligent mais aussi un peu caractériel, tandis que Michael Caine compose un "Holmes" d’anthologie : acteur minable, alcoolique, couard, coureur de jupons et incapable de la déduction la plus élémentaire. Toute la distribution est d’ailleurs remarquable, de Jeffrey Jones en Lestrade bidonnant à Paul Freeman en Moriarty méphistophélique.

Avec ce sens de la rupture et du rythme essentiel dans le registre de la comédie, Thom Eberhardt utilise au mieux le talent de sa petite troupe et en premier lieu la complémentarité des deux formidables comédiens. Mais à l’image de l’astucieuse idée originale, il n’oublie jamais d’inscrire l'humour voire le burlesque dans l’intrigue même du film, sans user de ficelles paresseuses telles que les anachronismes ou clins d’œil au spectateur. Fan respectueux de l’univers holmésien, le cinéaste se permet même de coller au plus près de la vie de l’auteur : le désir de Watson de se débarrasser de Holmes fait écho à celui de Conan Doyle qui, par lassitude, fit mourir son héros avant de le ressusciter presque malgré lui, sous la pression du public et des éditeurs.

Ajoutez à cela la réjouissante musique signée Henry Mancini, la jolie frimousse de Lysette Anthony et la tronche de Nigel Davenport tout droit sortie de l’Angleterre victorienne et vous obtenez un cocktail détonnant et unique, une réussite totale rappelant les meilleures heures de la comédie made in Britain, du temps où la Ealing alignait les classiques tels que Tueurs de Dames et Noblesse Oblige. Jubilatoire.

dimanche 4 octobre 2009

Phénomènes

Depuis son excellent 6eme Sens, M. Night Shyamalan a su définir une identité forte et originale dans l’univers très codifiée du cinéma fantastique américain. Grâce à des ambiances angoissantes, dépressives, un climat intimiste et adulte peu friand d’effets spectaculaires ou d’action hystérique, le cinéaste poursuit son exploration des grands thèmes du genre. Après les fantômes, les super-héros et les extra-terrestres, voici venu le temps du film catastrophe. Mais cette fois la formule peine à trouver ses marques.

Comme souvent avec M. Night Shyamalan, le film s’appuie sur une idée simple, un grain de sable qui grippe la mécanique bien huilée du quotidien. Il s’agit ici d’une vague de suicides qui se répand en quelques heures telle une maladie contagieuse, d’abord à New York puis dans tout l’Etat. Avec le talent qu’on lui connaît, le réalisateur parvient sans peine à donner à cet événement improbable toute la crédibilité et la densité nécessaire. A l'image de l'ouvrier anéanti par l'effroyable spectacle de ses collègues tombant comme des mouches, un malaise inhabituel s’empare du spectateur. Car Phénomènes décrit une catastrophe meurtrière où personne n’est agressé, poursuivi ou menacé d'un danger quelconque, réduisant ainsi les témoins à une impuissance horrifiée face ces innombrables suicidés sans motifs.
Du moins durant la première partie du film. Car en suivant le parcours d'un petit groupe de citadins fuyant le cauchemar, l’auteur s’embourbe dans des explications capillotractées qui nuisent à ce malaise initial en créant à tout prix un agresseur identifiable. Et quel agresseur !

::Spoiler on::

S'inscrivant dans l’air (haha) du temps, l’auteur nous assène une théorie scientifico-new age évidemment culpabilisante où les plantes se parlent et se défendent en diffusant une neurotoxine qui, grâce au vent, pousse les vilains humains pollueurs au suicide, en particulier lorsqu'ils se regroupent. Défense de rire.
Et M. Night Shyamalan ne se borne pas à balancer son idée discrètement entre deux répliques : il s’appesantit gravement, y revenant sans cesse jusqu’à l’épuisement. Du coup, ce qui pouvait passer pour une faiblesse d’écriture se révèle une assommante et ridicule leçon de morale. Morale qui, ajoutée à celle plus traditionnelle de la célébration de la famille et de la procréation vaguement rédemptrice, devient franchement indigeste. C’est d’autant plus regrettable que lorsqu'il oublie ses thèses fumeuses, le cinéaste parvient à créer ces ambiances sombres et pesantes dont il a le secret, ponctuées de bons moments de suspens et d’épouvante. L’exode du petit groupe principal ou la rencontre avec la vieille femme solitaire en sont les meilleurs exemples.

Phénomènes fut un projet bien difficile à concrétiser pour un cinéaste en perte de vitesse qui dut revoir maintes fois sa copie pour convaincre les producteurs. Ceci expliquant peut-être les déséquilibres d’un film qui hésite entre plusieurs identités, plusieurs styles tant côté écriture que réalisation. Une sensation renforcée par une juxtaposition de scènes pas toujours fluide, des personnages mal définis et pas très bien interprétés. Mais le script originel s’intitulant The Green Project et les éléments horrifiques ayant été voulus par la production, on peut se demander si l’on n’a pas échappé au pire.

Alors, inquiétant thriller fantastique sur fond de fable écolo ou purge moralisante de la part d’un cinéaste à bout de souffle ? Les 2 mon capitaine ! Heureusement le film est court et son rythme soutenu permet malgré tout de ne jamais s'ennuyer.