dimanche 31 mai 2009

Eden Lake

Le cinéma de genre d'outre-Manche se porte bien, merci. Voilà un nouvel exemple qui démontre qu'avec peu de moyens, peu d'expérience – et peu d'idées, soyons justes – mais avec un talent certain, il est possible d'obtenir un film d'une redoutable efficacité. De ce côté-ci du Channel, on en peut qu’envier cette capacité à exploiter au mieux un décor familier sans tomber dans le banal et ennuyeux téléfilm singeant maladroitement la production US.

L'exploit m'avait déjà épaté avec Isolation, minuscule film irlandais qui exploitait de manière sidérante le cadre d'une ferme ordinaire, toute en bottes caoutchouc, averses et fosse à purin. The Thing chez la Veuve Couderc, oui c'est possible : avec 2 sous et un étonnant sens du cadre et de l'ambiance poisseuse, Billy O'Brien emportait le morceau haut la main dès ce premier film à l'intrigue pourtant convenue.

Avec Eden Lake, James Watkins signe lui aussi sa première réalisation - mais son troisième scénario horrifique - en illustrant le thème du Survival. En cette période où il en sort presque un par semaine, il fallait oser. D'autant que, là non plus, pas question d'aller chercher de spectaculaires mutants hydrocéphales au fin fond d’une exotique Vallée de la Mort ou ressusciter un improbable maniaque zombie affublé d’un masque. Non : rien que de la bonne vieille forêt ordinaire et des agresseurs qui pourraient être les gamins du coin.

Certes, sur la trame du jeune couple citadin fringant et sexy confronté à de jeunes autochtones vindicatifs - qui n'est pas sans rappeler notre honorable Ils national - James Watkins égrène tous les rebondissements auxquels on peut s’attendre et n'évite pas les clichés. Mais en connaisseur, il sait aussi surprendre en décalant d'un poil les conventions mille fois vues. Beaucoup d’événements arrivent plus tôt ou plus tard, des espoirs semés s’avèrent des impasses, le tout déstabilisant suffisamment le spectateur pour qu'il soit bien vite captivé par un suspens inattendu. Captivé et épouvanté aussi, tant les passages horrifiques sont effroyables même s’ils révèlent, comme toujours, de... "stupéfiantes" capacités physiques de la part des victimes.

Mais au premier rang des surprises, figure bien sûr l’identité des agresseurs. De ce choix découle la singularité de ce Eden Lake. Car ils sont si ordinaires que le film s’amuse même un temps à jeter le trouble : sont-ils les futurs bourreaux ou bien est-ce un leurre ? Contrairement à l’essentiel de la production de Survivals qui aborde rarement le point de vue de l’agresseur pour n’en faire qu’une puissante et aveugle machine à tuer, Watkins s’attache à décrire le cheminement qui conduit à l’escalade vers l’horreur : les prémices, l’élément déclencheur, mais aussi le doute chez ces tortionnaires en culottes courtes quand il s’agira de passer à l’acte. Doute que l’on retrouve même du côté des victimes qui ne savent plus toujours déterminer avec certitude quand elles sont ou non en état de légitime défense face à ces enfants sauvages dotés de téléphones portables et vélos BMX.
Le réalisateur trouve là son idée maîtresse, mais aussi la source d’un certain malaise quant à son interprétation. Certains y verront une préoccupation sociologique pointant la désintégration sociale des laissé-pour-compte de l’Angleterre néolibérale, ou bien au contraire une redoutable démagogie réactionnaire dénonçant le caractère dégénéré de "beaufs" avinés et violents potentiellement meurtriers de père en fils. Difficile de trancher en vérité tant le réalisateur brouille le message. Les victimes sont trop parfaites à tous égards pour ne pas représenter des modèles, mais les agresseurs ne sont pas non plus des miséreux entassés dans des cités délabrées. L’inattendu et épouvantable final souligne encore davantage cette ambiguïté que Watkins semble vouloir délibérément laisser à l’appréciation du spectateur.

Quoiqu’il en soit, un premier film en forme de Survival percutant, remarquablement réalisé et interprété où l’on finit par se poser des questions : voilà qui n’est pas banal.

lundi 25 mai 2009

Star Trek

11eme film de la saga spatiale la plus longue de l’histoire du cinéma et de la télévision, Star Trek ne se voit pas cette fois affublé d’un sous-titre à base de "frontière", "résurrection", "génération" ou autre éternel retour. Non, car ici on remet les compteurs à zéro pour coller un bon coup de jeune à l’univers imaginé par Gene Roddenberry en 1966. Vous me direz qu’il était temps. Il est vrai qu' à l’image de ses acteurs, la franchise cinéma n’en finissait pas de s’essouffler. Les méchantes langues diront même qu’elle était déjà à bout de souffle dès le premier film. De fait, la plupart des films sont assez poussifs, certains sont même navrants. Mais le space opera étant un genre bien rare au cinéma, la série avait su peu à peu me séduire, presque par dépit et malgré ses innombrables faiblesses. J’attendais donc ce ripolinage avec une curiosité certaine. Allait-on avoir droit enfin à un véritable film de cinéma et non plus seulement à une paresseuse et bavarde transposition des codes télévisuels sur grand écran ?

Dès le spectaculaire et percutant prologue magnifiquement enluminé par ILM et digne d'un Star Wars le ton est donné : exit les acteurs boudinés mollement accrochés à la console pour figurer un vaisseau dans la tourmente. En maîtrisant un sens du rythme jubilatoire qui révolutionne une série qui carburait jusqu'alors au ralenti, le film trouve là son meilleur atout. Non pas en rendant le montage vainement hystérique mais bien grâce à l'équilibre, sur plus de deux heures, entre l'aventure spectaculaire et les scènes dites "psychologiques", l'humour bon enfant et le mélo. Jonglant astucieusement avec les références trekkies sans nuire au spectateur novice, le film de J.J. Abrams sait même s'amuser du thème sans jamais tomber dans la parodie - le running gag du médecin et son injecteur en est sans doute le meilleur exemple.

Soutenu par une petite troupe de jeunes comédiens fort bien choisis que dominent largement les nouveaux Kirk, Spock et Tchekov, le film sait éviter les excès du jeunisme trendy que je redoutais tant : bien que parfaitement inutiles, les inévitables tracas sentimentaux sont abordés à la bonne mesure, les brushings restent discrets et, hors d’une très courte intro, pas trace de gamin ciblé vers le plus jeune public. Résumons : tout ce qui a trait à l'univers trekkien revisité, ses nouveaux personnages, leurs péripéties vertigineuses ou minuscules, est épatant.

Seulement voilà, trop concentrés sur cette délicate succession, les auteurs ont négligé l'intrigue de fond : J.J. Abrams rate le coche du scénario palpitant pour ne livrer qu'une confuse histoire de vengeance temporelle qui peine à créer une menace quelconque. Il échoue même à imposer un véritable Méchant d'envergure qui n'est ici qu'une icône outrée et creuse. Malgré la présence d'un Eric Bana qui n'a malheureusement rien à faire ou dire de bien passionnant, on finit vite par se moquer de ses motivations alambiquées pour attendre avec impatience le retour à l'écran de nos héros new-look. On regrette l’absence d’une bonne idée comme celle du V'Ger (Star Trek I) ou l’astucieuse transposition de la fin de la Guerre Froide qui fait du sixième film de la franchise le seul encore regardable aujourd’hui. Au lieu de quoi les auteurs s’obstinent à réinjecter de force des liens avec la série originale qui les conduisent à s'embourber dans un incompréhensible imbroglio spacio-temporel. C’est d’autant plus regrettable que le film pouvait très bien s’en passer.

Quitte à renouer avec les origines, il aurait été préférable de faire écho à l’audace progressiste et militante (même relative) dont Gene Roddenberry fit preuve lors de la création : équipage cosmopolite en pleine Guerre Froide, une des premières actrices Noires péniblement imposée dans un rôle principal qui sera même amenée à embrasser (sous hypnose, soit) le très pâle Capitaine Kirk : une première historique finalement bien peu réitérée depuis. Hélas, cette nouvelle mouture évacue toute velléité de ce type jusqu’à marcher parfois à contre sens : on peut coucher avec une femme verte mais l’actrice Noire sera réservée au "freak" et le commandement devient une capacité génétique. Triste signe des temps ou auteurs superficiels ? Les films précédents ayant déjà abandonné toute impertinence, il y avait là une belle occasion d'allier origines et modernité.

Au final, après un Mission Impossible III décent, J.J. Abram confirme sa capacité à maîtriser sans génie ni grande personnalité mais avec une efficacité certaine le grand écran après être devenu une star du petit (Lost, Alias). Si l’utilisation trop fréquente du très gros plan sur les visages à la manière des productions télévisées devient quelque peu indigeste en Cinémascope et si la bande originale consterne par sa pauvreté là où une moisson de thèmes forts et pérennes s’imposait, ce Star Trek nouveau est malgré tout une très agréable surprise. Les faiblesses de cet épisode de ré-introduction sont compensées par la nouveauté et l’irrésistible charme tonique que dégage le film. Mais dans la perspective d’un second épisode forcement moins axé sur la crédibilité de la filiation, espérons que les auteurs sauront faire preuve d’un peu plus d’imagination et d’audace, voire de cette profondeur censée caractériser la série. "…to boldly go where no man has gone before." Chiche ?

mardi 19 mai 2009

Quantum of Solace

Badaboum revoilà Bond, James Bond. Ou James Bourne devrait-on dire tellement la franchise newlook s’évertue à coller au pantalon du héros de Ludlum porté à l’écran par Doug Liman et Paul Greengrass (la Mémoire/Mort/Vengeance dans la Peau). Et pas pour le meilleur : montage inutilement épileptique, héros en bois, un ton sérieux et pontifiant qui ici frise souvent le comique involontaire et évidemment - label Bond oblige - une histoire confuse et indigente cette fois arrosée à l’écolo-humanitaire d’opérette. Oui, ce volet est plus médiocre encore que le précédent.

Si Casino Royale version 2006 présentait l’avantage de la nouveauté, pouvait s’enorgueillir d’une vertigineuse scène d’ouverture et de quelques climax décents, Quantum of Solace s’englue presque immédiatement dans le pathos à deux sous et la poursuite standard. Face à la pléthore de films d’action échevelés puissamment boostés aux effets spéciaux qui déferlent sur les écrans depuis des années, il est en effet bien difficile de captiver avec une énième poursuite en bateaux, des cavalcades sur les toits ou l’incendie d’un immeuble en bois de quatre étages planté dans le désert en guise d’apothéose. Même filmés au stroboscope.
On dirait que les auteurs font tout pour se mettre eux-mêmes des bâtons dans les roues : pas de gadgets, aspects spectaculaires mineurs, bad guy anti-charismatique et surtout une intrigue désespérante : une mystérieuse organisation veut renverser un gouvernement d’Amérique du Sud pour y coller un général dictateur qui leur filera le marché de la distribution d’eau. Comment espérer une seule minute surprenante avec ça en 2009 ? Même un téléfilm avec Dolph Lundgren ne se permettrait plus un scénario aussi vermoulu et prévisible. Il faut reconnaître que changer les scènes en cours de tournage et réécrire les dialogues au jour le jour ont rarement produit de bons résultats. N’est pas Mankiewicz qui veut.

Pourtant l’ambition de dépoussiérer un folklore Bondien souvent daté est en soi louable. Plus énergique, plus court aussi, des James Bond Girls - un peu - plus crédibles, une M plutôt pète-sec, tout cela va dans le bon sens. Quant à Daniel Craig, il a incontestablement la stature adaptée aux exploits acrobatiques imposés, loin des vieux beaux en blazer qui l’ont précédé. C’est toutefois insuffisant face à la légèreté – pour ne pas dire le je-m’en-foutisme - du scénario qui reste tragiquement fidèle à la franchise.
Quitte à se satisfaire une histoire qui tourne à vide, il me semble que les gondoles aéroglisseurs, les Lotus amphibies et les supertankers avaleurs de sous-marins atomiques sont préférables aux petites valises de billets et autres états d’âme sentimentaux bidons. Car il ne suffit pas de contracter la mandibule en marmonnant des fadaises pour transformer un divertissement léger en un film d’action "sérieux". Il faut aussi une intrigue propice au suspens et (soyons fous) un peu d’imagination. Sinon on obtient l’inverse de l’effet escompté : on est tenté de rire du film au lieu de rire avec lui. Si Casino Royale frisait déjà cet exploit, Quantum of Solace y ajoute un ennui profond.

dimanche 3 mai 2009

Zodiac

Étonnant récit d’une véritable énigme courant sur plus d’une décennie, le film de David Fincher s’applique à suivre la sanglante carrière d’un psychopathe sévissant dans la région de San Francisco durant toutes les années 70 - et probablement avant. Basé notamment sur les deux livres écrits par Robert Graysmith qui fut dessinateur pour le prestigieux quotidien San Francisco Chronicle auquel le meurtrier envoyait des lettres cryptées annonçant ses crimes réels ou imaginaires, le film développe avec une précision chirurgicale tous les rouages qui menèrent à un invraisemblable échec policier et judiciaire. Le résultat à l’écran est en tous points remarquable.

Comme une réponse à son célèbre Se7en, Zodiac reprend le thème du serial killer mystérieux mais cette fois dans un traitement résolument différent dû sans doute à l’authenticité des faits. Accumulant une documentation monumentale en plus des ouvrages déjà existants, enquêtant lui-même sur les lieux des crimes et vérifiant les informations disponibles, David Fincher aborde sous l’angle du documentariste un sujet qui hanta son enfance californienne. Réputé pour son exigence pointilleuse, le cinéaste délaisse cette fois le thriller destiné avant tout à faire frissonner le spectateur pour suivre méticuleusement le travail de fourmi d’une poignée de flics et de journalistes inexorablement phagocytés par l’obsession de capturer l’insaisissable meurtrier. Abandonnant de gré ou de force l’enquête au fil des années, tous les protagonistes de cette chasse à l’homme en resteront marqués à vie. L’un d’eux, Robert Graysmith, agissant de son propre chef sans avoir à rendre des comptes à quiconque poursuivra jusqu’au bout son désir ardent de connaître l’identité du tueur. Rien ne pourra arrêter ce jeune homme discret dans sa quête de la vérité.

Tout en privilégiant l’investigation - dans ses mécanismes de réflexion et de déduction qui se déroule davantage dans des bureaux ou une bibliothèque qu’en effectuant des cascades vertigineuses - David Fincher n’oublie pas d’équilibrer un film résolument cérébral par des passages où la tension pure est de mise. En premier lieu desquels se trouvent les meurtres perpétrés par le Zodiac. En grand cinéaste, il met en scène ces moments avec une précision, une économie et une apparente simplicité qui leur donne une intensité peu commune. Ici point de musique pétaradante, de montage hystérique ni d’effets grand guignolesques : à l’image du tueur lui-même tout y est calme, froidement maîtrisé et d’une implacable cruauté.

On retrouve également cette économie jusque dans la reconstitution historique des différentes époques qui, tout en étant précise, ne relève jamais du folklore nostalgique de pacotille, pour passer presque inaperçue et rendre tout le film vaguement intemporel.
Cette fluidité entre les époques se retrouve d’ailleurs dans toute la mise en scène malgré des ellipses couvrant parfois plusieurs années. Inventive, riche, sophistiquée même, mais jamais tape à l’œil, magistralement éclairée par Harris Savides qui retrouve Fincher dix ans après The Game, la réalisation de Zodiac signe la maturité d’un grand cinéaste. Le second plan du film, un long travelling longeant les maisons d’une banlieue californienne donne le La : tout y est en apparence simple et sans surprise. Pourtant l’angle choisi, la lumière, la composition, tout concourt à une impression étrange, vaguement inquiétante qui ne quitte plus le spectateur jusqu’à la fin. Sensation rehaussée par les nombreux effets spéciaux "invisibles" dont Fincher est friand afin de maîtriser sa réalité dans les moindres détails, nous rappelant son admiration pour George Lucas et son passage précoce chez ILM.

Comme toujours chez le cinéaste, l’omniprésence technique ne se fait jamais au détriment de la direction d’acteurs, toujours excellente. Jake Gyllenhaal incarne à la perfection le jeune dessinateur de presse un peu trop réservé qui peine à se faire remarquer de ses collègues. Face à la morgue charmeuse de l'épatant Robert Downey Jr, le tandem sera l’occasion de quelques discrètes touches d’humour fort bien écrites, à l’instar des scènes où Robert Graysmith fait la rencontre de sa seconde femme joliment interprétée par Chloë Sévigny. Film d’antihéros par excellence, toute la distribution est par ailleurs remarquable de justesse et accompagne tout entière l’intrigue telle une chorale, chacun apportant le ton juste au bon moment tout en laissant l'espace aux autres.

Bien sûr, en prenant ainsi à rebrousse-poil le cinéma de genre dont il avait lui-même contribué à forger les codes avec son prestigieux Se7en, David Fincher peut déstabiliser : une certaine lenteur devenue inhabituelle pour ce type de film pourra en effet surprendre, en particulier sur une durée de 2h30. Dire que l’on ne sent pas le temps passer serait mentir mais, tout comme la lecture demande un effort plus important que d’allumer son poste de télé, Zodiac récompense le spectateur par la sensation d’assister à bien autre chose qu’un simple divertissement : le fascinant spectacle d'un cinéaste qui construit et maîtrise parfaitement son œuvre, exigeant jusqu’à réinventer son propre style sans jamais en faire un gadget ni perdre de vue son sujet. Respect.