dimanche 27 décembre 2009

Avatar

C'est bien connu, ce qui est rare est précieux. Avec 7 films en 25 ans (Steven Spielberg en affiche 18 sur la même période), James Cameron est devenu au fil du temps une sorte de Stanley Kubrick pop, de Cecil B. DeMille techno dont chaque réalisation constitue désormais un événement.
Artisan autodidacte et perfectionniste, dispendieux comme personne et un peu long à la détente, le cinéaste se fait pourtant connaître sur des bases plus modestes : avec son premier Terminator ou même Aliens, une suite aussi inattendue qu'efficace au film de Ridley Scott, il surprend par sa faculté à livrer des œuvres musclées, spectaculaires mais bien moins coûteuses qu'elles en ont l'air. Issu du monde des effets spéciaux et de la très pingre écurie de Roger Corman, James Cameron connaît bien l'envers du décor et n'a pas son pareil pour afficher 3 dollars à l'écran là où un seul est dépensé.

Mais à partir d'Abyss, tout bascule : le budget devient un gouffre sans fond, le tournage une épopée et le film lui-même un événement par ses nombreuses performances techniques et artistiques. Contrepoint à sa réputation de redneck un peu trop porté sur les armes et la chose militaire, Abyss prend même la forme d'un immense message pacifiste. Malgré un succès mitigé, le film est une réussite qui constitue à ce jour son film le plus fort, le plus original et sans aucun doute le plus personnel.

Pour se refaire une santé financière, Cameron revient ensuite à son robot porte-bonheur et livre un Terminator 2 surproduit, consensuel et (déjà) vaguement aseptisé. Le statut de super star de Schwarzenegger - qui pense déjà sans doute à sa future carrière politique - s’accommode désormais mal du personnage d’androïde assassin qui se transforme cette fois en gentil protecteur d’enfant, dénaturant considérablement le thème originel d’un premier opus dépressif en diable. Mais grâce à son efficacité punchy et surtout des effets spéciaux numériques révolutionnaires, ce T2 remporte la mise et hisse à nouveau son créateur au sommet du box office.

Passons sur True Lies - Claude Zidi adapté par James Cameron, on se pince - pour arriver à Titanic, film de tous les records : budget, recettes, tournage, décors, effets spéciaux, tout y est kolossal, jusqu'au métrage lui-même qui atteint 3h15. Une exception cependant : le scénario. Manichéenne et convenue, centrée sur un triangle amoureux à l'eau de rose, l'aventure humaine qui accompagne la catastrophe n'est, sur le papier, guère passionnante. Pourtant la magie opère grâce au talent d’un couple de comédiens désormais mythique, à l'hyperréalisme terrifiant de la reconstitution et finalement au souffle romanesque qui emporte le spectateur presque malgré lui. C'est avec la même recette que James Cameron fait son retour aujourd'hui. Mais Avatar pousse cette fois à l'extrême le grand écart entre la forme et le fond.

Inutile de s'étendre sur la forme, tout a été déjà dit par la promo, la critique et vos amis. Oui, Avatar est visuellement prodigieux, oui le relief est saisissant, oui le film marque son époque par le bond qualitatif dans l'utilisation du numérique, par sa troublante homogénéité entre réalité et virtuel. Somptueux livre d'images flamboyantes, vertigineuses parfois, Avatar est une éclatante lanterne magique qui vous colle au fauteuil. Seulement voilà, toute cette magie, ce travail de visionnaire exigeant illustre une histoire d'une impardonnable paresse. Chaque phrase ou péripétie, le plus minuscule rebondissement a déjà été ruminé mille fois pour former au final un épuisant florilège de poncifs lénifiants. Du coup, sur 2h40 de film, l'émerveillement se teinte peu à peu d'indifférence, voire d'irritation pour finalement flirter avec l'ennui.

D'autant que cette fois, rien ni personne ne vient relever cette soupe passablement rance : pas de comédiens talentueux ou charismatiques ni de situations dramatiques fortes, aucun climax ni suspens, aucune astuce de scénario, bref : zéro surprise. Même le final renonce à exploiter les maigres idées semées ici ou là : l'évocation d'une planète presque consciente, connectée en un réseau chimique pouvait présager une conclusion dantesque, symbolique, tel un Miyazaki survitaminé. Mais nous n'avons droit qu'à une simple bataille entre ptérodactyles pandorins et vaisseaux tout droits sortis d'Aliens. Comme le reste, c'est bien fait, mais d'une immense pauvreté compte tenu de l'ambition du projet.

Et puis usé jusqu'à la corde ce redoutable catalogue de clichés exotiques pour occidental "tout confort" qui, entre 2 pétitions Facebook et une livraison de sushis à domicile, se rêve en pagne dans un Eden fantasmé façon parc d'attractions. Ah le bon peuple où l'on est chef de naissance, où l'on choisit sa femme comme un bibelot, où les accouplements sont prévus dès l'enfance, où une Vérité sort de la bouche de la première cartomancienne venue, où les Anciens (surtout les morts) ont toujours raison, où l'on tue mais en se donnant des airs de Grand Sage. Ah l'aimable tribu qui a tout compris à la vie, mais qui a quand même besoin qu'un bon vieux Marines bas du front les prennent par la main quand il s'agit de passer aux "choses sérieuses". Bons Sauvages. Pour un peu, ils avaient le rythme dans le sang dites donc...

Pesante cette leçon de vie où le héros mitouille devant des lianes fluo, en communion avec une nature gaïesque, forcement maternelle, envoyant des messages chaussés de plomb à propos "des Hommes qui ont tué la Terre". Méchants humains. Tous. Tandis que les Na'vis eux, se contentent d'affirmer qu'il s'agit de leur planète, qu'elle leur appartient haha. D'ailleurs elle est chouette cette supposée "connexion" avec les autres créatures qui est en réalité un lavage de cerveau réduisant les animaux à des esclaves dont on s'approprie carrément le système nerveux. Big Brother peut aller se rhabiller.

Bref, sous ses allures naïves et infantiles, l'intrigue trouve le moyen de véhiculer une bonne flopée d'idées douteuses et contradictoires dont il faut reconnaître qu’elles sont synchros avec l'idéologie dominante du moment. Ceci expliquant sans doute la complaisance de la critique bien pensante, célébrant poésie et pertinence là où elle moque impitoyablement la légèreté d'un Star Wars, le conservatisme d'un Lion King ou traque le plus fantomatique message crypto national-socialiste d'un 2012.

D'ailleurs si, comme le dit Cameron, Avatar parle de la Terre, de nous, si le film est censé faire "réfléchir sur notre rapport à la nature", pourquoi transposer l'histoire sur une planète lointaine ? Pourquoi cet anthropomorphisme prétentieux qui va piller l'Afrique, la vraie, celle qui souffre ici et maintenant des mêmes exactions dénoncées dans le film, pour n'en faire qu'un folklore de pacotille, condescendant et propret digne des années 30 ? Faut-il donc aujourd'hui repeindre en bleu des comédiens Noirs et leur coller des oreilles de lapin pour les rendre acceptables et nous émouvoir, des fois qu'ils ressemblent un peu trop à nos voisins humains ?

Bien sûr tout cela serait sans doute moins irritant, moins décevant, si James Cameron ne se posait pas en directeur de conscience mystique ni ne tambourinait que des années furent nécessaires pour mener à bien le film et son scénario.

Finalement, à l'opposé d'un Spielberg qui achète sa liberté en alternant commandes et œuvres personnelles, James Cameron semble devenir inexorablement soluble dans le Hollywood le plus stérile. Après le succès sans précédents de Titanic, on pouvait imaginer que l'auteur ambitieux et efficace d'Abyss mette à profit cette liberté pas seulement dans le choix des décors ou la qualité du relief. Cameron se contente ici d'un long et somptueux film sans âme, articulé sur des lieux communs à la fois simplistes et opportunistes, radotés à l’infini tel un vieil ordinateur à scénarios de chez Disney, l'humour et la bonne humeur en moins.

lundi 14 décembre 2009

Le Dernier Vendredi 13 de la St Valentin sur la Gauche

Les slashers c'est comme les fraises ou la grippe, ça revient par vagues. Environ une par décennie, le temps qu'une nouvelle génération de teenagers arrive sur le marché du pop-corn et de la capote. Sous-genre ultra codifié jonglant allègrement avec les hormones, l’ultra-violence, les croquemitaines et les grands ciseaux qui coupent tout ce qui dépasse, son étude, rien que sous l’angle psychanalytique, nous mènerait en moins de deux à une somme de 1000 pages. Rassurez-vous : un historique aussi bref que subjectif et nous parlerons des trois remakes emblématiques du genre sortis sur les écrans en 2009 : La Dernière Maison sur la Gauche, Meurtres à la St Valentin et Vendredi 13.

Des premières déferlantes des années 70 et 80 émergent deux œuvres maîtresses : Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper (1974) et dans une moindre mesure Maniac de William Lustig (1980). Deux films percutants, à la personnalité forte mais qui semblent pourtant relever du coup de bol tant la carrière ultérieure des deux réalisateurs est calamiteuse. J'y reviendrai avec des chroniques dédiées.
Il convient d’ajouter Halloween de John Carpenter (1978) qui, à défaut d’être passionnant, peut se targuer, comme le Hooper, d’être un véritable film de cinéma face à une cohorte de métrages souvent minables, écrits sur un coin de table et initiés par des producteurs au rabais qui n’en finissent plus de dupliquer la recette à peu de frais (Vendredi 13, The prowler, Happy Birthday, Sleepaway Camp, Carnage...).

Après une longue pause, le slasher fait un premier come back en 1996 via Scream de Wes Craven qui se limite déjà à singer la vague précédente tout en prétendant lui rendre hommage : vieille ficelle du cinéaste à bout de souffle qui se planque derrière le clin d’œil au spectateur. Mais le succès est là, sifflant le coup d’envoi d'une nouvelle escadrille de tueurs parmi lesquels remakes et suites sont déjà bien présents (Halloween 20 Après, Souviens- toi l'Ete Dernier, Urban Legend...). Mieux produite que les originaux mais stupidement aseptisée côté gore - un peu comme si on virait les chevaux d'un western quoi – cette nouvelle génération s’essoufflera plus vite que les précédentes. Tant mieux.

Le retour d’un gore nettement plus démonstratif durant les années 2000 est l’occasion pour Hollywood de s’engouffrer à nouveau dans la brèche. Mais désormais les producteurs renoncent à rechercher une quelconque originalité pour un genre aussi limité et se bornent à puiser dans le patrimoine en refilmant méthodiquement deux décennies de "classiques". La démarche ne présente que des avantages : reformater de vieilles recettes rentables destinées aux nouveaux spectateurs tout en flattant la nostalgie des anciens. Et ça marche : le slasher fait cette année un retour triomphant au box office.

À tout saigneur (haha) tout honneur, commençons par l'increvable tueur de Vendredi 13, Jason himself, héros d’une bonne dizaine de longs métrages. Produit par Michael Bay et réalisé par Marcus Nispel qui avaient déjà commis ensemble un remake aseptisé de Massacre à la Tronçonneuse, ce "reboot" se révèle être une redoutable mascarade qui parvient presque à surpasser la nullité les films originaux. Car si la version indigente de 1980 s'endormait sur une intrigue cachectique filmée à la torche, cette nouvelle resucée y ajoute des sommets de bêtise et de vulgarité, nous rappelant ainsi à chaque instant que c’est bien Michael Bay qui mène le bal. Malgré la tentative de compiler plusieurs films de la série pour densifier - en vain - l'intrigue, ce nouveau Vendredi 13 foire à peu près tous ses effets, qu'ils soient spéciaux ou non. Prodigieusement ennuyeux et débile, mal construit, jamais spectaculaire, le film parvient même à rendre Jason inexistant. Chapeau les mecs.

Meurtres à la St Valentin est déjà nettement plus intéressant. Prenant un tantinet le contre-pied en utilisant le cadre pas très yuppie d'une sombre bourgade minière en perdition, le film de Patrick Lussier fonctionne plutôt bien. Malgré la présence de pimpantes vedettes de la télévision pour cibler le public ado, My Bloody Valentine tente de minimiser les tartes à la crème libidineuses où Ken et Barbie se tripotent entre 2 coups de hache. Ici la météo grisouille et le chômage sévit, on a le cheveux gras et le moral en berne. L'intrigue se permet même un sympathique whodunit préservant jusqu'au bout le mystère de l'identité du tueur. Même si c'est au prix de quelques acrobaties du scénario, la sauce, plus consistante que d'ordinaire, prend plutôt bien. D’autant que le gimmick du relief donne à l'ensemble un joyeux goût de fête foraine et de train fantôme.

La Dernière Maison sur la Gauche version 2009 est incontestablement le plus aboutis d’un point de vue formel. C'est aussi le plus crapoteux sur le fond. Pas tant par ce que l'on y voit, mais bien par ce qu'il révèle de ses auteurs.
Là où les autres slashers s'en tiennent à des divertissements effrayants qui flirtent avec l'attraction de foire, cette Maison sur la Gauche n’est pas sans rappeler l'esprit des sous-produits à asticots, ces films de cannibales où il s'agit de produire le plus beau tas de merde racoleur tout en jurant, la main sur le coeur, qu'il s'agit d'un propos d'auteur qui "interroge" le spectateur.
En jouant ainsi le double jeu de la violence à velléité sociologique et du voyeurisme égrillard qui ne s'assume pas, le film se révèle d’une insupportable tartufferie. L’éprouvante scène de viol qui domine le film pourrait éventuellement "interroger" si toutefois les auteurs ne s’attachaient pas auparavant à filmer complaisamment et en détail les effeuillages de la toute jeune actrice. Du coup, on peut légitimement se demander quels sont leurs véritables motifs. Ou pas.
Bref, tout ça finit par produire un sentiment désagréable qui n’a rien à voir avec la qualité d’un scénario ou d’une mise en scène. Et les "bons vieux" messages moisis d’autodéfense ou de victimes payant par la torture la désobéissance à leurs parents ne font qu’alourdir davantage cette production à la fois déplaisante et sans intérêt, où des agresseurs bidons trimballent leurs tronches de soap opera sur un scénario qui ne surprend jamais.

Comme on le voit, le ripolinage en cours ne donne pas pour l’instant de résultats bien convaincants ni ne révèle de nouveaux cinéastes comme ce fut le cas pour le film de zombies/contaminés. Malgré des budgets confortables, les slashers revisités finissent par s’embourber inexorablement dans les mêmes ornières qu’autrefois, comme prisonniers d’une boucle sans fin qui les ramène au point de départ. Tout au moins outre-atlantique. Car en Europe Eden Lake ou même notre Haute Tension national étaient parvenus à donner quelques couleurs à un genre sévèrement sclérosé. En attendant la prochaine vague, le prochain coup de bol ?

lundi 23 novembre 2009

X-Men Origines : Wolverine

Avec ce redoutable spin-off de la saga X-Men, on mesure à quel point les détracteurs du 3eme épisode avaient hurlé au loup prématurément. Car si le film du transparent Brett Ratner n’était pas au niveau des deux précédents réalisés par Bryan Singer, il offrait malgré tout une suite décente. Surtout en regard de cet X-Men Origines miteux, caricature de la suite bâclée et putassière.

En bricolant un scénario badaboum qui juxtapose grosses baffes et mélo ultra prévisible, le film de Gavin Hood (hein ?) parvient en effet à flinguer en totalité l’univers si brillamment recréé à l'écran par Singer. Toute la dimension humaine des personnages, l'approche ambiguë de leurs propres pouvoirs, leur intégration dans une société hostile, les conséquences politiques, bref tout ce qui fait des X-Men le comic le plus riche de la Marvel est ici purement et simplement saccagé au profit d'un vide intersidéral. Et c'est bien là que le bât blesse : une trahison peut parfaitement trouver sa légitimité si elle permet d'ouvrir de nouvelles perspectives ou laisser s'exprimer un auteur. Mais ici rien de tel. Même les origines mystérieuses, presque effrayantes de Wolverine sont disséquées de la plus plate manière, à coup de raccourcis historiques torchés et de process militaro expérimental de fête foraine.

Ok, Hugh Jackman (ici co-producteur) reste un Wolverine irremplaçable. Mais il évolue là dans un fatras de cascades et de bouts de récits disparates. Entouré d’une brochette d’acteurs falots en tête desquels Danny Huston qui reprend platement le rôle de Stryker créé par Brian Cox, le Logan nouveau peine à distiller la moindre émotion, pire : le moindre intérêt. Tout y est sacrifié sur l’autel de l’action creuse et de la péripétie lourdaude. À ce titre, la scène dans la ferme résume toute entière l'indigence du script.

En guise d’apothéose, une apparition de Deadpool, improbable best of de pouvoirs mutants compilés par Strykerstein, donne lieu à une ultime séance de frappe sur fond d’effets spéciaux pisseux. Ce festival de mauvais goût tous azimuts culmine avec un passage éclair du Pr Xavier sous la forme d'un Patrick Stewart en 3D, ultime effet de manche foiré qui tente désespérément de rattacher cette purge à la saga d’origine.

Ravie du score au box office de cet ennuyeux jeu de massacre, la production annonce un autre volet "origines" centré cette fois sur Magneto. On frémit du sort qui attend l'un des plus complexe et charismatique Vilain de l'univers des Super-Héros, magnifiquement incarné à l'écran par Ian McKellen dans les trois premiers films.

samedi 14 novembre 2009

Walkyrie

Après son décevant Superman Returns, Bryan Singer a choisi l'électrochoc pour se remettre en selle. A l'opposé des pimpantes - et poussives - aventures surproduites de l’homme en collant bleu, c'est un drame historique que le cinéaste décide de porter à l'écran : le dernier attentat manqué contre Hitler en juillet 1944. Film anachronique dans un cinéma américain inlassablement friand de réussite édifiante en particulier lorsqu’il s'agit de raconter l'aventure d'un homme contre un système, ce récit d'un effroyable échec est déjà en soi presque un événement.

La filmographie de Bryan Singer montre qu’il aime changer de registre et qu'il le fait plutôt bien. Cinéaste grand public dans le sens noble du terme, Singer aime les scénarios précis et les intrigues complexes qui donnent libre court à son goût de l'exploration des sentiments ambigus au-delà des apparences, de l'âge et de l'époque. A l'image d'Usual Suspects qui par nature n'est pas ce qu'il semble être, un film de Singer se situe toujours au-delà de son pitch, comme l’on dit aujourd'hui. Un Elève Doué est bien autre chose que le débusquage d'un ex nazi par un teenager, les X-men davantage qu'une pétaradante aventure de super-héros. Walkyrie n'est pas seulement le récit d’un attentat manqué, fut-il célèbre, mais bien l’observation rigoureuse d’hommes qui tentent de changer le cours de l’Histoire.

Magnifiquement réalisé avec la sobriété d’un cinéaste doué et inventif qui n’éprouve jamais le besoin d’en mettre plein la vue, Walkyrie semble espionner ces hommes aux motivations diverses en filmant souvent par-dessus leur épaule. Mettant en valeur les aspects les plus risqués, improvisés, les doutes et les engagements de chacun, le film montre combien toute entreprise de ce genre est loin d'une superbe mécanique bien huilée. L’issue cruelle de l’opération et ses conséquences tragiques - 200 exécutions ! - en soulignent davantage encore les aspects aléatoires.

Au-delà du courage évident d’une grande partie des acteurs du complot, Singer insiste également sur l’opportunisme de bien des protagonistes. D’ailleurs, la date tardive de cette opération Walkyrie jette déjà le trouble sur les véritables arrière-pensées de certains putschistes. Car il s’agit bien d’un IIIème Reich en perdition. Que pensaient donc tous ces officiers lors de l’accession d’Hitler au pouvoir ? On ne le saura jamais et c’est dommage même si ce n’était pas le propos du film qui s’attache à couvrir une très courte période.

Comme toujours avec Singer, la distribution est d’une grande qualité et l’interprétation impeccable. L’homme qui fit de Kevin Spacey, Ian McKellen et Hugh Jackman des acteurs de premier plan choisit toujours ses comédiens avec un soin tout particulier. Pourtant, cette fois il commet une erreur en confiant le rôle principal à Tom Cruise. Non pas que le comédien y soit mauvais, bien au contraire : ne jouant jamais la star, évitant tout numéro appuyé, Cruise a rarement été aussi sobre. Non, ici l’acteur est d’abord victime de son statut de superstar. On peine à oublier son physique de jeune premier made in USA sous son costume nazi. C’est quelque part un peu injuste, d’autant que sans sa présence ultra bankable, nulle doute que le film n’aurait jamais vu le jour.

Décalée, tout en retenue jusqu’à une certaine froideur, à la fois film d’espionnage, thriller et drame historique documenté, Walkyrie est une œuvre étrange, imparfaite certes, mais qui force le respect par son thème singulier et le soin apporté à sa réalisation.

vendredi 23 octobre 2009

Prédictions

Alex Proyas fut un cinéaste prometteur. En 1994, il manque de peu la Palme d’Or du Court-Métrage à Cannes puis se fait remarquer pour son second film : The Crow. Bien qu’inégale, cette adaptation d’un comic à succès devient aussitôt culte pour tout un public dark tout en convainquant les fans de la BD, ce qui n’est pas rien.

Mais c’est quatre ans plus tard avec son remarquable Dark City que le réalisateur australien acquiert sa réputation de cinéaste visionnaire débarrassé de son passé clinquant de clippeur/pubard. Intrigue inquiétante et parano, univers poétique proche d’un Terry Gilliam et final vertigineux font de Dark City une splendide réussite qui laisse présager le meilleur pour l’avenir.

Et puis avec I, Robot, c’est la douche froide : énorme production produite par et pour la star Will Smith, le film malmène l’univers d’Isaac Asimov à coup de sponsors, bourre-pifs et cavalcades 3D. Quelques moments touchants affleurent ici ou là mais le tout sombre inexorablement dans l’action-movie de série, humour lourdingue compris.

Mais l’on pardonne à Proyas pour qui c’est le premier blockbuster. Bien d’autres avant lui se virent phagocytés par l’ogre hollywoodien friand de produits formatés. Reniant le film, le cinéaste fait retraite pendant cinq ans pour revenir avec ce Knowing dont il est cette fois le producteur. On allait voir ce qu’on allait voir, d’autant que le scénario bénéficiait d’une réputation flatteuse. Malheureusement, Proyas en liberté se révèle un cinéaste maladroit et emphatique, faisant preuve d’un goût douteux et d’une idéologie redoutable.

Côté prédictions, il faut reconnaître que la présence au générique de Nicolas Cage n’était pas bon signe tant l’acteur semble choisir les nanars avec une constance impressionnante. Déjà peu convaincant en aventurier du scénario perdu (Benjamin Gates 1 & 2) ou en super-héros pyrotechnique (Ghost Rider), il torpille d’entrée ce rôle de père-de-famille-ordinaire-prof-d'astronomie tout en fausses dents et lifting plastifié. Guère aidé par un scénario alambiqué qui présentait pourtant un fort potentiel dans le registre de l'aventure mystérieuse façon X-files, Cage n’évite pas toujours le comique involontaire. Le film non plus.

Car à force de collectionner les coups de pied au cul du hasard et les indices bidons pour faire avancer l’histoire, Proyas finit par saborder ses bonnes idées. Mêlant voyance, film catastrophe, menace cosmique et drame personnel, le tout dans un climat résolument sombre où humour et romance sont exclus, Prédictions et sa fin radicale avait les moyens d’offrir une très belle surprise à tout amateur de fantastique et de SF.
Mais comme emporté dans une surenchère scénaristique intenable et pollué par un message mystique aussi déplaisant que grotesque, Prédictions passe de l’aimable série B de luxe à un larmoyant salmigondis de bondieuseries du 3eme type.

Du coup, le réalisateur n’en finit pas de clore son film en accumulant les scènes d’apothéose toutes plus foireuses et artificielles les unes que les autres. Tout a déjà été vu mille fois et en mieux dans cette fin à rallonge où se succèdent de paresseux emprunts à Rencontres du 3eme Type, Independence Day voire aux Elohims chers à Raël. Tout ça sur fond de reconquête de la foi par le héros, fils de pasteur. Gasp. On éclaterait de rire à tant de mauvais goût et de bêtise si le tout ne laissait un vilain arrière-goût d’élitisme sectaire.

Alex Proyas fut un cinéaste prometteur. C’était il y a longtemps.

lundi 12 octobre 2009

Without a Clue

Parmi la pléthore d’œuvres s'inspirant plus ou moins librement du mythe de Sherlock Holmes, Without a Clue occupe une place à part en réussissant l’exploit de rire du personnage sans verser jamais dans la parodie. Reconnu même par les holmesiens les plus susceptibles comme un véritable hommage à l'oeuvre de Sir Arthur Conan Doyle, le film parvient en effet à offrir une authentique aventure dans le plus pur esprit de l’auteur tout en commettant l’outrage suprême : faire du célébrissime détective un imposteur !

La folle idée de Thom Eberhardt et de ses scénaristes propulse en effet le Dr Watson au rang de seul génie du duo. Un duo qui n’existe même pas puisque c’est le bon docteur qui imagine le personnage de Holmes pour les récits qu’il publie régulièrement dans les pages du Strand Magazine. Mais rattrapé par le succès, Watson se voit contraint de donner chair au célèbre détective. Pris de court, il recrute un acteur raté, passablement obtus et prêt à tout pour une bonne bière. Ulcéré par l’attitude désinvolte et irresponsable du comédien auquel il souffle toutes ses prodigieuses déductions sans en retirer le moindre prestige, Watson finit par s’en débarrasser. Du moins le croit-il. Car face à l’hostilité du Strand qui ne veut pas d’un simple "Crime Doctor" enquêtant seul et surtout la nécessité de traiter une affaire d’Etat qui exige la présence exclusive de Holmes, le docteur se résigne, la mort dans l’âme, à reconstituer une dernière fois le couple de détectives…

Dès la première scène, le ton est donné : on passe en un instant du mythe dans toute sa splendeur à l’hilarant envers du décor où un Watson irascible et frustré terrorise un faux Holmes complètement largué. Outre un scénario truffé d’idées tordantes, le tandem d’acteur qui incarne le duo mythique est pour beaucoup dans la réussite du film. C’est un épatant Ben Kingsley à contre emploi comme l’on dit, qui interprète ce docteur Watson tonique, intelligent mais aussi un peu caractériel, tandis que Michael Caine compose un "Holmes" d’anthologie : acteur minable, alcoolique, couard, coureur de jupons et incapable de la déduction la plus élémentaire. Toute la distribution est d’ailleurs remarquable, de Jeffrey Jones en Lestrade bidonnant à Paul Freeman en Moriarty méphistophélique.

Avec ce sens de la rupture et du rythme essentiel dans le registre de la comédie, Thom Eberhardt utilise au mieux le talent de sa petite troupe et en premier lieu la complémentarité des deux formidables comédiens. Mais à l’image de l’astucieuse idée originale, il n’oublie jamais d’inscrire l'humour voire le burlesque dans l’intrigue même du film, sans user de ficelles paresseuses telles que les anachronismes ou clins d’œil au spectateur. Fan respectueux de l’univers holmésien, le cinéaste se permet même de coller au plus près de la vie de l’auteur : le désir de Watson de se débarrasser de Holmes fait écho à celui de Conan Doyle qui, par lassitude, fit mourir son héros avant de le ressusciter presque malgré lui, sous la pression du public et des éditeurs.

Ajoutez à cela la réjouissante musique signée Henry Mancini, la jolie frimousse de Lysette Anthony et la tronche de Nigel Davenport tout droit sortie de l’Angleterre victorienne et vous obtenez un cocktail détonnant et unique, une réussite totale rappelant les meilleures heures de la comédie made in Britain, du temps où la Ealing alignait les classiques tels que Tueurs de Dames et Noblesse Oblige. Jubilatoire.

dimanche 4 octobre 2009

Phénomènes

Depuis son excellent 6eme Sens, M. Night Shyamalan a su définir une identité forte et originale dans l’univers très codifiée du cinéma fantastique américain. Grâce à des ambiances angoissantes, dépressives, un climat intimiste et adulte peu friand d’effets spectaculaires ou d’action hystérique, le cinéaste poursuit son exploration des grands thèmes du genre. Après les fantômes, les super-héros et les extra-terrestres, voici venu le temps du film catastrophe. Mais cette fois la formule peine à trouver ses marques.

Comme souvent avec M. Night Shyamalan, le film s’appuie sur une idée simple, un grain de sable qui grippe la mécanique bien huilée du quotidien. Il s’agit ici d’une vague de suicides qui se répand en quelques heures telle une maladie contagieuse, d’abord à New York puis dans tout l’Etat. Avec le talent qu’on lui connaît, le réalisateur parvient sans peine à donner à cet événement improbable toute la crédibilité et la densité nécessaire. A l'image de l'ouvrier anéanti par l'effroyable spectacle de ses collègues tombant comme des mouches, un malaise inhabituel s’empare du spectateur. Car Phénomènes décrit une catastrophe meurtrière où personne n’est agressé, poursuivi ou menacé d'un danger quelconque, réduisant ainsi les témoins à une impuissance horrifiée face ces innombrables suicidés sans motifs.
Du moins durant la première partie du film. Car en suivant le parcours d'un petit groupe de citadins fuyant le cauchemar, l’auteur s’embourbe dans des explications capillotractées qui nuisent à ce malaise initial en créant à tout prix un agresseur identifiable. Et quel agresseur !

::Spoiler on::

S'inscrivant dans l’air (haha) du temps, l’auteur nous assène une théorie scientifico-new age évidemment culpabilisante où les plantes se parlent et se défendent en diffusant une neurotoxine qui, grâce au vent, pousse les vilains humains pollueurs au suicide, en particulier lorsqu'ils se regroupent. Défense de rire.
Et M. Night Shyamalan ne se borne pas à balancer son idée discrètement entre deux répliques : il s’appesantit gravement, y revenant sans cesse jusqu’à l’épuisement. Du coup, ce qui pouvait passer pour une faiblesse d’écriture se révèle une assommante et ridicule leçon de morale. Morale qui, ajoutée à celle plus traditionnelle de la célébration de la famille et de la procréation vaguement rédemptrice, devient franchement indigeste. C’est d’autant plus regrettable que lorsqu'il oublie ses thèses fumeuses, le cinéaste parvient à créer ces ambiances sombres et pesantes dont il a le secret, ponctuées de bons moments de suspens et d’épouvante. L’exode du petit groupe principal ou la rencontre avec la vieille femme solitaire en sont les meilleurs exemples.

Phénomènes fut un projet bien difficile à concrétiser pour un cinéaste en perte de vitesse qui dut revoir maintes fois sa copie pour convaincre les producteurs. Ceci expliquant peut-être les déséquilibres d’un film qui hésite entre plusieurs identités, plusieurs styles tant côté écriture que réalisation. Une sensation renforcée par une juxtaposition de scènes pas toujours fluide, des personnages mal définis et pas très bien interprétés. Mais le script originel s’intitulant The Green Project et les éléments horrifiques ayant été voulus par la production, on peut se demander si l’on n’a pas échappé au pire.

Alors, inquiétant thriller fantastique sur fond de fable écolo ou purge moralisante de la part d’un cinéaste à bout de souffle ? Les 2 mon capitaine ! Heureusement le film est court et son rythme soutenu permet malgré tout de ne jamais s'ennuyer.

dimanche 27 septembre 2009

Outpost

Nouvel avatar du cinéma fantastique anglais, Outpost fut d’abord un projet mené par Neil Marshall (The Descent) qui préféra se consacrer à son désastreux Doomsday. C’est Steve Barker, un inconnu venu de la télévision, qui prit la relève pour mener à bien ce film qui ne connut finalement pas les honneurs des salles obscures pour se contenter d’une sortie en DVD. Il faut bien reconnaître que c’est rarement un gage de qualité pour ce genre de production. Pourtant Outpost possède quelques solides atouts qui valent le détour.

Dans la grande tradition du film fauché et de l’aventure mystérieuse pulp, Outpost conte les déboires d’une poignée de mercenaires et de leur mystérieux commanditaire aux prises avec des forces surnaturelles emprisonnées dans un ancien bunker, ici enfoui sous terre au fin fond du Kosovo. Certes, l’introduction frise le téléfilm avec ses acteurs un peu trop typés qui parcourent en grimaçant une pauvre forêt sur fond de combats lointains évoqués uniquement à coup de bruitages. Heureusement, Outpost décolle dès la découverte du sombre bunker.

Car la petite troupe se retrouve vite confrontée à des phénomènes terrifiants tant à l’intérieur du fortin qu’en surface. Déjà éprouvés par l’attaque de mystérieux assiégeurs invisibles, les soldats font la découverte d’un curieux personnage amorphe et mutique parmi un tas de cadavres gisant dans une des innombrables pièces d’un bunker poisseux à souhait. Suivront d’autres trouvailles monstrueuses ponctuées de sanglantes disparitions et d’effrayants dérèglements climatiques jusqu’à la révélation du véritable but de l’expédition : retrouver une redoutable machine construite jadis par les Nazis. Ach !

Si jusque-là le film tient ses promesses côté suspens, surprises et mystère, le scénario se prend violemment les pieds dans le tapis lorsqu’il s’agit de tenir une certaine logique dans les conséquences liées à l’utilisation de la machine infernale - au demeurant fort jolie. Le film tout entier ne s’en relève pas, jusqu’à devenir dans la toute dernière partie un fatras incompréhensible qui, cumulé avec la pauvreté des moyens, n’échappe au cinéma Z que par la grâce d’une réalisation honorable. Il est regrettable de s’être ainsi loupé au stade même de l’écriture en sachant que l’extrême modestie du budget ne permettrait pas de détourner la vigilance du spectateur par la surenchère visuelle.

Malgré tout, Outpost est une très belle surprise pour tout fan de vrai cinoche fantastique, loin de l’avalanche de slashers qui se déverse sur les écrans. Par le soin apporté à l’esthétique en dépit d’un budget étriqué, les vieux thèmes revisités au parfum - rare - de EC Comics et une ambiance pesante tout à fait épatante, Steve Barker parvient à faire décoller son film vers des sphères prometteuses.

vendredi 18 septembre 2009

Ipcress, Danger Immédiat

Fort du succès de ses trois premiers James Bond dont le prestigieux Goldfinger en 1964, le producteur canadien Harry Saltzman lance l’année suivante une nouvelle série de films d’espionnage. Mais plutôt que dupliquer la recette en choisissant un 007 bis, c’est sur l’antihéros imaginé par Len Deighton que le producteur jette son dévolu.

Ancien escroc reconverti - de force - en agent du gouvernement de Sa très Gracieuse Majesté, Harry Palmer est un homme d'extraction modeste et d'apparence quelconque. Insolent et cynique, l’espion aux lunettes d’écaille aborde son métier de manière très routinière, sans la moindre fibre patriotique ni surtout aucune confiance en ses employeurs. Affecté à des taches subalternes, il s'acquitte de sa mission en évitant les ennuis, puis regagne son modeste home où il peut s'adonner à ses deux passions : la musique classique et la cuisine. Autant dire qu'on est loin, très loin de son Bond-issant prédécesseur imaginé par Ian Fleming. Seul un intérêt prononcé pour la gent féminine rapproche les 2 personnages.

The Ipcress File débute alors que Palmer, occupé à de plates surveillances de routine, est recruté par le chef du contre-espionnage afin d'enquêter sur la disparition de plusieurs scientifiques travaillant pour le gouvernement. Trouvant là un moyen d'arrondir ses fins de mois, Palmer accepte la proposition du Colonel Ross et se trouve brusquement propulsé dans un univers dangereux et violent où microfilms, meurtres, enlèvements, agents doubles et lavages de cerveaux sont de mise…

Tous les ingrédients du film d’espionnage de la grande époque sont donc réunis, faisant d’Ipcress l’archétype du genre, et sans doute aussi le plus réussi. Len Deighton fait partie des écrivains qui offrent une vision sombre et très critique des services secrets, démystifiant autant l’ennemi que l’allié dans leurs motivations ambivalentes. Le film s’inscrit également dans cette démarche réaliste et plutôt audacieuse en pleine Guerre Froide. Pas de folles cascades, de gadgets ni d’improbables espionnes glamours, mais le cadre sévère d’un Londres tout de grisaille où se croisent, se mentent et s’entretuent des hommes ordinaires en trench.

Sans la vision éclairée de Saltzman, ces options auraient pu engendrer un film de série assez terne. Heureusement, deux choix décisifs hissèrent le projet dans la catégorie des œuvres majeures. Tout d’abord celui du réalisateur Sidney J. Furie, cinéaste canadien inconnu qui, par ses partis pris esthétiques sophistiqués, donna aux décors gris du quotidien une allure étrange, dérangeante, presque fantastique. Magnifiquement cadré dans un cinémascope spectaculaire, chaque plan relève d’une composition minutieuse et inventive aux angles parfois improbables mais toujours furieusement percutants. Loin de se faire oublier, la réalisation est ici presque un personnage à part entière, bousculant en permanence un spectateur désorienté à force d’inspecter chaque recoin du cadre.

Le second choix fut bien sûr de retenir un autre inconnu pour incarner le rôle principal. Michael Caine n’avait à l’époque qu’un seul film à son actif et, à 32 ans, sa carrière piétinait dangereusement lorsque Harry Saltzman lui proposa le personnage. Le producteur avait déjà saisi le gigantesque potentiel de ce comédien qui, comme Palmer, présentait un physique ordinaire, était issu des quartiers pauvres et pratiquait un redoutable humour. Surtout, il avait compris à quel point la personnalité et le talent exceptionnel de Caine pouvaient rendre vivant et attachant un personnage en apparence banal, laconique et passablement cabochard évoluant dans un univers glacial et guère sympathique. La participation de l’acteur alla au-delà des espérances du producteur puisqu’il fut même à l’origine du nom du personnage. En effet, les romans étant écrits à la première personne, l'espion n’y est jamais nommé. Ce sont Michael Caine et Harry Saltzman qui trouvèrent le nom Harry Palmer en cherchant une sonorité la plus commune possible. De quoi refléter le caractère d'un personnage à l’opposé du sémillant James incarné alors par Sean Connery.

Suite à l’énorme succès critique et publique rencontré par le film dès sa sortie, deux autres opus virent le jour, tous deux adaptés du même auteur et interprétés par Michael Caine : Mes Funérailles à Berlin et Un Cerveau d’un Milliard de Dollars. La réalisation du premier en 1966 à Berlin même donne au film un cachet historique tout à fait exceptionnel. Confié cette fois au très bondien Guy Hamilton, Mes Funérailles à Berlin offre l’essentiel de ce qui fit le succès de Ipcress : intrigue à multiples bandes, ambiance de Guerre Froide presque palpable et dialogue acérés. La réalisation reprend partiellement le style imposé par Sidney J. Furie tout en l’adoucissant. Le film, bien que parfois confus, reste une belle réussite qui achève de donner à la série Palmer son statut de classique de l’espionnage "à l’ancienne".

Malheureusement, Un Cerveau d’Un Milliard de Dollar tourné un an plus tard peine à se hisser au même niveau. Dès le générique graphique conçu par Maurice Binder et illustré d’une plate musique de variété, la volonté de devenir un nouveau James Bond est évidente. La base secrète high-tech, le projet démesuré d’un richissime mégalomane, la romance de papier glacé altèrent considérablement l’identité propre de la série. Plus tout à fait un Harry Palmer sans être un véritable Bond, le film de Ken Russel peine à convaincre et s’enlise dans l’anecdotique de carte postale et l’action invraisemblable. Malgré la présence de Karl Malden, de quelques dialogues savoureux et d’un final spectaculaire joliment réalisé, ce troisième opus signe l’essoufflement d’une série qui semble se renier.

Finalement, ceux qui surent le mieux exploiter et décliner l'esprit de The Ipcress File sont les créateurs de l’excellente série Le Prisonnier (1967). Elle pourrait presque être une aventure de Harry Palmer tant les similitudes sont nombreuses : services secrets douteux, ambiance mystérieuse, manipulation mentale, héros insubordonné et cassant ; jusqu’à une réalisation très inspirée des expérimentations de Sidney J. Furie. Bien sûr, la télévision ayant un impact plus important, c’est la série de Patrick McGoohan qui marqua bien davantage les esprits sur plusieurs générations.

Une raison supplémentaire de découvrir l’œuvre de référence qui a su magistralement définir, pour longtemps, les codes du film d’espionnage et qui, au passage, propulsa Michael Caine à la place qui lui revenait : tout en haut de l’affiche.

lundi 14 septembre 2009

Un Américain Bien Tranquille

Cruelle ironie de l'Histoire, le film de Phillip Noyce dut affronter, à 50 ans d’intervalle, les mêmes critiques que le roman dont il est adapté. Si en 1955 Graham Greene fut accusé d'antiaméricanisme à la publication d’Un Américain bien Tranquille, le film le fut tout autant en 2002, au point où Miramax annula sa sortie pour cause de proximité avec le fameux 11 septembre et d’une vision de la CIA incompatible avec le Patriot Act. Mais grâce à la ténacité de Michael Caine, le film fût finalement projeté au festival de Toronto où son succès lui permit de débuter une exploitation dans... 6 salles !

Nous sommes ici au Vietnam en 1952 durant la période-charnière qui voit se mettre en place la future boucherie made in USA à la suite du naufrage colonial indochinois made in France, le tout sur fond de Communisme sanglant. Autant dire que l'époque est peu propice au triomphalisme et aux visions manichéennes de propagande.
C'est par le regard de Thomas Fowler, correspondant du London Times en poste à Saigon, que nous sommes témoins de l'engrenage infernal qui se met en place. Homme lucide, sensible mais désabusé, Fowler s'est depuis longtemps fondu dans cet environnement exotique qui n’en finit pas de se décomposer sous les coups de boutoirs de l’Histoire. Témoin professionnel revenu de tout et qui se targue de ne jamais prendre parti, le journaliste devenu presque dilettante ne vit que dans l’attente de retrouver sa jolie maîtresse vietnamienne : Phuong. Jusqu’au jour où il se lie d’amitié avec Alden Pyle, un jeune américain idéaliste et plein de bonne volonté fraîchement débarqué à Saigon…

Fort bien adapté par le brillant Christopher Hampton (Les Liaisons Dangereuses, Carrington...), le film de Phillip Noyce joue admirablement sur les deux axes principaux de l’intrigue : d’une part les coulisses d’événements historiques tragiques et d’autre part le registre sentimental du triangle amoureux qui se met en place. Les deux aspects sont abordés avec la même acuité sans tomber jamais dans le mélodrame facile ou la fresque grandiloquente. Ce qui, reconnaissons-le, est une surprise de taille de la part de Phillip Noyce dont la filmographie aseptisée ne brille ni par sa subtilité ni son regard pertinent sur le monde.

Soutenue par une sombre et magnifique photographie de Christopher Doyle (Hero, In the Mood for Love, 2046...), la réalisation est à la fois inspirée et discrète, résolument tournée vers les personnages. Le parti pris des champs-contre-champs filmés face caméra renforce encore le sentiment que les protagonistes nous prennent à témoin de leurs doutes, nous interpellant presque sur leurs choix moraux. Mais les auteurs n’oublient jamais non plus de faire avancer une intrigue aux relents de polar poisseux, ou bien d’user d’un savoir-faire très efficace lorsqu’il s’agit de mettre en image un effroyable attentat sur les lieux mêmes où il se déroula jadis. Le film fut d'ailleurs presque entièrement tourné au Vietnam.

Côté interprétation, Brendan Fraser incarne parfaitement le fringant mais ambigu Pyle. Il nous rappelle ici, comme dans Gods and Monsters, qu'il est un excellent comédien le plus souvent mal exploité. Quant à Do Thi Hai Yen qui interprète Phuong, elle est magnifique de sensibilité retenue et de complexité. Malgré un minimum de dialogue, elle parvient à semer le doute chez le spectateur quant à ses intentions et émotions, comme elle le fait avec les personnages du film.

Mais c’est bien sûr Michael Caine qui illumine le film tout entier. Rarement l’acteur aura été aussi bien servi par un rôle où il peut donner toute la mesure de son immense talent. D'une phrase, d’un regard, il emporte le spectateur dans le tourbillon de ses émotions contradictoires, sa détresse, son implacable lucidité désenchantée face aux horreurs du monde et au désordre de sa propre vie. Tout à tour poignant, caustique, amoureux, terrorisé, blessé surtout, le comédien est à chaque instant au sommet de son art sans jamais donner le sentiment d’une "performance". Bien davantage que pour son rôle de l’Oeuvre de Dieu, la Part du Diable, c’est évidemment avec ce personnage-ci que l’Oscar lui revenait de droit, célébrant enfin son talent autrement que dans le cadre d’un second rôle.

Mais l’on sait combien ces récompenses sont conditionnées par le contexte, le message et le succès du film. Or, outre son échec commercial, cet Américain bien Tranquille ne l’était sans doute encore pas assez pour être loué à sa juste valeur. Malgré une pluie de nominations internationales et une carrière chaotique étalée sur plus d'un an, cette nouvelle adaptation* du roman de Greene reste mal connue. Une injustice que le cinéphile curieux et exigeant ne manquera pas de réparer en découvrant au plus vite cet excellent film.


*Une première version fut portée à l’écran par Joseph L. Mankiewicz en 1958.

dimanche 6 septembre 2009

L'Oeuvre de Dieu, La Part du Diable

Et hop encore un titre français qui décoiffe ! Mais cette fois les distributeurs ont une excuse puisqu'il s'agit de l’adaptation d’un best seller de John Irving dont la traduction date de 1986. Il faut reconnaître que ça sonne bien, même si les intentions de l’auteur s’en trouvent considérablement altérées pour ne pas dire détournées. Difficile à traduire tel quel, The Cider House Rules est pourtant le cœur du propos de Irving qui entend démontrer que des lois arbitraires imposées par des gens non concernés sont faites pour être transgressées. Un propos qui va à l’encontre de la plate connotation religieuse et moralisante de la version française.

Sixième roman de l’écrivain et troisième adaptation à l’écran après Le Monde Selon Garp et Hôtel New Hampshire, L’Oeuvre de Dieu, la Part du Diable est né de la volonté indéfectible de John Irving qui cette fois écrivit le scénario, obtint un droit de regard sur le casting, le choix du réalisateur et même le montage final. Longtemps différé pour des raisons de productions ou de réalisateurs défaillants, c’est presque treize ans après son adaptation écrite que le film de Lasse Hallström vit enfin le jour.

Roman préféré de l’auteur, on pouvait redouter un traitement par trop révérencieux ou littéraire qui oublierait que le cinéma obéit à ses propres règles. Mais Irving parvint à dépasser brillamment cet obstacle en offrant une remarquable adaptation de son œuvre et qui fut à juste titre récompensée par un Oscar. Sans jamais trahir ni affadir le propos, le film présente une version précise et fidèle, tout en densifiant considérablement le dernier tiers d’un roman qui s’étiolait.

L’essentiel est là : au travers de l’itinéraire initiatique d’un jeune homme élevé dans un orphelinat de la côte Est des Etats-Unis durant les années 30 et 40, le film aborde quelques thèmes rares dans un cinéma américain populaire si souvent coupable de pusillanimité face à la morale religieuse qui mine le pays. Toute la force du film de Haalström est ainsi de proposer une réflexion sur des sujets tels que l’avortement, l’inceste et plus largement la transgression, et ce sous une forme luxueuse et romanesque aisément accessible. D’un point de vue "pédagogique", la démarche est bien plus efficace qu’un film ouvertement militant s’adressant à un public conquis d’avance.

Lasse Hallström déploie donc tout son talent et son savoir-faire pour offrir une œuvre à la fois ample et profondément intimiste. En adoptant un style flamboyant frisant l'académisme mais toujours d’une très grande beauté formelle, le cinéaste parvient fort bien à illustrer l’univers foisonnant de John Irving où mélodrame, comédie, situations extraordinaires et simple quotidien se côtoient avec bonheur. Sans oublier l’immense tendresse de l’auteur pour tous ses personnages, même les plus ambigus.

Dans le rôle d’Homer Wells l’orphelin introverti découvrant le monde, Tobey Maguire est impressionnant de justesse à chaque instant tandis que Michael Caine incarne un bouleversant Dr Larch plus vrai que nature. Son rôle de père adoptif, mentor et professeur à la fois généreux et égoïste, pudique et sentimental lui vaudra au passage son second Oscar. À leurs côtés, Charlize Theron compose un personnage crédible et vivant tandis que Delroy Lindo et Erykah Badu sont excellents dans des rôles plus discrets mais décisifs. À noter également un stupéfiant casting d’enfants, que les personnages soient muets ou non. On retrouve, là plus qu’ailleurs, toute la finesse et la sensibilité du réalisateur de Gilbert Grape.

Sans être évidemment un brûlot subversif, L’Oeuvre de Dieu, La Part du Diable se révèle résolument plus audacieux et subtil que la moyenne des "films à Oscars". En somme, un beau et grand mélodrame magnifiquement réalisé qui charme et émeut tout en affirmant avec finesse un positionnement moral et social courageux. Pas mal non ?

lundi 31 août 2009

Flawless

Cette fois je saute le pas en n'utilisant que le titre original. Déjà que le film n’a pas été distribué en salles, il ne s’agirait pas de l’accabler davantage avec sa redoutable "traduction" : Le Casse du Siècle. Et pourquoi pas Du Rififi à la City tant qu'on y est ?

Pauvre Michael Radford qui connaît là coup sur coup son second film sans sortie française après la somptueuse adaptation du Marchand de Venise de Shakespeare avec Al Pacino, Jeremy Irons et Joseph Fiennes. Oui oui, le Michael Radford du bouleversant 1984 qui offrit son dernier rôle à l’immense Richard Burton, puis du très beau Sur la Route de Nairobi. Cinéaste discret et éclectique, amoureux des castings exigeants, souvent inspiré et toujours d’une grande élégance, il revient ici avec un polar du registre "cambriolage millimétré" interprété par Demi Moore, Michael Caine, Lambert Wilson et Joss Ackland.

Grâce à une caméra sinueuse, comme en apesanteur, une musique envoûtante et une image limpide d’une grande beauté, Michael Radford explore l’univers glacial - et glaçant - d’une société de diamantaires londoniens durant les années 60. Une splendide et très classe reconstitution dans la lignée du Zodiac de Fincher, où tout gimmick pop outrancier est banni. Car il s’agit ici de décrire un microcosme avide et minéral, où même le siège de la firme ressemble à un mausolée parcouru d’ombres grises estimant en silence des tonnes de pierres précieuses.

Dans ce dédale de couloirs en marbre, deux personnages se croisent depuis des années sans se voir : Laura Quinn est une cadre sup' modèle et ambitieuse dédiant sa vie à sa société mais dont le zèle et les talents sont systématiquement ignorés par une hiérarchie machiste et conservatrice. Mr Hobbs est lui l'inépuisable homme à tout faire de la maison, vidant les poubelles et lustrant chaque nuit les couloirs rutilants de la London Diamond Compagny dans l'indifférence générale. Un beau jour, Mr Hobbs décide de briser la glace pour annoncer à Laura Quinn une terrible nouvelle et lui proposer dans la foulée une manière peu orthodoxe d'obtenir une plus juste rétribution pour son dévouement...

Les auteurs ont écrit le rôle de Hobbs sur mesure pour un Michael Caine qui excelle dans l’interprétation de cet homme effacé dont l'apparente simplicité cache une soif de revanche particulièrement tenace. Plus inattendue est la prestation de Demi Moore qui surprendra ceux qui se souviennent d'elle comme de la jolie fille au physique poupin. L'actrice compose ici une Laura Quinn intense et cérébrale, presque polaire à l'image de ses employeurs mais qui s'éveillera tardivement à la vie au gré des épreuves.

Certes, le scénario aurait pu s'émanciper davantage d'une trame somme toute assez classique et parfois prévisible. Mais Flawless n’en est pas moins une jolie surprise offrant son lot de rebondissements et autres twists "acrobatiques" de rigueur. Esthétiquement parfait et soutenu par une distribution impeccable, il s'agit là d'un épatant film de genre et qui mérite nettement mieux que ce triste passage à la trappe.

lundi 27 juillet 2009

Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé

Voilà, cette fois c’est la "bonne" : la saga Harry Potter est morte. Déjà douché par le précédent épisode (ah comme ce terme est désormais tristement adapté…) et son scénario poussif, c’est presque en croisant les doigts que je suis allé voir celui-ci : la bande-annonce était prometteuse, les plates errances de l’Ordre du Phoénix semblaient avoir été évitées au profit d’une ambiance plus tendue et surtout en retrouvant le faste des autres films. Seulement voilà, ce trailer d’1 minute 30 est d’une malhonnêteté rare qui frise l’escroquerie : la totalité des plans spectaculaires y sont visibles, jusqu’à une apparition de Voldemort adulte qui ne figure jamais dans le film lui-même.

Mais alors de quoi sont donc constituées les 2h30 restantes me direz-vous ? Eh bien par la pire évolution imaginable : un fade mélange de bit-lit et de teen movies où la préoccupation sentimentale rose bonbon prend presque toute la place. On passe d’un couloir à un autre, d’une salle de classe à la cafet’, pardon, à l’auberge du coin comme dans un soap pour ado mais où chaque décor serait fastueux (à défaut d’être surprenant puisqu’on les connaît déjà presque tous). Hermione est-elle jalouse, Ron amoureux ? Harry, dont Romilda est amoureuse, va-t-il embrasser Ginny qui sort avec Dean ? La copine de Ron va-t-elle évincer Hermione qui elle-même louche par dépit sur le beau Cormiac ? Vous vous en foutez ? Moi aussi !

Tant que ces préoccupations pré pubères n’étaient qu’un ingrédient de plus comme dans La Coupe de Feu, elles enrichissaient habilement la saga. Dès lors qu’elles deviennent centrales au détriment de l’intrigue et surtout du spectacle comme c’est le cas ici, on échoue dans le plus redoutable ennui. Car enfin J.K. Rowling n’est pas Shakespeare et, même en affectant une pose "dark" à la mode censée donner une crédibilité à n'importe quelle histoire à 2 sous, toutes ces aventures minuscules sont d’une désarmante platitude. Et comme les jeunes acteurs ou la réalisation ne sont pas assez denses pour faire oublier cette pauvreté d’écriture, le film n’est qu’une suite d’ennuyeuses et répétitives scénettes artificielles.

De temps à autre le scénariste (ou l'auteur ?) se rappelle qu’il s’agissait à l’origine d’affrontements entre puissants sorciers et l’on s’agrippe à ces quelques scènes comme un naufragé à son radeau. Rares, elles sont aussi malheureusement mal fichues et sans aucune densité dramatique. On retrouve d’ailleurs ici la marque de David Yates qui, comme pour le précédent opus, foire méticuleusement tous ses climax, même les plus porteurs !

Alors certes, le jeune public féminin passe la séance à glousser à chaque répartie d’Hermione ou à la balourdise de Ron, tandis que les lecteurs fans semblent satisfaits de ces nouvelles adaptations plus proches, paraît-il, des romans. Mais l’amateur de cinéma, d’imaginaire trépidant et bon enfant, de grand spectacle épique et de mystère au goût de contes de fées astucieusement remis au goût du jour qui caractérisaient la série jusqu’au quatrième film n’y grappillera que quelques pauvres miettes rassies parsemant un long bout à bout soporifique.

vendredi 24 juillet 2009

Le Jour où la Terre s'Arrêta

Oui bien sûr, il est convenu de se pincer le nez dès l'annonce du moindre remake, en particulier lorsqu'il s'agit d'un classique où la démarche vire alors carrément au sacrilège. Le film original signé Robert Wise appartenant au club - plus guère sélect - du film culte, cette nouvelle mouture souleva évidemment l'hostilité de principe des gardiens du temple dès son annonce. Pourtant que risquait-on ? Que le film soit meilleur et fasse pâlir à jamais l'original comme le fit John Carpenter avec The Thing cet autre classique de la S.F. datant de la même année ? Tant mieux ! Ou bien qu'il s'agisse d'un foirage qui rehausse encore le prestige de l'original ? Les adeptes du culte ne pourraient qu'en être satisfaits.

Je suis resté longtemps sur le souvenir ébahi de la version de 1951 très originale à une époque où les vilains extra-terrestres, symboles du perfide soviet, étaient de rigueur. Robert Wise proposait de mettre tout le monde face à ses responsabilités via l'arrivée d'un seul personnage à la fois menaçant et pacifique, puissant et faible. Accompagné de Gort, robot géant au pouvoir illimité qui devint l'icône du film, l'alien Klaatu délivrait un message en forme d'ultimatum : soit les humains cessaient d'être des créatures vindicatives et guerrières, soit ils étaient éliminés de l’univers. Message évidemment de circonstance en pleine Guerre Froide mais discutable par ailleurs : la formulation de Klaatu ressemblait un peu trop à l’injonction de l’Amérique impériale – "ressemblez-nous ou disparaissez" - pour n’être qu’un généreux message de paix.

À la faveur d'un visionnage plus récent, mon enthousiasme devint plus nuancé encore : tout cela était bel et bien, mais manquait terriblement de vie : une sympathique fable parfois simpliste, plutôt raide à la forme forcement datée. Bref, une nouvelle vision à la fois respectueuse et exigeante pouvait être prometteuse dès lors qu’on ne la confiait pas à n’importe qui. Malheureusement le choix paresseux de Scott Derrickson à la réalisation et David Scarpa au scénario révéla surtout un cruel manque d’ambition et de personnalité.

Car loin d’enrichir l’histoire, le tandem réussit l’exploit d’en souligner davantage encore les faiblesses et d’en appauvrir les aspects les plus intéressants : le gamin déjà peu crédible dans la version originale devient ici un insupportable moutard qui donnerait plutôt envie d’en finir au plus vite avec la race humaine. Au passage, cette version y perd gravement en maturité pour lorgner vers le public teenager.
Les allusions subtilement "christiques" de 1951 sont ici accentuées par une imagerie extra-terrestre pachydermique qui fleure bon l’apparition divine sulpicienne, jusqu’à l’arme de destruction punitive de Klaatu prenant la forme d'improbables nuées de criquets évoquant cette bonne vieille plaie d’Egypte. Une "trouvaille" qui permet même au titre du film de devenir hors sujet. Chapeau bas. L’autre idée lumineuse étant d’asperger le film de cette écologie désincarnée qui semble décidément être le seul sujet digne d’intérêt en lieu et place de la guerre ou autres souffrances humaines, comme si la Terre était devenue aujourd’hui un confortable havre de paix pour le plus grand nombre.

Côté personnages, Jennifer Connelly et Kathy Bates s’acquittent honorablement de leur rôle. Klaatu est lui interprété par un Keanu Reeves plus pâteux et inexpressif que jamais, illustrant cette vieille idée crétine et puritaine selon laquelle une civilisation plus avancée a forcement évacué les émotions et parle avec un balais enfoncé là où ça fait mal. Quant au célèbre Gort, il passe à la trappe pour n’apparaître que durant quelques plans fugitifs plutôt vilains et artificiels qui feraient presque regretter les genoux plissés de son caoutchouteux modèle.

Reste donc un carambolage de scènes plutôt mal écrites et platement réalisées, farcies d’effets sans aucune originalité. Cette version atteint donc involontairement l’un de ses objectifs : redonner du lustre au film de Robert Wise infiniment plus fin et maîtrisé que cette insipide gelée mystico-mélodramatique. Dommage, il y avait matière à une très belle relecture. Try again.

lundi 13 juillet 2009

Wallace & Gromit : Le Mystère du Lapin-Garou

On retrouve dans ce premier long métrage co-produit par Dreamworks beaucoup de ce que l'on a aimé dans les célèbres et oscarisés courts-métrages de la firme Aardman mettant en scène les deux compères en pâte à modeler créés par Nick Park.

Évidemment c'est magnifique : quel bonheur de découvrir tous ces petits décors d’une précision infinie foisonnants de textures fines et colorées qui nous changent de la 3D - même de qualité - si présente dans le cinéma d’animation d'aujourd'hui. Tout le charme incomparable de l’animation traditionnelle est là, jusque dans ses imperfections qui enchantent et transportent le spectateur dans une sorte d’immense coffre à jouets.
C'est hilarant aussi, en tapant tous azimuts tant dans les dialogues que les gags purement visuels et même les nombreux clins d'oeil de cinéphiles judicieusement amenés. Et puis bien sûr les inventions délirantes de Wallace...

Ce qui chagrine un peu c'est ce que l’on n’y retrouve pas : cet esprit étrange, décalé, presque inquiétant d'Un Mauvais Pantalon avec son drôle de pingouin muet et vicieux. Ou bien les trouvailles visuelles comme la folle poursuite en train électrique durant laquelle Gromit fabrique la voie au fur et à mesure. On a ici affaire à une sympathique histoire, certes gentiment foldingue, mais un peu trop classique malgré une belle grosse surprise. Le personnage du prétendant chasseur par exemple est un cliché absolu de comédie tandis que la poursuite finale n'a résolument pas le punch et l'originalité de celles des films courts.

Heureusement le charme opère cette fois encore grâce notamment au "talent" du très lucide et craquant Gromit qui est sans doute l’un des personnages les plus réussis de l'histoire de l'animation image par image : un chien qui ne parle pas, qui n'a même pas de bouche mais qui parvient à exprimer les sentiments les plus subtils grâce à un regard que bien des acteurs de chair et d’os pourraient lui envier...

Aardman est au volume ce que Pixar est à la 3D, le charme "du réel" et l'humour british en plus.

mercredi 8 juillet 2009

L'Auberge Espagnole

Pendant deux heures d'une mollesse invraisemblable, Cédric Klapisch nous conte poussivement les pérégrinations d'un petit jeune homme falot et propret qui n'arrête pas de trouver sa vie bordelique, pas "rangée" parce qu'il... ben justement on ne sait pas ! Car sa vie est tout sauf désordonnée et qu’il est le prototype du jeune homme rangé.

D'ailleurs à l'image du personnage, les plus grandes péripéties du film sont : le héros qui couche avec une femme infidèle ; l'amant d'une colloc' qui débarque pendant qu'elle est avec un autre ; le héros qui quitte son job administratif au Ministère des Finances pour devenir écrivain. C’est dire si on vibre.

Bref, même aromatisé au très bobohème Erasmus, ce n'est que du théâtre de boulevard pour jeunes gens de "milieu socio-culturel privilégié" comme l' on dit dans les statistiques sociologiques. C'est plein de bons sentiments communautaires et l'on a droit à tous les clichetons sur le thème, jusqu'à un discours chaussé de plomb sur "l'identité". Quelques moments agréables et quelques trouvailles du côté de la réalisation jalonnent une grosse confiture affreusement conventionnelle sans esprit ni finesse.

Mais le pire est encore cette voix off qui ponctue le film en déclamant des propos définitifs sur la vie, la mort, les vaches, avec un bouquet final sur les rêves d'enfance et autres vapeurs de luxes vues et lues mille fois au point où ça en devient embarrassant. Danièle Thompson doit adorer.

vendredi 26 juin 2009

Dreamcatcher

A la vision de cette énième adaptation d'un roman de Stephen King une idée vient immédiatement à l'esprit : comment l’association d'autant de talents confirmés peut conduire à une telle catastrophe ? A ce stade la chose relève presque de l'énigme surnaturelle. Car Dreamcatcher n'est pas un film banalement raté comme il en existe tant mais relève plutôt de l'accident industriel grave qui mérite de s'y attarder un instant.

Lawrence Kasdan à la réalisation et le multi-oscarisé William Goldman au scénario écartaient pourtant d'emblée la possibilité d'un échec majeur. Le premier s'est brillamment illustré tant au niveau scénario (L’Empire Contre-Attaque, les Aventuriers de l’Arche Perdue, Silverado…) que réalisation (La Fièvre au Corps, Grand Canyon, Les Copains d’Abord…) tandis que le second peut se prévaloir d'une des plus prestigieuses collections de scénarii du cinéma (Les Hommes du Président, Marathon Man, Princess Bride…) parmi laquelle figure même l'excellent Misery d'après déjà Stephen King. Un budget de superproduction et la participation d'acteurs de qualité complétaient le tableau et laissaient ainsi présager une entreprise sérieuse à l'image d'autres adaptations de l'auteur produites également par la firme Castle Rock (La Ligne Verte, Les Evadés, Dolores Claiborne...).

N'ayant pas lu le roman d'origine, il m'est difficile d'estimer ce qui relève de l'adaptation ou de l'idée originale. Mais peu importe : des mots ont bien été couchés sur papier pour décrire les situations décrites dans un film que des gens ont trouvé judicieux de produire. Et là on ne peut que douter de la santé mentale des décideurs.

Car enfin, comment des producteurs peuvent-ils décemment miser 78 millions de $ (!!!) en lisant cette hallucinante et chaotique compilation de thèmes rabâchés par l'auteur, un salmigondis où se téléscopent entre autres des-amis-d’enfance-se-retrouvant-adultes-pour-affronter-une-force-maléfique, un bestiaire extra-terrestre incohérent, une menace planétaire, une mission secrète de l'Armée, des télépathes, des "spores" empoisonnées et même une obscure guerre intergalactique qu'il nous faut deviner ? Comment peut-on envisager de filmer sans hurler au fou une longue scène aussi incongrue que ce malheureux "possédé" qui gonfle ici ou là, rote et pète grassement avant d’aller expulser un parasite étron dans les toilettes comme dans n’importe quel sous-produit de David DeCoteau ? Comment imaginer Mr Kasdan expliquant doctement à l’ingénieur du son qu'il faudrait que le bruit de pet soit plus prononcé pour produire l'angoisse recherchée ? Comment peut-on coller de tels affolants sourcils postiches à Morgan Freeman sans exploser de rire au premier test ? D’autant que son personnage de vieux Général caricatural passe son temps à débiter des déclarations sentencieuses et imagées sur le thème "on a des couilles". Sans parler d'un improbable final farci aux transformations saugrenues et dialogues tordants.

Enfin, comment Stephen King lui-même put-il qualifier le résultat de "premier film d'horreur et de suspense pleinement satisfaisant qu'un de mes livres ait inspiré au cours de quinze dernières années" ? Il faut reconnaître que le maître n’est pas forcement le meilleur juge en la matière, lui qui réalisa la pire adaptation de son œuvre avec le calamiteux Maximum Overdrive. Toutes ces questions restent sans réponses et même si la lumière de John Seale participe à la réussite de quelques jolis passages, Dreamcatcher demeure un supermega Z de Major, sommet de l'incongruité enveloppée dans une forme grand luxe, méritant sa place dans la Zone Fantôme du cinéma aux côté de Battlefied Earth, Waterworld et Catwoman.

lundi 22 juin 2009

Dans la Brume Electrique

28 ans après son percutant Coup de Torchon adapté du romancier Jim Thompson, pape du polar US, l’américanophile Bertrand Tavernier se penche sur un autre de ses auteurs fétiches : James Lee Burke. Il abandonne cette fois le principe de la transposition qui voyait Coup de Torchon se dérouler en Afrique pour réaliser une adaptation géographiquement très pointilleuse. Nous sommes ici sur les lieux même de l'intrigue originale : New Iberia, Louisiane. Casting hollywoodien et équipe américaine au service d'une production française, Dans la Brume Electrique est un film hors normes dans la carrière du cinéaste. S’il réalise enfin l’un de ses rêves en tournant sa première fiction aux Etats-Unis, il peine à réitérer son exploit de 1981.

L'ambiance est donc celle de la poisseuse et pesante Louisiane éternellement gangrenée par les démons du racisme ordinaire et une pauvreté partout affleurante. C’est dans une mise en image sensible et intelligente que Bertrand Tavernier montre ici le meilleur de son talent. En évitant les clichés spectaculaires ou les effets à la mode pour miser sur une réalisation fluide et classique, il permet au spectateur de s’immerger dans ce cadre moite et figé dans son Histoire qui convient si bien au roman noir. Soutenue par une brillante bande originale signée Marco Beltrami et une très belle lumière de Bruno De Keyser, l’atmosphère de la Louisiane a rarement été aussi vivante à l’écran.

L’autre réussite du film est un personnage. Celui de Dave Robicheaux, flic, (ex) alcoolique et dépressif incarné par un Tommy Lee Jones remarquable de sobriété et justesse. Là aussi nous sont épargnés les clichés du flic looser et solitaire au profit d’un vibrant portrait nuancé et humain. Alternant les moments de détresse et les accès de violence, le quotidien du père de famille et les errances du flic hanté par le passé - au propre comme au figuré -, le film tout entier existe par son regard. Face à lui, le reste de la distribution fait office de figuration, y compris un John Goodman poussif et guère convaincant dans le registre du bad guy.

Mais ainsi concentré sur l’atmosphère et le personnage principal, Bertrand Tavernier semble surtout négliger l'intrigue. Ou plutôt, selon que l'on soit fan hardcore ou non du genre, on trouvera que cette histoire de tueur en série mâtinée de vieux crime raciste sur fond de mafia locale est un pur classique du polar américain ou bien une énième resucée qui ronronne du début à la fin. Tout y est désespérément prévisible, tant au niveau de "l’énigme" que des rebondissements. On relie entre eux les éléments de l'enquête bien avant le héros et ce en dépit même de quelques légèretés narratives. Y ajouter de vagues évocations politiques liées aux conséquences de l'ouragan Katrina n'y change rien : sans produire un véritable ennui, le film peine à captiver.

Bertrand Tavernier a su éviter bien des faiblesses de forme malgré les soucis rencontrés lors du tournage (Tommy Lee Jones retors, incompatibilité avec le monteur et l’un des producteurs, solitude du réalisateur expatrié, production onéreuse…). Mais une telle déficience du scénario est difficile à accepter dans le cadre d’un projet entièrement voulu et porté par le réalisateur avec le soutien de James Lee Burke à l’écriture. Ici point de vilain Grand Studio castrateur à incriminer. On pouvait dès lors s’attendre à une alchimie plus audacieuse et atypique entre un auteur prestigieux et un cinéaste qui avait si brillamment réussi Coup de Torchon grâce à une distribution puissante et homogène, une intrigue vénéneuse et une réalisation originale.
Par son extrême classicisme de forme et de fond légèrement parfumé à la naphtaline auquel s’ajoute une certaine vision de "l’Amérique éternelle", Dans la Brume Electrique devrait séduire avant tout les admirateurs du cinéma de Clint Eastwood. Malgré ses qualités, les autres se demanderont sans doute : "tout ça pour ça ?".

mardi 9 juin 2009

Planète Interdite

Pour cette 50e chronique il était temps de rendre enfin hommage au film qui inspira son nom à ce blog et bien davantage encore. L’exercice n’est pas simple tant le film de Fred Mc Leod Wilcox fut disséqué, décrypté, interprété, célébré depuis sa sortie sur les écrans voilà 53 ans. Oui, Planète Interdite c’est un peu le Citizen Kane de la science-fiction, le Autant En Emporte le Vent du space opera, bref : un monument du cinéma.

La science-fiction à l’écran ne fut longtemps qu’un genre mineur, sérial de pacotille ou éternelle série B fauchée, bâclée et vouée aux doubles programmes. Si les années 50 marquèrent un véritable tournant grâce à des œuvres telles que Le Jour où la Terre S’arrêta, l’Invasion de Profanateurs ou La Chose d’un Autre Monde, c’est encore souvent au travers de films modestes se situant essentiellement dans un contexte contemporain faisant écho à la Guerre Froide qui fait rage à l’époque. Même Les Survivants de l’Infini, dont le final spectaculaire se déroule sur la planète Metaluna, traite encore de savants abusés par l’ennemi. Suivez mon regard...

La MGM, qui voit tous les succès du genre lui passer sous le nez, décide de frapper un grand coup en regardant plus loin que ses concurrents, sur le fond comme sur la forme. En s’inspirant de La Tempête de Shakespeare et en y ajoutant une dose de psychanalyse jungienne - option rare et provocante à l’époque - le tout transposé très loin de la Terre sur la lointaine et mystérieuse planète Altaïr IV, le film tient résolument à se démarquer de ses prédécesseurs : introspection et voyage intergalactique, lointain futur et tourments éternels propulsent ainsi Planète Interdite vers un classicisme universel et intemporel dès sa conception.

Si la réalisation est confiée à un cinéaste maison sans grand caractère - usage fréquent pour ne pas dire incontournable à l’époque - c’est pour garder un contrôle rigoureux sur ce qui est avant tout un film du scénariste Cyril Hume et de ses producteurs. Le budget imposant souligne cette volonté d’illustrer au mieux les ambitions des auteurs : direction artistique magistrale, première utilisation du CinémaScope et du flamboyant Eastmancolor sur un film de ce type, crème des spécialistes des effets spéciaux empruntée aux prestigieux Studios Disney. Quant à la musique, elle est confiée aux très avant-gardistes Louis et Bebe Barron qui concoctent en 3 mois dans leur studio de Greenwich Village, et après avoir construit leurs propres instruments, une étourdissante partition électronique. Sans oublier bien sûr le soin sans précédent apporté à la réalisation du personnage de Robby le Robot qui achève de donner à Planète Interdite son statut de film culte.

Audace artistique, ambition, moyens appropriés : le cocktail magique fait des miracles. Lors des projections test, l’impact est tel que rien n’est modifié pour la sortie du film. La MGM tient la pépite qu’elle a mis tant de soin à concevoir. Mais comment prévoir la résonance infinie que le film allait produire sur plusieurs générations de spectateurs ? Malgré un succès mitigé qui peine à rembourser le budget de production, Planète Interdite devient immédiatement une œuvre de référence qui change à jamais le cinéma de science fiction.

En 2006 j’ai eu l’immense plaisir de redécouvrir le film sur grand écran dans une copie neuve.
Si la surprise n’était plus de mise, l’émerveillement fut au rendez-vous tant les couleurs et les qualités esthétiques conservent toutes leurs richesses 50 ans après. Bien sûr l’inévitable idylle entre le fringant capitaine et la fille du professeur toute en minijupe et coiffure pimpante prête à sourire, tout comme les moments de comédie imposées par la MGM semblent souvent déplacés et puérils. Mais comment ne pas être ébloui aujourd’hui encore par cette intrigue d’une incomparable maturité se déroulant au sein d’une étrange civilisation mystérieusement disparue à son apogée, ces Krells dont on ne peut deviner l’apparence que par la forme des portes ? Ou bien ces effrayantes empreintes laissées par une insaisissable créature invisible qui parcourt la planète en semant la mort sur son passage, les décors vertigineux des cités enfouies, le twist final et la spectaculaire confrontation avec le monstre de l’Id… Et puis cette entêtante musique électronique qui joue un rôle décisif dans l’atmosphère unique du film, une audace que sanctionnèrent les syndicats hollywoodiens en refusant aux Barron le crédit de musique au profit des termes "electronic tonalities".

Revoir le film dans son état d’origine permet de mieux saisir encore ses innombrables qualités qui inspirèrent tant de créateurs. Le plus connu d’entre eux est évidemment Gene Roddenberry qui 10 ans plus tard imagina la saga Star Trek en reprenant nombre d’éléments du film : équipage, époque et même le numéro d’immatriculation du célèbre Enterprise qui est une référence directe à l’heure où la soucoupe de Planète Interdite entre en orbite d’Altaïr IV : 17:01. Comment ne pas penser aussi au ton très "butler" de Robby dont le distingué C-3PO de Star Wars fait écho, ou aux puits insondables de l'Etoile Noire, répliques presque parfaites de l'univers Krell ? L’on ne compte plus les oeuvres dont le point de départ est un équipage lancé à la recherche d’une expédition disparue aux confins de l’univers. Certains évoquent même une filiation avec le 2001 de Kubrick qui lui aussi osa allier grand spectacle cosmique et questionnement introspectif.

Mais au fond peu importe. L’impact de Planète Interdite sur l’imaginaire collectif reste immense et continuera d’émerveiller des générations de nouveaux spectateurs et de cinéphiles. Car outre une beauté formelle exceptionnelle qui peut paraître datée à certains, la grande force de Planète Interdite réside dans les thèmes abordés, sa faculté à évoquer la part d’ombre de chacun bien au-delà de l’âge, de la nationalité ou du contexte historique. Au même titre que les contes traditionnels, le film échappe par là même au simple goût du kitsch ou aux propagandes de circonstance pour s’adresser directement au cœur et à l’esprit. Un chef-d’oeuvre ? En tous cas, ça y ressemble terriblement.