dimanche 3 mai 2009

Zodiac

Étonnant récit d’une véritable énigme courant sur plus d’une décennie, le film de David Fincher s’applique à suivre la sanglante carrière d’un psychopathe sévissant dans la région de San Francisco durant toutes les années 70 - et probablement avant. Basé notamment sur les deux livres écrits par Robert Graysmith qui fut dessinateur pour le prestigieux quotidien San Francisco Chronicle auquel le meurtrier envoyait des lettres cryptées annonçant ses crimes réels ou imaginaires, le film développe avec une précision chirurgicale tous les rouages qui menèrent à un invraisemblable échec policier et judiciaire. Le résultat à l’écran est en tous points remarquable.

Comme une réponse à son célèbre Se7en, Zodiac reprend le thème du serial killer mystérieux mais cette fois dans un traitement résolument différent dû sans doute à l’authenticité des faits. Accumulant une documentation monumentale en plus des ouvrages déjà existants, enquêtant lui-même sur les lieux des crimes et vérifiant les informations disponibles, David Fincher aborde sous l’angle du documentariste un sujet qui hanta son enfance californienne. Réputé pour son exigence pointilleuse, le cinéaste délaisse cette fois le thriller destiné avant tout à faire frissonner le spectateur pour suivre méticuleusement le travail de fourmi d’une poignée de flics et de journalistes inexorablement phagocytés par l’obsession de capturer l’insaisissable meurtrier. Abandonnant de gré ou de force l’enquête au fil des années, tous les protagonistes de cette chasse à l’homme en resteront marqués à vie. L’un d’eux, Robert Graysmith, agissant de son propre chef sans avoir à rendre des comptes à quiconque poursuivra jusqu’au bout son désir ardent de connaître l’identité du tueur. Rien ne pourra arrêter ce jeune homme discret dans sa quête de la vérité.

Tout en privilégiant l’investigation - dans ses mécanismes de réflexion et de déduction qui se déroule davantage dans des bureaux ou une bibliothèque qu’en effectuant des cascades vertigineuses - David Fincher n’oublie pas d’équilibrer un film résolument cérébral par des passages où la tension pure est de mise. En premier lieu desquels se trouvent les meurtres perpétrés par le Zodiac. En grand cinéaste, il met en scène ces moments avec une précision, une économie et une apparente simplicité qui leur donne une intensité peu commune. Ici point de musique pétaradante, de montage hystérique ni d’effets grand guignolesques : à l’image du tueur lui-même tout y est calme, froidement maîtrisé et d’une implacable cruauté.

On retrouve également cette économie jusque dans la reconstitution historique des différentes époques qui, tout en étant précise, ne relève jamais du folklore nostalgique de pacotille, pour passer presque inaperçue et rendre tout le film vaguement intemporel.
Cette fluidité entre les époques se retrouve d’ailleurs dans toute la mise en scène malgré des ellipses couvrant parfois plusieurs années. Inventive, riche, sophistiquée même, mais jamais tape à l’œil, magistralement éclairée par Harris Savides qui retrouve Fincher dix ans après The Game, la réalisation de Zodiac signe la maturité d’un grand cinéaste. Le second plan du film, un long travelling longeant les maisons d’une banlieue californienne donne le La : tout y est en apparence simple et sans surprise. Pourtant l’angle choisi, la lumière, la composition, tout concourt à une impression étrange, vaguement inquiétante qui ne quitte plus le spectateur jusqu’à la fin. Sensation rehaussée par les nombreux effets spéciaux "invisibles" dont Fincher est friand afin de maîtriser sa réalité dans les moindres détails, nous rappelant son admiration pour George Lucas et son passage précoce chez ILM.

Comme toujours chez le cinéaste, l’omniprésence technique ne se fait jamais au détriment de la direction d’acteurs, toujours excellente. Jake Gyllenhaal incarne à la perfection le jeune dessinateur de presse un peu trop réservé qui peine à se faire remarquer de ses collègues. Face à la morgue charmeuse de l'épatant Robert Downey Jr, le tandem sera l’occasion de quelques discrètes touches d’humour fort bien écrites, à l’instar des scènes où Robert Graysmith fait la rencontre de sa seconde femme joliment interprétée par Chloë Sévigny. Film d’antihéros par excellence, toute la distribution est par ailleurs remarquable de justesse et accompagne tout entière l’intrigue telle une chorale, chacun apportant le ton juste au bon moment tout en laissant l'espace aux autres.

Bien sûr, en prenant ainsi à rebrousse-poil le cinéma de genre dont il avait lui-même contribué à forger les codes avec son prestigieux Se7en, David Fincher peut déstabiliser : une certaine lenteur devenue inhabituelle pour ce type de film pourra en effet surprendre, en particulier sur une durée de 2h30. Dire que l’on ne sent pas le temps passer serait mentir mais, tout comme la lecture demande un effort plus important que d’allumer son poste de télé, Zodiac récompense le spectateur par la sensation d’assister à bien autre chose qu’un simple divertissement : le fascinant spectacle d'un cinéaste qui construit et maîtrise parfaitement son œuvre, exigeant jusqu’à réinventer son propre style sans jamais en faire un gadget ni perdre de vue son sujet. Respect.

8 commentaires:

Stéphane Burlot a dit…

Hum... tu me donnes envie, je l'ai pas vu celui-là (je me rappelle juste de la bande annonce).
Il va être dans la prochaine liste achat. Merci.
(et quelle longue chronique !)

tco a dit…

"Dire que l’on ne sent pas le temps passer serait mentir "
Je suis pas d'accord ! ce n'est pas mentir de dire ça ;-)

Je suis assez fan des films traitant des céréales killer(@San-A) en général et celui-ci se démarque vraiment des autres je trouve, en passant outre l'avalanche sanguinolente souvent de mise.

RobbyMovies a dit…

Tiens un Tco ! :)

Oui c'est clair qu'il est différent dans sa manière de traiter le sujet. Cela dit, sans être gore du tout, je trouve que certains meurtres font malgré tout un peu "mal". En particulier celui au bord du lac, je l'ai trouvé assez choquant, je n'en dirais pas plus. Mais il est évident que ce n'était pas le but du film, d'autant qu'il l'avait déjà fait pour Seven.

RobbyMovies a dit…

>Stef

Je suis assez curieux de savoir si tu aimeras... C'est tout de même assez spécial. Tu as aimé ses autres films ?

Maxime a dit…

Bonjour;

Sachez que je hais Fincher. Une mise en scène maniérée, distante, une surenchère d'effets visuels totalement inutile et desservant le sujet.
Rien ne pouvait donc me destiner à voir Zodiac.

Pourtant, j'ai pris une très grosse claque lors de sa sortie.
Les faits, seulement les faits, voilà qui est étonnant pour le réalisateur.
Revenant au source du film noir et aux années 70, Zodiac est l'un de ces films qui vous saisi et ne vous lâche.

Assurément le meilleur film de Fincher.

RobbyMovies a dit…

Bonsoir Maxime

Je ne souscris pas à l’idée d’un film vaguement nostalgique qui devrait sa réussite à une sorte d'abandon de personnalité au profit de vieilles recettes référencées et donc "respectables". Il s’agit d’un véritable film David Fincher, peut-être son plus personnel, reconnaissable dès les premières images et qui à mon sens doit moins à ses aînés qu’on se plait à le dire.
Je le dis d’autant plus facilement que je ne voue pas un culte au réalisateur.

Robby.

Ferdinand a dit…

Moi c'est l'inverse, j'adorais tout ce que j'avais vus de Fincher jusqu'à présent et je n'ai pas du tout accroché à Zodiac.

Sans nier ses innombrables qualités, j'étais de plus en plus sceptique tout le long du film pour finir par carrément me faire chier, et à me retrouver pour la première fois dans toute ma courte histoire de spectateur, à attendre la fin du film.

De fincher, j'aime les fictions, dans un film j'aime qu'il y ait un début et une fin.


Ferdinand

RobbyMovies a dit…

Je peux comprendre, c'est exactement le sentiment que j'ai eu en voyant Fight Club : original, bourré de qualités et... d'un ennui mortel passé la première heure. Va comprendre... :op