A la vision de cette énième adaptation d'un roman de Stephen King une idée vient immédiatement à l'esprit : comment l’association d'autant de talents confirmés peut conduire à une telle catastrophe ? A ce stade la chose relève presque de l'énigme surnaturelle. Car Dreamcatcher n'est pas un film banalement raté comme il en existe tant mais relève plutôt de l'accident industriel grave qui mérite de s'y attarder un instant.
Lawrence Kasdan à la réalisation et le multi-oscarisé William Goldman au scénario écartaient pourtant d'emblée la possibilité d'un échec majeur. Le premier s'est brillamment illustré tant au niveau scénario (L’Empire Contre-Attaque, les Aventuriers de l’Arche Perdue, Silverado…) que réalisation (La Fièvre au Corps, Grand Canyon, Les Copains d’Abord…) tandis que le second peut se prévaloir d'une des plus prestigieuses collections de scénarii du cinéma (Les Hommes du Président, Marathon Man, Princess Bride…) parmi laquelle figure même l'excellent Misery d'après déjà Stephen King. Un budget de superproduction et la participation d'acteurs de qualité complétaient le tableau et laissaient ainsi présager une entreprise sérieuse à l'image d'autres adaptations de l'auteur produites également par la firme Castle Rock (La Ligne Verte, Les Evadés, Dolores Claiborne...).
N'ayant pas lu le roman d'origine, il m'est difficile d'estimer ce qui relève de l'adaptation ou de l'idée originale. Mais peu importe : des mots ont bien été couchés sur papier pour décrire les situations décrites dans un film que des gens ont trouvé judicieux de produire. Et là on ne peut que douter de la santé mentale des décideurs.
Car enfin, comment des producteurs peuvent-ils décemment miser 78 millions de $ (!!!) en lisant cette hallucinante et chaotique compilation de thèmes rabâchés par l'auteur, un salmigondis où se téléscopent entre autres des-amis-d’enfance-se-retrouvant-adultes-pour-affronter-une-force-maléfique, un bestiaire extra-terrestre incohérent, une menace planétaire, une mission secrète de l'Armée, des télépathes, des "spores" empoisonnées et même une obscure guerre intergalactique qu'il nous faut deviner ? Comment peut-on envisager de filmer sans hurler au fou une longue scène aussi incongrue que ce malheureux "possédé" qui gonfle ici ou là, rote et pète grassement avant d’aller expulser un parasite étron dans les toilettes comme dans n’importe quel sous-produit de David DeCoteau ? Comment imaginer Mr Kasdan expliquant doctement à l’ingénieur du son qu'il faudrait que le bruit de pet soit plus prononcé pour produire l'angoisse recherchée ? Comment peut-on coller de tels affolants sourcils postiches à Morgan Freeman sans exploser de rire au premier test ? D’autant que son personnage de vieux Général caricatural passe son temps à débiter des déclarations sentencieuses et imagées sur le thème "on a des couilles". Sans parler d'un improbable final farci aux transformations saugrenues et dialogues tordants.
Enfin, comment Stephen King lui-même put-il qualifier le résultat de "premier film d'horreur et de suspense pleinement satisfaisant qu'un de mes livres ait inspiré au cours de quinze dernières années" ? Il faut reconnaître que le maître n’est pas forcement le meilleur juge en la matière, lui qui réalisa la pire adaptation de son œuvre avec le calamiteux Maximum Overdrive. Toutes ces questions restent sans réponses et même si la lumière de John Seale participe à la réussite de quelques jolis passages, Dreamcatcher demeure un supermega Z de Major, sommet de l'incongruité enveloppée dans une forme grand luxe, méritant sa place dans la Zone Fantôme du cinéma aux côté de Battlefied Earth, Waterworld et Catwoman.
vendredi 26 juin 2009
lundi 22 juin 2009
Dans la Brume Electrique
28 ans après son percutant Coup de Torchon adapté du romancier Jim Thompson, pape du polar US, l’américanophile Bertrand Tavernier se penche sur un autre de ses auteurs fétiches : James Lee Burke. Il abandonne cette fois le principe de la transposition qui voyait Coup de Torchon se dérouler en Afrique pour réaliser une adaptation géographiquement très pointilleuse. Nous sommes ici sur les lieux même de l'intrigue originale : New Iberia, Louisiane. Casting hollywoodien et équipe américaine au service d'une production française, Dans la Brume Electrique est un film hors normes dans la carrière du cinéaste. S’il réalise enfin l’un de ses rêves en tournant sa première fiction aux Etats-Unis, il peine à réitérer son exploit de 1981.
L'ambiance est donc celle de la poisseuse et pesante Louisiane éternellement gangrenée par les démons du racisme ordinaire et une pauvreté partout affleurante. C’est dans une mise en image sensible et intelligente que Bertrand Tavernier montre ici le meilleur de son talent. En évitant les clichés spectaculaires ou les effets à la mode pour miser sur une réalisation fluide et classique, il permet au spectateur de s’immerger dans ce cadre moite et figé dans son Histoire qui convient si bien au roman noir. Soutenue par une brillante bande originale signée Marco Beltrami et une très belle lumière de Bruno De Keyser, l’atmosphère de la Louisiane a rarement été aussi vivante à l’écran.
L’autre réussite du film est un personnage. Celui de Dave Robicheaux, flic, (ex) alcoolique et dépressif incarné par un Tommy Lee Jones remarquable de sobriété et justesse. Là aussi nous sont épargnés les clichés du flic looser et solitaire au profit d’un vibrant portrait nuancé et humain. Alternant les moments de détresse et les accès de violence, le quotidien du père de famille et les errances du flic hanté par le passé - au propre comme au figuré -, le film tout entier existe par son regard. Face à lui, le reste de la distribution fait office de figuration, y compris un John Goodman poussif et guère convaincant dans le registre du bad guy.
Mais ainsi concentré sur l’atmosphère et le personnage principal, Bertrand Tavernier semble surtout négliger l'intrigue. Ou plutôt, selon que l'on soit fan hardcore ou non du genre, on trouvera que cette histoire de tueur en série mâtinée de vieux crime raciste sur fond de mafia locale est un pur classique du polar américain ou bien une énième resucée qui ronronne du début à la fin. Tout y est désespérément prévisible, tant au niveau de "l’énigme" que des rebondissements. On relie entre eux les éléments de l'enquête bien avant le héros et ce en dépit même de quelques légèretés narratives. Y ajouter de vagues évocations politiques liées aux conséquences de l'ouragan Katrina n'y change rien : sans produire un véritable ennui, le film peine à captiver.
Bertrand Tavernier a su éviter bien des faiblesses de forme malgré les soucis rencontrés lors du tournage (Tommy Lee Jones retors, incompatibilité avec le monteur et l’un des producteurs, solitude du réalisateur expatrié, production onéreuse…). Mais une telle déficience du scénario est difficile à accepter dans le cadre d’un projet entièrement voulu et porté par le réalisateur avec le soutien de James Lee Burke à l’écriture. Ici point de vilain Grand Studio castrateur à incriminer. On pouvait dès lors s’attendre à une alchimie plus audacieuse et atypique entre un auteur prestigieux et un cinéaste qui avait si brillamment réussi Coup de Torchon grâce à une distribution puissante et homogène, une intrigue vénéneuse et une réalisation originale.
Par son extrême classicisme de forme et de fond légèrement parfumé à la naphtaline auquel s’ajoute une certaine vision de "l’Amérique éternelle", Dans la Brume Electrique devrait séduire avant tout les admirateurs du cinéma de Clint Eastwood. Malgré ses qualités, les autres se demanderont sans doute : "tout ça pour ça ?".
L'ambiance est donc celle de la poisseuse et pesante Louisiane éternellement gangrenée par les démons du racisme ordinaire et une pauvreté partout affleurante. C’est dans une mise en image sensible et intelligente que Bertrand Tavernier montre ici le meilleur de son talent. En évitant les clichés spectaculaires ou les effets à la mode pour miser sur une réalisation fluide et classique, il permet au spectateur de s’immerger dans ce cadre moite et figé dans son Histoire qui convient si bien au roman noir. Soutenue par une brillante bande originale signée Marco Beltrami et une très belle lumière de Bruno De Keyser, l’atmosphère de la Louisiane a rarement été aussi vivante à l’écran.
L’autre réussite du film est un personnage. Celui de Dave Robicheaux, flic, (ex) alcoolique et dépressif incarné par un Tommy Lee Jones remarquable de sobriété et justesse. Là aussi nous sont épargnés les clichés du flic looser et solitaire au profit d’un vibrant portrait nuancé et humain. Alternant les moments de détresse et les accès de violence, le quotidien du père de famille et les errances du flic hanté par le passé - au propre comme au figuré -, le film tout entier existe par son regard. Face à lui, le reste de la distribution fait office de figuration, y compris un John Goodman poussif et guère convaincant dans le registre du bad guy.
Mais ainsi concentré sur l’atmosphère et le personnage principal, Bertrand Tavernier semble surtout négliger l'intrigue. Ou plutôt, selon que l'on soit fan hardcore ou non du genre, on trouvera que cette histoire de tueur en série mâtinée de vieux crime raciste sur fond de mafia locale est un pur classique du polar américain ou bien une énième resucée qui ronronne du début à la fin. Tout y est désespérément prévisible, tant au niveau de "l’énigme" que des rebondissements. On relie entre eux les éléments de l'enquête bien avant le héros et ce en dépit même de quelques légèretés narratives. Y ajouter de vagues évocations politiques liées aux conséquences de l'ouragan Katrina n'y change rien : sans produire un véritable ennui, le film peine à captiver.
Bertrand Tavernier a su éviter bien des faiblesses de forme malgré les soucis rencontrés lors du tournage (Tommy Lee Jones retors, incompatibilité avec le monteur et l’un des producteurs, solitude du réalisateur expatrié, production onéreuse…). Mais une telle déficience du scénario est difficile à accepter dans le cadre d’un projet entièrement voulu et porté par le réalisateur avec le soutien de James Lee Burke à l’écriture. Ici point de vilain Grand Studio castrateur à incriminer. On pouvait dès lors s’attendre à une alchimie plus audacieuse et atypique entre un auteur prestigieux et un cinéaste qui avait si brillamment réussi Coup de Torchon grâce à une distribution puissante et homogène, une intrigue vénéneuse et une réalisation originale.
Par son extrême classicisme de forme et de fond légèrement parfumé à la naphtaline auquel s’ajoute une certaine vision de "l’Amérique éternelle", Dans la Brume Electrique devrait séduire avant tout les admirateurs du cinéma de Clint Eastwood. Malgré ses qualités, les autres se demanderont sans doute : "tout ça pour ça ?".
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mardi 9 juin 2009
Planète Interdite
Pour cette 50e chronique il était temps de rendre enfin hommage au film qui inspira son nom à ce blog et bien davantage encore. L’exercice n’est pas simple tant le film de Fred Mc Leod Wilcox fut disséqué, décrypté, interprété, célébré depuis sa sortie sur les écrans voilà 53 ans. Oui, Planète Interdite c’est un peu le Citizen Kane de la science-fiction, le Autant En Emporte le Vent du space opera, bref : un monument du cinéma.
La science-fiction à l’écran ne fut longtemps qu’un genre mineur, sérial de pacotille ou éternelle série B fauchée, bâclée et vouée aux doubles programmes. Si les années 50 marquèrent un véritable tournant grâce à des œuvres telles que Le Jour où la Terre S’arrêta, l’Invasion de Profanateurs ou La Chose d’un Autre Monde, c’est encore souvent au travers de films modestes se situant essentiellement dans un contexte contemporain faisant écho à la Guerre Froide qui fait rage à l’époque. Même Les Survivants de l’Infini, dont le final spectaculaire se déroule sur la planète Metaluna, traite encore de savants abusés par l’ennemi. Suivez mon regard...
La MGM, qui voit tous les succès du genre lui passer sous le nez, décide de frapper un grand coup en regardant plus loin que ses concurrents, sur le fond comme sur la forme. En s’inspirant de La Tempête de Shakespeare et en y ajoutant une dose de psychanalyse jungienne - option rare et provocante à l’époque - le tout transposé très loin de la Terre sur la lointaine et mystérieuse planète Altaïr IV, le film tient résolument à se démarquer de ses prédécesseurs : introspection et voyage intergalactique, lointain futur et tourments éternels propulsent ainsi Planète Interdite vers un classicisme universel et intemporel dès sa conception.
Si la réalisation est confiée à un cinéaste maison sans grand caractère - usage fréquent pour ne pas dire incontournable à l’époque - c’est pour garder un contrôle rigoureux sur ce qui est avant tout un film du scénariste Cyril Hume et de ses producteurs. Le budget imposant souligne cette volonté d’illustrer au mieux les ambitions des auteurs : direction artistique magistrale, première utilisation du CinémaScope et du flamboyant Eastmancolor sur un film de ce type, crème des spécialistes des effets spéciaux empruntée aux prestigieux Studios Disney. Quant à la musique, elle est confiée aux très avant-gardistes Louis et Bebe Barron qui concoctent en 3 mois dans leur studio de Greenwich Village, et après avoir construit leurs propres instruments, une étourdissante partition électronique. Sans oublier bien sûr le soin sans précédent apporté à la réalisation du personnage de Robby le Robot qui achève de donner à Planète Interdite son statut de film culte.
Audace artistique, ambition, moyens appropriés : le cocktail magique fait des miracles. Lors des projections test, l’impact est tel que rien n’est modifié pour la sortie du film. La MGM tient la pépite qu’elle a mis tant de soin à concevoir. Mais comment prévoir la résonance infinie que le film allait produire sur plusieurs générations de spectateurs ? Malgré un succès mitigé qui peine à rembourser le budget de production, Planète Interdite devient immédiatement une œuvre de référence qui change à jamais le cinéma de science fiction.
En 2006 j’ai eu l’immense plaisir de redécouvrir le film sur grand écran dans une copie neuve.
Si la surprise n’était plus de mise, l’émerveillement fut au rendez-vous tant les couleurs et les qualités esthétiques conservent toutes leurs richesses 50 ans après. Bien sûr l’inévitable idylle entre le fringant capitaine et la fille du professeur toute en minijupe et coiffure pimpante prête à sourire, tout comme les moments de comédie imposées par la MGM semblent souvent déplacés et puérils. Mais comment ne pas être ébloui aujourd’hui encore par cette intrigue d’une incomparable maturité se déroulant au sein d’une étrange civilisation mystérieusement disparue à son apogée, ces Krells dont on ne peut deviner l’apparence que par la forme des portes ? Ou bien ces effrayantes empreintes laissées par une insaisissable créature invisible qui parcourt la planète en semant la mort sur son passage, les décors vertigineux des cités enfouies, le twist final et la spectaculaire confrontation avec le monstre de l’Id… Et puis cette entêtante musique électronique qui joue un rôle décisif dans l’atmosphère unique du film, une audace que sanctionnèrent les syndicats hollywoodiens en refusant aux Barron le crédit de musique au profit des termes "electronic tonalities".
Revoir le film dans son état d’origine permet de mieux saisir encore ses innombrables qualités qui inspirèrent tant de créateurs. Le plus connu d’entre eux est évidemment Gene Roddenberry qui 10 ans plus tard imagina la saga Star Trek en reprenant nombre d’éléments du film : équipage, époque et même le numéro d’immatriculation du célèbre Enterprise qui est une référence directe à l’heure où la soucoupe de Planète Interdite entre en orbite d’Altaïr IV : 17:01. Comment ne pas penser aussi au ton très "butler" de Robby dont le distingué C-3PO de Star Wars fait écho, ou aux puits insondables de l'Etoile Noire, répliques presque parfaites de l'univers Krell ? L’on ne compte plus les oeuvres dont le point de départ est un équipage lancé à la recherche d’une expédition disparue aux confins de l’univers. Certains évoquent même une filiation avec le 2001 de Kubrick qui lui aussi osa allier grand spectacle cosmique et questionnement introspectif.
Mais au fond peu importe. L’impact de Planète Interdite sur l’imaginaire collectif reste immense et continuera d’émerveiller des générations de nouveaux spectateurs et de cinéphiles. Car outre une beauté formelle exceptionnelle qui peut paraître datée à certains, la grande force de Planète Interdite réside dans les thèmes abordés, sa faculté à évoquer la part d’ombre de chacun bien au-delà de l’âge, de la nationalité ou du contexte historique. Au même titre que les contes traditionnels, le film échappe par là même au simple goût du kitsch ou aux propagandes de circonstance pour s’adresser directement au cœur et à l’esprit. Un chef-d’oeuvre ? En tous cas, ça y ressemble terriblement.
La science-fiction à l’écran ne fut longtemps qu’un genre mineur, sérial de pacotille ou éternelle série B fauchée, bâclée et vouée aux doubles programmes. Si les années 50 marquèrent un véritable tournant grâce à des œuvres telles que Le Jour où la Terre S’arrêta, l’Invasion de Profanateurs ou La Chose d’un Autre Monde, c’est encore souvent au travers de films modestes se situant essentiellement dans un contexte contemporain faisant écho à la Guerre Froide qui fait rage à l’époque. Même Les Survivants de l’Infini, dont le final spectaculaire se déroule sur la planète Metaluna, traite encore de savants abusés par l’ennemi. Suivez mon regard...
La MGM, qui voit tous les succès du genre lui passer sous le nez, décide de frapper un grand coup en regardant plus loin que ses concurrents, sur le fond comme sur la forme. En s’inspirant de La Tempête de Shakespeare et en y ajoutant une dose de psychanalyse jungienne - option rare et provocante à l’époque - le tout transposé très loin de la Terre sur la lointaine et mystérieuse planète Altaïr IV, le film tient résolument à se démarquer de ses prédécesseurs : introspection et voyage intergalactique, lointain futur et tourments éternels propulsent ainsi Planète Interdite vers un classicisme universel et intemporel dès sa conception.
Si la réalisation est confiée à un cinéaste maison sans grand caractère - usage fréquent pour ne pas dire incontournable à l’époque - c’est pour garder un contrôle rigoureux sur ce qui est avant tout un film du scénariste Cyril Hume et de ses producteurs. Le budget imposant souligne cette volonté d’illustrer au mieux les ambitions des auteurs : direction artistique magistrale, première utilisation du CinémaScope et du flamboyant Eastmancolor sur un film de ce type, crème des spécialistes des effets spéciaux empruntée aux prestigieux Studios Disney. Quant à la musique, elle est confiée aux très avant-gardistes Louis et Bebe Barron qui concoctent en 3 mois dans leur studio de Greenwich Village, et après avoir construit leurs propres instruments, une étourdissante partition électronique. Sans oublier bien sûr le soin sans précédent apporté à la réalisation du personnage de Robby le Robot qui achève de donner à Planète Interdite son statut de film culte.
Audace artistique, ambition, moyens appropriés : le cocktail magique fait des miracles. Lors des projections test, l’impact est tel que rien n’est modifié pour la sortie du film. La MGM tient la pépite qu’elle a mis tant de soin à concevoir. Mais comment prévoir la résonance infinie que le film allait produire sur plusieurs générations de spectateurs ? Malgré un succès mitigé qui peine à rembourser le budget de production, Planète Interdite devient immédiatement une œuvre de référence qui change à jamais le cinéma de science fiction.
En 2006 j’ai eu l’immense plaisir de redécouvrir le film sur grand écran dans une copie neuve.
Si la surprise n’était plus de mise, l’émerveillement fut au rendez-vous tant les couleurs et les qualités esthétiques conservent toutes leurs richesses 50 ans après. Bien sûr l’inévitable idylle entre le fringant capitaine et la fille du professeur toute en minijupe et coiffure pimpante prête à sourire, tout comme les moments de comédie imposées par la MGM semblent souvent déplacés et puérils. Mais comment ne pas être ébloui aujourd’hui encore par cette intrigue d’une incomparable maturité se déroulant au sein d’une étrange civilisation mystérieusement disparue à son apogée, ces Krells dont on ne peut deviner l’apparence que par la forme des portes ? Ou bien ces effrayantes empreintes laissées par une insaisissable créature invisible qui parcourt la planète en semant la mort sur son passage, les décors vertigineux des cités enfouies, le twist final et la spectaculaire confrontation avec le monstre de l’Id… Et puis cette entêtante musique électronique qui joue un rôle décisif dans l’atmosphère unique du film, une audace que sanctionnèrent les syndicats hollywoodiens en refusant aux Barron le crédit de musique au profit des termes "electronic tonalities".
Revoir le film dans son état d’origine permet de mieux saisir encore ses innombrables qualités qui inspirèrent tant de créateurs. Le plus connu d’entre eux est évidemment Gene Roddenberry qui 10 ans plus tard imagina la saga Star Trek en reprenant nombre d’éléments du film : équipage, époque et même le numéro d’immatriculation du célèbre Enterprise qui est une référence directe à l’heure où la soucoupe de Planète Interdite entre en orbite d’Altaïr IV : 17:01. Comment ne pas penser aussi au ton très "butler" de Robby dont le distingué C-3PO de Star Wars fait écho, ou aux puits insondables de l'Etoile Noire, répliques presque parfaites de l'univers Krell ? L’on ne compte plus les oeuvres dont le point de départ est un équipage lancé à la recherche d’une expédition disparue aux confins de l’univers. Certains évoquent même une filiation avec le 2001 de Kubrick qui lui aussi osa allier grand spectacle cosmique et questionnement introspectif.
Mais au fond peu importe. L’impact de Planète Interdite sur l’imaginaire collectif reste immense et continuera d’émerveiller des générations de nouveaux spectateurs et de cinéphiles. Car outre une beauté formelle exceptionnelle qui peut paraître datée à certains, la grande force de Planète Interdite réside dans les thèmes abordés, sa faculté à évoquer la part d’ombre de chacun bien au-delà de l’âge, de la nationalité ou du contexte historique. Au même titre que les contes traditionnels, le film échappe par là même au simple goût du kitsch ou aux propagandes de circonstance pour s’adresser directement au cœur et à l’esprit. Un chef-d’oeuvre ? En tous cas, ça y ressemble terriblement.
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