dimanche 21 août 2011

Super 8

1979 : une petite communauté américaine pur jus, des gamins à vélo qui font des conneries, les parents un peu largués, un alien, des éclairages bleus, une louche de mélo, une musique qui symphonise… Ça ne vous rappelle rien ? Si ? Normal, c'est fait exprès. À l'heure d'un revival eighties qui s'éternise, J.J. Abrams entend "rendre hommage" au réalisateur-producteur emblématique de cette décennie : Sa Majesté Steven Spielberg. Au passage, le réalisateur du récent Star Trek ne se mouche pas du coude et fait carrément produire son petit compliment par le maître lui-même.

Durant les années 80, suite au succès colossal de E.T. qui lui-même faisait écho à son prodigieux Rencontres du 3e Type, Spielberg décline sa formule magique en tant que producteur. Confiant des budgets raisonnables à des cinéastes inspirés qui revisitent les thèmes du ciné de genre de leur enfance (hé oui, déjà), Onc' Steven produit une floppée de "petits films" presque tous passés à la postérité : Poltergeist, Gremlins, Retour vers le Futur, L'Aventure Intérieure, Miracle sur la 8eme Rue, le Secret de la Pyramide, Les Goonies, etc. Liste non exhaustive à laquelle il convient d'ajouter Explorers et Cocoon, deux productions nettement plus onéreuses non initiées par Spielberg* mais qui reprennent parfaitement l'esprit de sa dreamteam : scénarios malins et toniques confrontant des personnages de la middle class à un imaginaire protéiforme selon les films, mise scène léchée et effets spéciaux d'avant-garde signés ILM forment un cocktail unique qui émerveille toute une génération. En l’occurrence celle du réalisateur de Super 8.

Mais J.J. Abrams aurait dû s'inspirer plus finement de son idole pour exécuter sa révérence. Car si E.T. et quelques autres productions Amblin sont teintées de nostalgie enfantine, les auteurs ont l'intelligence de l'intégrer harmonieusement dans des films bien ancrés dans leur époque. Et lorsque Spielberg entreprend Les Aventuriers de l'Arche Perdue en forme d'hommage à une période et un genre, il brasse une multitude d'inspirations au point de les rendre indiscernables. Surtout, il y ajoute son talent et son imaginaire pour créer son propre style qui dépasse largement le modèle.

Or en accumulant autant de gimmicks intimement liés à l'univers d'un autre cinéaste - voire à un film en particulier -, J.J. Abrams n'offre qu'une étrange nostalgie par procuration. Pire : il fait du concept rétro le cœur du projet. Un parti pris non seulement superficiel, mais surtout inutile à l'intrigue. Au point où si l'on ne savait pas le cinéaste sincère dans son admiration pour Spielberg, on pourrait accuser Super 8 de n'être qu'un cynique calcul commercial ciblant toute une génération de vieux cons spleenétiques.

Bien sûr, en bon faiseur, Abrams atteint parfois son but : le film se regarde sans ennui, les jeunes comédiens sont épatants, le regard sur ces cinéastes en herbe est parfois drôle et non exempt d'émotion. Mais en restant planqué derrière sa photocopieuse, incapable de s'affirmer ou d'apporter une touche personnelle, le réalisateur s'expose bêtement à une comparaison permanente et surtout cruelle puisque largement en sa défaveur : histoire désespérément banale, rebondissements paresseux, photographie médiocre, mise en scène fonctionnelle et musique au kilomètre. Même du côté des effets spéciaux la surprise n'est pas au rendez-vous. C'est dire si l'on est loin du compte.

Bref, même sous l'angle de la nostalgie, Super 8 relève davantage de la pâtisserie industrielle que de la savoureuse madeleine de Proust. Car J.J. Abrams oublie l'essentiel des films auxquels il se réfère : une identité propre et un soucis d'innovation hissant la série B fantastique à un niveau rarement atteint, changeant pour longtemps la manière d'envisager un certain cinéma. Rien de tel ici.


* Explorers est signé Joe Dante pour qui Spielberg produisit Gremlins 1 et 2, l'Aventure Intérieure et un segment de la Quatrième Dimension. Le projet lui fut proposé par Jeffrey Katzenberg qui fondera plus tard Dreamworks avec David Geffen et... Steven Spielberg. C'est dire si l'on reste dans le même cercle d'inspiration...

mercredi 20 avril 2011

Harry Potter et Les Reliques de la Mort (1)

Après la vertigineuse dégringolade qualitative des deux derniers chapitres parfumés à la guimauve et pilonnés par un David Yates incapable de livrer autre chose que de longs bout à bouts poussifs et sans âme, cette première partie des Reliques de la Mort relève de la bonne surprise. On ne s'y ennuie pas à mourir comme dans L'Ordre du Phoenix et surtout Le Prince de Sang-mêlé : sur 2h20 c'est déjà un gros progrès. Plus surprenant encore, David Yates livre une réalisation soignée, presque inspirée (!) qui parvient, pour la première fois, à contrebalancer les faiblesses du récit.

Car en dépit des apparences - et de la promo -, tout ceci demeure toujours très léger, en particulier dans la manière d'enchaîner les événements à coup d'illuminations subites, de visions commodes et de hasard capillotracté. Un récit où la magie permet à peu près tout mais où il faut courir dans les bois quand on est poursuivi et plonger dans l'eau glacée pour aller chercher un truc. Tant qu'il s'agissait d'une intrigue trépidante et d'un spectacle flamboyant, ces facilités relevaient d'une naïveté bonne enfant. Mais dès lors que l'on prétend au "sérieux" via une darkitude ici (très) appuyée et quelques thèmes dits "adultes" afin d'y gagner en crédibilité, cette paresse devient difficilement pardonnable. D'aucun y trouveront un souci de mélanger les genres ; j'y vois plutôt un cruel manque de rigueur et d'inspiration.

C'est d'autant plus regrettable que quelques belles idées de fond et de forme enrichissent ces Reliques : la prise de pouvoir des méchants sorciers est l'occasion de traiter de l'obsession de la pureté raciale et de la haine du métissage. C'est plutôt habilement tourné et surtout inattendu dans un univers de Fantasy d'ordinaire très friand de "sang pur" et de lignées royales. Le thème était déjà présent au début de la saga mais J.K. Rowling va ici un peu plus loin, entretenant ainsi l'une des singularités de son univers qui utilise une structure classique sans tomber dans les idéologies moisies chères à une certaine littérature jeunesse. Autre idée judicieuse : abandonner la consternante "évolution" soap qui rendait le précédent film indigeste jusqu'au ridicule. Cette fois les sentiments sont présents comme ils l'étaient dans La Coupe de Feu : à dose raisonnable. OUF !

Sur la forme, outre une introduction pleine de souffle qui rappelle les meilleures heures de la série et une surprenante séquence animée de toute beauté, David Yates adapte enfin sa mise en scène au propos. Sans réussir vraiment à provoquer l'émotion quand il le faudrait – ça semble décidément au-dessus de ses forces – il parvient tout de même à créer de véritables ambiances, un climat qui imprègnent peu à peu le spectateur. Une très belle direction artistique homogène et joliment cadrée, enluminée avec talent par Eduardo Serra et accompagnée par la musique d'Alexandre Desplat donne à l'ensemble une belle cohérence formelle qui compense les aspects quelque peu heurtés et pas toujours très clairs de l'intrigue pour qui n'a pas le livre sur les genoux durant la projection.

Et même si la main est lourde pour tenter d'altérer à coup de cernes la bonne mine du jeune trio de comédiens, même si la plus grande partie du film se résume à une randonnée un tantinet répétitive - qui a le mérite de nous sortir du sempiternel décor gothique de Hogwarts -, le tout n'est décidément pas sans charme ni intérêt. Certes, l'on n'atteint pas l'alchimie bien balancée et évolutive des opus ouvrants la saga, mais cette première partie du chapitre final retrouve une certaine dignité et surtout donne envie de découvrir la suite : on n'en espérait pas tant ! David Yates parviendra-t-il à ajouter l'énergie et l'émotion aux louables efforts produits ici ? Une chose est sûre : avec l'ultime volet, on ne pourra pas nous refaire le coup de "l'épisode de transition" pour justifier les errances des auteurs.

samedi 2 avril 2011

La Disparition d'Alice Creed

Ça vous fait envie le premier film du scénariste de The Descent 2, tourné en vidéo HD avec un budget famélique ? Non ? Vous avez tort car cette Disparition est un petit bijou de cinéma de genre, méticuleusement réalisé sur une intrigue qui manie le rebondissement avec une réjouissante efficacité. Le tout avec seulement 3 personnages et un appartement (ou presque), on a envie de se lever pour applaudir ce petit-cousin teigneux du Limier ou de Piège Mortel.

Par égard pour le futur spectateur, il est préférable d'éviter l'évocation trop précise de cette histoire qui fonctionne beaucoup sur l'effet de surprise. Tout juste peut-on exposer le point de départ : 2 voyous préparent l'enlèvement de la fille d'un homme richissime afin d'obtenir une rançon. Ils mettent en œuvre un plan millimétré à mi-chemin entre l'expédition scientifique et le commando militaire : tout est prévu même le menu des repas, chaque geste est déterminé à l'avance, chaque étape s'imbrique à la perfection dans la suivante. Et puis évidemment l'imprévu surgit. Quoique…

Outre son scénario malin et jubilatoire, J. Blackeson signe là un premier film d'une remarquable maturité formelle : pas de place ici pour les grosses ficelles du cinéma fauché où l'on fait paresseusement trembler la caméra "pour faire vrai". Avec la même minutie qu'à l'écriture, le jeune cinéaste soigne chaque plan sans jamais sombrer dans une virtuosité affectée : tout y est limpide, fluide et parfaitement à sa place. Même la longue introduction muette évite l'effet gratuit tant elle est parfaitement en adéquation avec ce qui s'y déroule. La lumière suit la même logique : à la fois pure et discrète, elle enveloppe au mieux une image vidéo qui sait se faire oublier grâce notamment au superbe cadre en 2:35.

Avec un trio de comédiens qui fait figure de cerise sur un gâteau décidément savoureux, Blackeson montre qu'il est aussi un excellent directeur d'acteurs. Eddie Marsan campe un kidnappeur flippant par son obsession glaciale du moindre détail. On a peine à reconnaître le petit inspecteur Lestrade du Sherlock Holmes de Guy Ritchie.
En parvenant à insuffler une énergie folle à un personnage de victime pour le moins ingrat, Gemma Arterton montre qu'elle vaut infiniment mieux que les emplois ineptes auxquels elle est abonnée (Quantum of Solace, Le Choc des Titans, Prince of Persia, bientôt La Momie 4 !). Dans un rôle moins expressif, Martin Compston peine parfois à rivaliser avec ses partenaires, mais peu importe : l'alchimie fonctionne à plein et le trio promène impeccablement le spectateur du début à la fin.

Le magazine Variety classe en 2010 J. Blackeson parmi les 10 réalisateurs à suivre. En effet, après ce coup d'essai en forme de thriller économe et roboratif qui ne joue jamais la carte du clin d'œil référentiel ou du pré-formatage "culte", on attend avec une certaine gourmandise la prochaine œuvre de ce jeune auteur britannique dont l'irruption inattendue n'est pas sans rappeler celle de Danny Boyle. On lui souhaite le même succès.

jeudi 24 mars 2011

Elizabeth Taylor (1932 - 2011)

Elizabeth Rosemond Taylor est morte à l'âge de 79 ans. Ce n'est pas un drame au-delà de ses proches, mais c'est un événement pour tout cinéphile, une page qui se tourne dans l'Histoire du 7e Art et l'épilogue d'un certain Hollywood dit "mythique".

À l'âge où l'on se fiche éperdument des génériques et où l'on ne fréquente les salles obscures qu'à l'occasion d'un Disney, son nom fut l'un des repères qui me permit de m'orienter dans un univers cinématographique encore flou et vertigineux. La diffusion télévisée du monumental - et sous-estimé - Cléopâtre de Joseph L.Mankiewicz fut l'un des déclics qui m'incita à pister qui faisait quoi derrière ces images flamboyantes. Par la suite, les noms du réalisateur et de l'actrice à nouveau réunis attirèrent mon attention : il s'agissait de Soudain l'Ete Dernier. J'aurais pu être déconcerté par le gouffre séparant l'austère adaptation de Tennessee Williams de la fastueuse superproduction antique : cela m'éveilla au contraire à l'infinie diversité du 7e Art.

Plus tard, lors de la fréquentation assidue des ciné-clubs, il me semblait que son nom ne quittait jamais l'affiche bien longtemps : Qui a Peur de Virginia Wolf, Une Place au Soleil, Boom, Reflets dans un Œil d'Or, La Mégère Apprivoisée, Une Chatte sur un Toit Brûlant, Géant... me faisaient découvrir au passage Mike Nichols, George Stevens, Joseph Losey, John Huston, Richard Burton, Marlon Brando, Montgomery Clift et tant d'autres encore. De fil en aiguille, les pistes se croisaient, s'assemblaient pour tisser un formidable réseau d'affinités affectives et professionnelles qui ne devait rien au hasard : Elizabeth Taylor avait bel et bien construit une carrière d'une richesse et d'une diversité sans égale. Je n'allais jamais voir un film pour elle, mais parce que sa présence était plus que d'autres la promesse de nouvelles découvertes et un gage de qualité bien au-delà de sa propre prestation.

Car malgré ses 2 Oscars, Elizabeth Taylor n'était pas la meilleure actrice du monde. Hormis dans Qui a Peur de Virginia Wolf où elle était à la hauteur de son statut de superstar et surtout de son immense partenaire de mari Richard Burton - qui lui n'obtint jamais la récompense suprême -, il fallait au mieux se contenter d'un jeu correct à la technique parfois datée. L'essentiel de son talent tenait plutôt à ce charisme si particulier qui, à la ville comme à l'écran, pouvait transformer en quelques instants la classe incarnée en virago d'une effrayante vulgarité. Son regard fulgurant d'une rare intensité, sa voix haute perchée, son profil de médaille et sa silhouette plantureuse illustraient à merveille cette dualité aristocratique et animale qui fascinait tant de prestigieux cinéastes. Une force de caractère qui imprimait si bien la pellicule que personne ne songeait lui confier des rôles de ravissante idiote.

Enfant gâtée issue d'une famille aisée, coachée par une mère ex-actrice, la petite Liz connut très tôt la célébrité. À 10 ans elle tourna son premier film, à 12 rencontra un premier grand succès et atteignit définitivement le statut de superstar en 1956 avec Géant de George Stevens. Symbole du Hollywood des grands studios, elle fut aussi celui de leur chute et de la fin d'une discipline de fer qu'ils imposaient à leurs cheptels de comédiens sous contrats. Se moquant des codes moraux et des agents de com' qui orchestraient autant la carrière que la vie privée des stars, Elizabeth Taylor n'en fit qu'à sa tête durant toute sa vie. Cette volonté de s'émanciper de toute autorité morale fit d'elle l'une des premières vedettes à occuper les journaux autant pour sa carrière que pour sa vie privée : mariages à répétition, deuils, opérations multiples, passion du luxe, amitiés indéfectibles, contrats pharaoniques, excès divers, tout était proportionnel à l'idée que le public se faisait d'Hollywood et de son apologie de la démesure.

Première actrice à franchir le cap symbolique du million de dollars pour son rôle dans Cléôpatre, elle fut surtout une pionnière pour exiger un pouvoir croissant sur les films auxquels elle participait. Gérant au mieux sa notoriété, elle influa très tôt sur le casting, le choix du réalisateur ou l'orientation d'un projet à une époque où ce n'était guère l'usage. Il en résulta cette filmographie unique et incomparable à celles de la plupart de ses collègues féminines de l'époque.

Bien sûr, seuls ses proches surent quel être humain elle fut au-delà du glamour publicitaire enveloppant toute star de son envergure. Parmi les innombrables anecdotes à son sujet, l'une d'elles nous donne peut-être un indice sur sa personnalité : son grand ami Montgomery Clift eut un terrible accident de voiture au sortir d'une soirée donnée par la star. Elizabeth Taylor arriva la première sur les lieux du drame et découvrit son ami mourant, défiguré, la mâchoire éclatée. Elle lui sauva la vie en lui extirpant de la gorge ses propres dents qui l'étouffaient. Plus tard, Montgomery Clift lui offrit l'une de ces dents qu'elle fit monter en bijou et qu'elle porta longtemps. Rock'n roll !

Mais peu importent les ragots, le glamour, les frasques matrimoniales et même son combat exemplaire contre le SIDA dont elle fut, là encore, la première à relayer l'urgence en levant des dizaines de millions de dollars pour la recherche : c'est son incidence sur ma vie de cinéphile que je salue aujourd'hui à l'occasion de sa disparition. Nulle tristesse de pacotille ni pathétique compassion de fan énamouré, mais une juste reconnaissance envers une artiste qui, parmi d'autres, est à l'origine de ces pages et de la passion qui les anime encore aujourd'hui.

mercredi 16 mars 2011

The Social Network

C'est l'histoire d'un jeune type qui développe un truc cool et globalement inutile - c'est un utilisateur assidu qui l'écrit - en exploitant l'idée d'un autre avec l'argent d'un pote. Il le fait parce qu'il s'est pris un vent par sa copine de classe. Depuis, le truc en question est censé avoir révolutionné le monde ou à peu près. D'ailleurs ça vaut des milliards, ou plutôt c'est "évalué" à des milliards. Sa valeur étant déterminée par celle que lui accordent ses acheteurs potentiels, il n'y a aucune limite : 10, 50, 100 milliards $ ? En tout cas assez pour que chacun tienne à récupérer une part de ce gâteau aux allures de coquille vide : Facebook.

Après le tueur vintage de son enfance dans Zodiac et la fresque fantastico-mélodramatique de L'Etrange Cas de Benjamin Button, c'est donc à un sujet assez quelconque que décide de s'attaquer David Fincher : un biopic doublé d'une success-story comme Hollywood les aime. Avec tout de même une singularité de taille puisque l'aventure se poursuit plus que jamais aujourd'hui : Facebook fut créé en 2004, ouvert à tous en 2006, le livre de Ben Mezrich a été écrit en 2009 et le film dont il est tiré est sorti en 2010 en pleine Facebookmania. En somme du cinéma en temps - presque - réel, en parfaite adéquation avec son sujet, le web. Un film bien dans son époque également par le type de personnage qu'il décrit : un milliardaire post-ado, fruits de la génération startup où un jeune informaticien rusé peut se rêver nabab en quelques mois pour peu que des investisseurs voient en lui "l'Avenir".

David Fincher nous avait habitué à des sujets plus tordus, ou tout au moins plus intrigants. Mais la diversité est souvent la marque des cinéastes talentueux. Et c'est bien de talent dont il s'agit ici, car c'est avec une maîtrise rare que le cinéaste parvient à offrir un film brillant... à défaut d'être passionnant. Si, c'est possible !

S'il est bien question d'une success-story, on n'est pas exactement sur le registre Rocky Balboa. Nous avons affaire à une poignée de jeunes gens issus de l'Amérique la plus gâtée, des étudiants fortunés dans le cadre cosy de la prestigieuse université d'Harvard. C'est peu dire que côté "revanche" et "adversité", on navigue dans le relatif. Difficile de vibrer pour des personnages qui ne risquent absolument rien, si ce n'est réussir un peu moins que prévu. Aucun d'eux n'étant par ailleurs sympathique ou charismatique, l'identification ne pouvait décidément pas être un moteur déterminant du film.

Côté péripéties, on a connu plus échevelé : outre des préoccupations techniques parfois absconses échangées autour d'un clavier d'ordinateur, les ressorts de l'intrigue relèvent de la déception sentimentale de collégien, de trahisons standards ultra prévisibles, de conflits d'intérêts et d'affrontements feutrés par avocats interposés. Tout cela est en mode mineur et fleure bon le déjà vu sur petit ou grand écran. Et comme Facebook (le vrai) a obtenu modifications et coupes avant la sortie du film, il n'est pas facile d'envisager le tout comme un document.

Flairant donc les nombreuses faiblesses du projet, Fincher redouble d'intelligence pour livrer par contre-coup son film le plus dense, le plus sec et peut-être le plus efficace. Grâce à l'écriture nerveuse d'Aaron Sorkin, ses dialogues percutants, des jeunes comédiens tous excellents, un découpage stupéfiant, une image splendide toute fincherienne qui rehausse un décor fade ou corporate, le cinéaste évite les pièges tout en épurant habilement son style. Ce qui ne l'empêche pas de se lâcher ponctuellement avec quelques effets de manche jouissifs qui nous rappellent qu'il s'agit bien d'une œuvre de cinéma et pas d'un docudrama trendy : le plan d'ouverture, la courte séquence d'aviron ou les jumeaux "numériques".

Malgré les apparences, The Social Network est résolument un manifeste contre cette vieille idée convenue de la réalité dépassant la fiction. La réussite du film est liée essentiellement à la manière dont le sujet est transformé, interprété, sublimé par son (ses) auteur(s), sans jamais tomber ni dans l'hagiographie ou l'idéologie bêlante du winner, ni dans le pathos du "pauvre garçon trop riche". Sous la forme d'un documentaire factuel ou confié à un réalisateur sans saveur, The Social Network serait prodigieusement ennuyeux : le spectacle de la médiocrité ordinaire sous le lustre des milliards virtuels et de la réussite éclair 100% geek. David Fincher, lui, en profite pour nous offrir une saisissante leçon de cinéma. Exploit.

lundi 28 février 2011

Harry Brown

Drôle de film. Enfin "drôle", c'est vite dit. Ce récit d'une vengeance froide sur fond de misère sociale et de barbarie ordinaire dans l'Angleterre contemporaine n'a rien d'une franche rigolade. Mais les contradictions qu'il recèle finissent par produire une impression pour le moins ambiguë qui confine franchement au malaise.

Friand de nostalgiques intrigues victoriennes tout en tasses de thé et soupirs corsetés, le cinéma britannique sait aussi - et peut-être surtout - exploiter sans fard les autres aspects de sa société contemporaine. Au point où le cinéma dit "social" semble être devenu avec le temps une spécialité d'outre Manche. Cela dépasse très largement l'œuvre d'un cinéaste emblématique tel que Ken Loach, ou un thème spécifique qui évoquerait les classes populaires dans un dessein misérabiliste ou laudatif. En effet, les cinéastes anglais - et leurs voisins irlandais, ne mégotons pas - sont passés maîtres dans cette manière de fusionner les différents aspects de la vie ordinaire en un savant mélange qui échappe à tous les manichéismes.

Ce refus de la radicalisation notamment psychologique pourrait donner un résultat tiède, stérile à force de brouiller les pistes et ne pas prendre position. Il en résulte au contraire une force et une richesse incomparable qui dépassent souvent le sujet central. Bien difficile alors de classer des œuvres comme The Snapper, Bon Baiser de Bruges, My Beautiful Laundrette, Chronique d'un Scandale, Intermission, Snatch, Beautiful Thing, Transpotting, Secrets et Mensonges : drame, thriller, comédie dramatique, film social, sentimental, politique, policier..? Sans doute un peu tout cela. S'il est un cinéma humaniste qui peut prétendre à l'universel, c'est bien celui-là. Bien loin des supposés tenants du titre : un cinéma américain qui n'en finit plus de pilonner son idéologie rédemptrice expéditive, nourrie d'une religiosité infantile identifiant schématiquement le Bien et le Mal, ou bien notre cinéma national confit de nombrilisme bourgeois.

Avec son Harry Brown, Daniel Barber entend explorer davantage encore son pays en abordant froidement la réalité des "quartiers" comme l'on dit pudiquement par chez nous. Traduisez : les cités où s'entassent inexorablement plusieurs générations de laissés-pour-compte d'un système impitoyable. Ecartant la thèse ou le docu-fiction façon Gomorra, Barber semble d'abord privilégier la piste d'un genre plus abordable : celui du polar le plus sombre mais de plain-pied avec une réalité sans concession : l'âge du personnage titre écartant d'emblée toute possibilité de cavalcades spectaculaires et autres séances de frappe à 2 balles.

Ancien militaire septuagénaire vivant chichement dans une banlieue délabrée de Londres, Harry Brown partage ses mornes journées entre l'hôpital où se meurt son épouse, et son vieil ami Leonard qu'il retrouve dans un pub poisseux pour jouer aux échecs, boire une bière, discuter de tout et de rien. Autour d'eux c'est l'apocalypse : des bandes de jeunes voyous zonent, trafiquent, se battent, assassinent dans cette apparente indifférence générale dont l'autre nom est la peur. Lorsque Leonard est lynché à son tour pour avoir fait face à la meute, Harry Brown exhume son arme de guerre et part faire justice, enfin sa justice.

Un prologue glaçant nous plonge direct dans un univers d'une cruelle authenticité. Suit une mise en place fluide et émouvante qui nous met en contact avec les personnages et les lieux principaux du drame : une cité, un souterrain, un pub, l'appartement de Brown. La réalisation est efficace, sobre et les comédiens (professionnels ou non) tous irréprochables. Michael Caine y est évidemment excellent : plus sombre et émouvant que jamais, il est de toutes les scènes, c'est par ses yeux que nous vivons la tragédie. Le décès de sa femme, puis l'assassinat de son ami et enfin la vengeance.

Et c'est là que malheureusement le film tout entier bascule dans le vide. Tous les espoirs d'un traitement fort et nuancé, "à l'anglaise" tel que nous le laissait présager l'introduction s'évanouissent pour céder la place à un parti pris simpliste digne de n'importe quel sous-produit d'autodéfense à l'américaine période Charles Bronson. Certes, cela reste efficace car la forme est soignée et le décor plus proche de nous, moins "exotique" que New York ou L.A : la longue scène chez le dealer, le carnage dans le souterrain ou le final dans le pub ne sont pas exempt d'une certaine puissance ni de beauté vénéneuse. Mais quelle purge idéologique !

Comment Michael Caine, militant pour un investissement massif dans l'Education, soutenant un service civil volontaire de seconde chance pour ceux qu'il nomme les jeunes "oubliés" de la société anglaise (il est vrai aux côtés des Tories de Cameron), comment cet homme-là peut-il cautionner les propos simplistes et sanglants de Daniel Barber ? Lors de la promotion du film, le comédien n'eut de cesse de marteler le souvenir de sa jeunesse pauvre et turbulente, de son passé de malfrat dans les quartiers mêmes où furent tourné le film, de sa proximité avec des voyous jouant presque leur propre rôle. En somme sa volonté de montrer ce qui s'y passe encore aujourd'hui. Très bien ! Mais en quoi cela justifie-t-il le propos du film qui se situe, lui, exclusivement au niveau du "œil pour œil" ? De réduire ainsi la police à un ramassis d'incapables nécessitant la prise en main personnelle - et armée - du problème ? Si la préoccupation de Mr Caine est l'éducation, pourquoi cette consternante image finale illustrant la fierté "du devoir accompli", comme si le problème n'avait qu'une solution : l'élimination physique ?! Une balle pour chacun et hop les oiseaux se remettent à chanter dans le parc. Au secours !

Seul point intéressant vu de la France sarko-zemmourienne : l'essentiel des voyous du film sont des anglais bien roses. Les personnages étant interprétés par des gamins du cru, on ne pourra pas faire un procès en politiquement correct au réalisateur. Une raison supplémentaire de se pencher sur les véritables causes de ces phénomènes de délinquance que l'on retrouve dans toutes les sociétés occidentales comparables, et ce sans distinction d'origines ethniques. Mais en dépit d'une pose censée "dénoncer", Barber s'en fout éperdument et préfère sortir son flingue.