samedi 31 juillet 2010

Inception

Christopher Nolan a bien compris le fonctionnement d’Hollywood : entre 2 Batman, il nous refile son film à lui, son projet perso qui, sans les mégas succès de l'homme chauve-souris, aurait eu sans doute du mal à voir le jour. Il y eu Le Prestige, et aujourd'hui Inception en attendant évidemment le 3e volet des aventures du justicier de Gotham.

Mais à la différence du Prestige qui adaptait un roman de Christopher Priest, Nolan ose à nouveau écrire un scénario original : une première depuis 10 ans et son surprenant Memento qui le révélait au monde. On y retrouve d'ailleurs des thèmes communs tant dans l'écriture que la réalisation : tripatouillage chronologique, montage alterné, réalités alternatives. Un rapprochement qui s'applique même au Prestige où, par le biais de la magie, la réalité n'est jamais vraiment certaine...

Avec Inception, il s'agit, via le sommeil, d'interférer avec les niveaux de subconscients d’un individu duquel on souhaite soutirer des informations. Le concept de l'inception (création, origine en français) étant, par le même procédé, d'aller plus loin pour créer de toutes pièces les futures aspirations et décisions de la victime. Une sorte de lavage de cerveau de l’intérieur qui conduit Nolan à choisir un traitement qui s’apparente au film d’espionnage : réalisme contemporain, secrets industriels, équipe d’agents typés et spécialisés, folles poursuites autour du monde, intrigue paranoïaque à multiples bandes. Le tout produit un séduisant cocktail situé quelque part entre Mission Impossible, Le Prisonnier et Ocean's Eleven. C’est aussi la partie la plus réussie et jubilatoire d’Inception. D’autant que le cinéaste compose comme toujours un casting de première classe.

Écartant cette fois Christian Bale dont il connait sans doute les limites, Nolan fait appel à un Leonardo Di Caprio plus que jamais bankable mais surtout comédien tout-terrain dont le talent ne se résume pas à une présence charismatique. L'acteur y est à chaque instant crédible dans tous les registres. Autour de lui évoluent des visages familiers au cinéaste (Michael Caine, Cillian Murphy, Ken Watanabe) ainsi que quelques nouveaux venus : Ellen Page, Joseph Gordon-Levitt, Marion Cotillard, Tom Hardy, Tom Berenger, tous irréprochables et complémentaires à l’image de leurs personnages respectifs. Hormis peut-être notre Marion nationale qui peine à émouvoir, cette équipe donne chair à un film qui aurait pu se révéler très artificiel, glacé par son concept de réalités imaginaires agrémentées d'explications "scientifiques" pas toujours d’une légèreté et d'une transparence à toute épreuve.

C’est là d’ailleurs l’une des faiblesses du film : Nolan semble hésiter entre le passage en force sur les articulations hasardeuses du récit, laissant ainsi le spectateur dans l'incertitude d’avoir bien suivi, ou bien expliquer lourdement chaque étape de cette aventure échevelée où les "niveaux" de réalités sont multiples, les limbes jamais très loin, où l'on se réveille quand on meurt, mais pas toujours (!). Tout cela prétend à une virtuosité qui frise le fumeux voire l'intenable. Et l'on pense aussitôt à Matrix bien sûr. Heureusement Nolan a le bon goût d'éviter la sentencieuse "philosophie" qui caractérisait la trilogie des frères Wachowski. Pourtant subsiste une étrange sensation commune aux deux films, liée au thème lui-même, qui empêche l'immersion totale dans une histoire où l’on passe beaucoup de temps à expliquer que tout cela n’est pas réel, mais seulement imaginé par des gens qui dorment dans des fauteuils.

Reste une aventure tonique, agréable bien que longuette et finalement assez classique - l’amour, la famille, le remord… - en dépit de ses aspects alambiqués. Les twists sont souvent prévisibles, l'esthétique plutôt quelconque et si les scènes d’action sont efficaces et bienvenues, elles ne révolutionnent guère le genre. Tout comme les effets spéciaux qui ne présentent que peu d’intérêt d’un point de vue narratif - voire graphique - , au point de sembler parfois plaqués sur un film qui pouvait s'en passer.

Heureusement la musique de Hans Zimmer rehausse considérablement le tout et offre à l’ensemble une manière de grandiloquence maîtrisée et salutaire, retrouvant ainsi par moments le souffle si particulier de Dark Knight. Mais l’on reste loin de l’histoire bouleversante et originale du Prestige, de son esthétique riche, délicate, de son image sombre et envoûtante. Certes, Inception est un très bon film d’action, incontestablement plus soigné et pensé que la moyenne, mais qui constitue néanmoins une pause créative dans une filmographie qui avait su progresser à chaque opus.

jeudi 1 juillet 2010

Le Parfum

Jean Baptiste Grenouille naît sur un marché visqueux du Paris de 1744. Laissé pour mort, il est miraculeusement ramené à la vie puis recueilli par un orphelinat pouilleux où il développe un odorat extraordinaire qui le propulsera vers une prodigieuse odyssée meurtrière.
Personnage solitaire au caractère proche de l’autisme, Grenouille nous promène dans la France du XVIIIe siècle, celui des Lumières mais aussi de la misère, où partout règne la barbarie ordinaire. À l’image de son époque, l'orphelin incarne ce mélange d’extrême raffinement et de brutalité sauvage : hypersensible à la plus infime essence au point d’être capable de créer des parfums étourdissants, il n’hésite pas à devenir une effroyable machine à tuer en poursuivant une obsession folle et dévorante : conserver le parfum corporel de jeunes femmes afin de créer l’essence ultime, un concentré de désir, de pureté et de séduction…

Patrick Süskind refusa 15 ans durant toute adaptation de son roman - un best-seller international. Seul Stanley Kubrick trouvait grâce à ses yeux, mais le cinéaste jugea l’œuvre inadaptable. C’est finalement en Allemagne que le projet est mis en chantier par le producteur Bernd Eichinger, ami de l’auteur. En effet, malgré un casting essentiellement anglo-saxon et un tournage en anglais, il s’agit d’une coproduction allemande, française et espagnole qui, par ses allures de superproduction ambitieuse et ses thèmes inhabituels, rappelle un autre film conçu dans les mêmes conditions : Alexandre d’Oliver Stone. On y retrouve, malgré les apparences de faste hollywoodien, ce sentiment diffus mais puissant que jamais un tel spectacle n’aurait pu voir le jour de l’autre côté de l’Atlantique.

À la fois film historique flamboyant, thriller glauque et conte fantastique, le film de Tom Tykwer illustre avec talent l'univers délirant créé par le romancier. Empreinte de classicisme mais aussi de modernité par le biais d’effets bien dosés, la réalisation offre un spectacle de belle tenue, séduisant mais sans édulcorer les aspects les plus audacieux du sujet.
En premier lieu desquels figure Jean-Baptiste Grenouille lui-même, fascinant antihéros navigant entre le jeune homme hypersensible et le sociopathe le plus bestial. Tel un Victor Frankenstein aux allures de croquant, un Hannibal Lecter des bas-fonds, son obsession le consume tout entier et l’empêche d’éprouver la moindre empathie pour ses bienfaiteurs ou de rancœur pour ses tortionnaires. Rien n’a d’importance hormis le but qu’il veut atteindre, aussi fou soit-il.

À l’image du film, le jeune Ben Whishaw est impressionnant d’ambiguïté dans ce rôle ingrat et difficile de psycho killer avant l’heure. Avec peu de dialogue, il parvient par sa présence à rendre crédible ce personnage d’apparence fragile, presque gracieux et mu par une implacable obsession morbide. Face à lui Dustin Hoffman compose un truculent Pygmalion, parfumeur sur le retour bien vite dépassé par son élève. Mais c’est Alan Rickman qui hérite du rôle le plus riche, le plus touchant aussi : celui d’un grand bourgeois épris de raison, fou d’amour pour sa fille - joliment incarnée par la lumineuse Rachel Hurd-Wood - qui aura le malheur d’être l’objet de tous les désirs de l’impitoyable Grenouille...

Sombre, envoûtant, débarrassé de ces archétypes moraux et narratifs qui se soucient avant tout de rentabilité, Le Parfum va donc jusqu’au bout de lui-même, mélange les genres, émerveille parfois, dérange aussi, pour aboutir à quelque chose de rare, jusque dans ses excès.