vendredi 26 décembre 2008

Peau d'Âne

Comme presque tous les ans à la période des fêtes, une chaîne de télé se dévoue pour nous rediffuser l’adaptation du conte de Charles Perrault. Tant mieux, car le très joli film de Jacques Demy garde tout son charme quarante ans après sa réalisation. Et puis c’est toujours mieux que cette gourde de Sissi.

Troisième comédie musicale avec le compositeur Michel Legrand après les célébrissimes Parapluies de Cherbourg et Demoiselles de Rochefort, Peau d’Âne est en revanche moins chanté que ses prédécesseurs et s'en tient à des chansons illustrant les moments clefs de l’intrigue. Le résultat est plus facile d’accès et présente en apparence une forme proche des productions Disney. En apparence seulement, car Jacques Demy prend soin de garder tous les aspects les plus symboliques qui font des contes traditionnels bien autre chose que de simples histoires colorées destinées aux tout-petits. Ici l’inceste est clairement le thème central de l’intrigue puisqu’un Roi, veuf inconsolable, ne trouve que sa propre fille digne de remplacer la défunte Reine à ses côtés. Aidée par sa marraine la Fée des Lilas, la Princesse n’a d’autre choix que de fuir le royaume incognito sous les traits d’une souillon habillée d’une peau d’animal. Inimaginable au pays de Mickey !

Comme l’a écrit Bruno Bettelheim dans sa Psychanalyse des Contes de Fées, ces histoires ancestrales n’évitent pas d’aborder les problèmes les plus cruciaux de l’existence contrairement aux œuvres plus récentes qui tendent à construire un univers sécurisant conforme avant tout à l’idée que veulent se faire les adultes de leur progéniture idéalisée. Les contes originaux, souvent affinés durant des siècles voire des millénaires, entendent plonger carrément le jeune lecteur dans les difficultés existentielles qu’il est amené à affronter durant sa construction psychique. Toute l’intelligence des contes est d’aborder ces sujets complexes sous forme d’œuvres d’art qui captivent avant tout par leurs qualités littéraires et narratives. En édulcorer les aspects jugés les plus "choquants" sous prétexte de les rendre abordables aux plus jeunes les vide de leur sens.
Conscient de la richesse du sujet, Jacques Demy expose donc clairement l’argument du conte sans l’éviter, ni utiliser de langage crypté destiné aux adultes, ni en rire. En cela Peau d’Âne est une exception dans le monde pourtant foisonnant du conte porté à l’écran : il garde sa vertu féerique tout en préservant son caractère le plus profond. Comme l’histoire originale, il permet à chaque âge de la vie de s’y retrouver. Son statut de film culte trouve sans doute là son origine, au même titre que les contes ont su traverser les siècles.

Le cinéaste illustre par ailleurs au mieux (pour l’époque) l’aventure elle-même grâce à une luxueuse direction artistique (pour une production française) et une bonne humeur vivifiante à laquelle Michel Legrand contribue grandement avec son entêtante bande originale reconnaissable dès les premiers accords. Soutenu par une distribution de choix qui voit défiler Jean Marais, Catherine Deneuve, Micheline Presle, Jacques Perrin et Delphine Seyrig, le film séduit, amuse souvent, émerveille parfois. Bien sûr on peut déplorer un jeu manquant de profondeur, une lumière qui ne préserve jamais un coin d’ombre ou une esthétique parfois kitsch, mais heureusement le film est court (1h25) et le rythme soutenu. Au passage le spectateur attentif sourira aux références faites à d’autres contes (Le Chat Botté, Les Fées) et bien sûr au film La Belle et la Bête de Jean Cocteau dont Jean Marais et son pourpoint largement épaulé n’est que l’expression la plus visible.

La Belle et la Bête et Peau d’Âne, deux ovnis survolant un cinéma français si rétif et méprisant face à l’imaginaire, deux chef-d’œuvres hors du temps qui se répondent à vingt-cinq ans d’écart et nous émerveillent intelligemment encore aujourd’hui. Bonnes fêtes !

lundi 15 décembre 2008

Les Ruines

Voilà un film qui réunissait tout pour n'être qu'une énième purge sur le thème du troupeau de jeunes méga-wizz confrontés à l'ignoble menace tapie au fond des bois.
L'introduction ne nous épargne rien : les sourires Ultra Brite, les Bikinis, la plage, la drague et les préoccupations puissantes ("où est ma bague ?"). Deux couples d'étudiants en vacances dans un hôtel au Mexique sont abordés par un inconnu allemand qui les invite à rejoindre ses amis archéologues sur un site de fouilles au fin fond de la forêt. À ce stade on est moyennement enthousiaste et l'on a la sensation de déjà prévoir la suite. De fait, si le site et les habitants du coin sont bien là, les archéologues n'y sont plus. Ou tout au moins plus vraiment. Enfin vous verrez...
Car le réalisateur Carter Smith et son scénariste Scott B.Smith (Un Plan Simple) auteur du roman dont est tiré le film sont très malins et concoctent là une sacrée bonne surprise à mille lieues d'un soporifique Wolf Creek ou des affligeants Cabin Fever et Hostel.

Jouant astucieusement de certains poncifs pour nous surprendre et utilisant au mieux l'unité de lieux et de temps pour créer un climat oppressant, Les Ruines est un véritable film fantastique en forme de huit clos se déroulant presque exclusivement au sommet d'une pyramide maya envahie par une drôle de végétation.
Son habile crescendo conduit des personnages finalement pas si tartes que prévu vers un inexorable cauchemar qui finit par donner quelques bonnes suées au spectateur en alternant menace surnaturelle et conditions climatiques extrêmes. Des effets gore particulièrement efficaces ponctuent au mieux une ambiance tendue qui fonctionne sur la longueur, bien loin d'une creuse juxtaposition de saynètes horrifiques pour public pop-corn.
Sûr de lui, Carter Smith n'éprouve d'ailleurs pas le besoin d'en rajouter dans la frime côté réalisation ni dans l'humour lourdingue vaguement distancié pour faire passer la pilule : ici tout est carré, efficace et classique dans le bon sens du terme. Jusqu'à une interprétation tout à fait honorable, chose assez rare dans ce type de production.

On parvient à la fin avec le sentiment jouissif d'avoir été embarqué dans une aventure horrifique solidement construite et mise en image (Darius Khondji inside) respectant les codes du genre en les utilisant au mieux. En cela Les Ruines rejoint ces excellentes surprises dont on n'attendait à priori rien comme Tremors, Darkness, Isolation et autres The Descent. Youpi.

vendredi 5 décembre 2008

Intermission

Tout en accent rugueux et copieusement arrosé à la Guinness, Intermission nous emporte à Dublin suivre les mésaventures d’une poignée de personnages ordinaires à un tournant de leur vie - pour ne pas dire en plein pétage de plomb. Parfois violent, parcouru d’un humour très noir, le film passe en permanence du drame au polar, de la love story à la comédie la plus grinçante. A l’image du percutant prologue, John Crowley joue merveilleusement de la rupture de ton pour nous déstabiliser et rendre imprévisible le registre de la scène voire du plan suivant. C’est assez jubilatoire, mais rend dangereusement "spoilante" toute tentative de résumer l’histoire.

Accumulant un foisonnement de détails qui flirtent parfois avec le burlesque ou le trash, l’émotion surgissant sans prévenir au détour d’une réplique ou d’un regard, Intermission est un délicieux cocktail dans la lignée de Bons Baisers de Bruges, Sammy et Rosie s’Envoient en l’Air, The Snapper ou même Snatch. On y croise entre autres un policier obsédé par la violence et fan de musique celte (Colm Meaney), un étalagiste amoureux transi qui parfume son thé à la sauce piquante (Cillian Murphy), son pote miné par l’abstinence sexuelle, un vieillard handicapé qui boit sa Guinness sur le dos, une petite frappe détestable (Colin Farrell), un chauffeur de bus revanchard, une fille au duvet tenace (Shirley Henderson), un sale gosse qui adore provoquer des accidents et même une course de lapins. C’est tonique, parfois hilarant, vaguement désespéré et interprété à la perfection par une pléiade d’acteurs "à tronches" tous remarquables, qu’ils soient connus ou non.

Le scénario réserve de très bonnes surprises dont quelques scènes d’anthologie dans le pub local, le supermarché ou le club de rencontre pour dames d’un certain âge. Même si le réalisateur aurait pu faire l’économie d’un tic de cadrage un peu appuyé et que dix minutes de moins auraient densifié l’intrigue, Intermission est une excellente surprise comme nos voisins d’outre-manche (et en l’occurrence un peu au-delà) savent si bien les trousser. Epatant.

lundi 1 décembre 2008

Bobby

Réunissant une flopée de stars confimées ou en devenir, Bobby imagine la vie d'une vingtaine de personnages dont le point commun sera d'être présents à l'Hôtel Ambassador lors de l'assassinat du sénateur Robert Kennedy en juin 1968. L'histoire s'étend sur quelques heures et les destins croisés se situent presque tous sur les lieux du crime : l'hôtel lui-même. Passant des cuisines au luxueux hall d'accueil, du militant de base à l'invité de prestige, de la coiffeuse à la standardiste, du retraité qui perd la tête au futurs mariés, le film brosse une série de portraits censés illustrer au mieux une époque où droits civiques, drogues, Vietnam et militantisme sont à l'ordre du jour.

Même si le procédé du film choral est aujourd'hui moins novateur et surprenant, ce type de construction éclatée impressionne toujours par sa capacité à gérer plusieurs histoires en parallèle. Par son côté "zapping", il permet aussi de palier les problèmes de rythme posés par une construction linéaire classique. L'exercice se prête bien également à l'utilisation de stars venues là faire un petit tour, parfois dans des rôles inhabituels, une manière de prendre quelques risques à moindres frais. Lorsque les auteurs sont assez inspirés pour ne pas se limiter à l'effet formel, cela donne des films magnifiques et envoûtants tels Magnolia ou Collision. Mais Emilio Estevez n'est pas Paul Thomas Anderson ni Paul Haggis et même s'il montre une belle aisance pour ce premier film, son Bobby glisse souvent vers un hors sujet quelque peu superficiel et mélodramatique.

Si le titre pouvait en effet laisser présager un propos politique assez soutenu, le scénario s'égare vite vers des histoires personnelles sentimentales qui ne présentent que peu d'intérêt. Du coup le scénario morcelé renforce une impression de feuilleton télévisé en passant ainsi d'une saynète à l' autre, où l'on apprend que Paul trompe Miriam avec Angela et que Virginia a des problèmes avec l'alcool et son mari.
Une scène permet de donner un aperçu de ce qu'aurait pu (dû ?) être le film : celle où le chef cuisinier de l'hôtel interprété par l'excellent Laurence Fishburne explique à un de ses commis révolté comment il préfère laisser aux Blancs l'impression qu'ils sont à l'origine des évolutions de la société de l'époque pourvu que le résultat soit là. C'est fort, très bien écrit, intelligent et pile dans le sujet. Dommage que le reste ne soit pas de ce niveau.

Comme s'il s'apercevait in extremis de ses égarements, Emilio Estevez revient à son sujet en ponctuant le film de documents d'archives montrant la campagne du sénateur à travers le pays. Ces intermèdes sont autant de remises sur rails de ce qui semblait être son intention première : rendre hommage à l'idéal pacifique et généreux incarné par Robert Kennedy. Si les discours sont en effet émouvants et forts bien écrits (en particulier celui qui clôt le film), on peut aujourd'hui trouver naïve cette présentation simpliste et angélique - pour ne pas dire christique - des Kennedy. On sait que la réalité des personnages était assez éloignée du mythe et des espoirs qu'ils ont suscités. Or le film ne prend jamais aucune distance et ne présente que l'image officielle qui paraît bien datée en 2007.

On suit malgré tout sans ennui les pérégrinations de ces personnages très divers en guettant avec gourmandise l'apparition de la prochaine star. Tout ce petit monde est d'ailleurs impeccable et permet de passer un bon moment. Même Sharon Stone joue sobre et juste un rôle pourtant un tantinet appuyé dans le registre "je casse mon image". Anthony Hopkins passe d'un fauteuil à un autre, Elijah Wood ouvre ses grands yeux, William H. Macy reprend son personnage de faible/fort, Helen Hunt et Martin Sheen forment un couple parfois émouvant. Outre un impressionnant Laurence Fishburne déjà évoqué, se distinguent un Shia LaBeouf décidément très doué et une Demi Moore en épave de luxe qui montre à quel point les rôles sombres lui vont à merveille.
Au final un premier film honorable bien qu'inégal, qui se perd un peu en route, mais qui parvient dans sa dernière ligne droite à joliment monter en intensité.