vendredi 14 mai 2010

Esther Vs Joshua

Produit par Joel Silver et Leonardo DiCaprio, Esther connut un grand succès et surprit le public autant que la critique. Le thème pourtant guère nouveau de l'enfant maléfique semblait trouver là un traitement soigné, tendu, à la psychologie fouillée et fort bien interprété. Bref, une surprise inespérée de la part de l'insignifiant Jaume Collet-Serra coupable de l'effroyable Maison de Cire avec Paris Hilton et d'une success story footballistique Goal 2 : La consécration (!). Comment diable réussir un tel bond qualitatif ? La réponse est assez simple : en pillant un autre film sorti discrètement un an auparavant, le brillant et novateur Joshua de George Ratcliff, un jeune cinéaste venu du documentaire.

Bien sûr, ce type de cinéma n'évite pas une fâcheuse tendance au clonage à force de respecter scrupuleusement les lois du genre, elles-mêmes souvent issues des succès précédents. L'enfant modèle dissimulant un petit monstre conduisant son entourage au désastre est déjà en soi un classique. Seulement voilà, les analogies entre Esther et Joshua se situent justement là où ils se distinguent de leurs prédécesseurs.

En adoptant un regard résolument réaliste et adulte, en prenant le temps de construire des personnages forts, décrire leurs blessures intimes qui serviront de levier à l'enfant destructeur, Joshua se démarque totalement d'un genre pour être du cinéma tout court. C'est d'ailleurs au prestigieux festival de Sundance que le film de George Ratcliff fut présenté puis nominé pour le prix du jury.
Soutenue par un casting de haut niveau - Sam Rockwell toujours impeccable, Vera Farmiga bouleversante et l'énigmatique Jacob Kogan - la réalisation feutrée, sensible et précise de Joshua est d'une redoutable et subtile efficacité. Ratcliff se refuse à montrer l'évidence pour nous laisser avec nos doutes et préserver ainsi son implacable crescendo psychologique. Et c'est bien là, malgré les emprunts de fond et de forme, que le film de Collet-Serra échoue : recyclant le traitement tout en finesse de Joshua au profit de péripéties spectaculaires parfois outrancières, Esther n'est jamais davantage qu'une bonne série B d'épouvante contrainte à la surenchère pour surprendre.

Pourtant la copie ne ménage pas ses efforts pour ressembler au modèle : Joshua est un gamin exemplaire, surdoué et trop sage dans ses petits costumes d'adulte et sa coiffure impeccable ? Esther présentera donc une apparence de poupée ancienne, avec nœuds dans les cheveux et robe à volants. La progression dramatique est la même, la détérioration des rapports du couple suit un cheminement identique avec parfois les mêmes scènes et personnages ; la fragilité psychologique de la mère, commune aux deux films, sont d'origines à peine différentes mais surtout s'expriment de la même manière, provoquant ainsi le même face à face final père-enfant. Jusqu'à l'éclairage bleu fluo présent dans la chambre des deux gosses. Et au cas où subsisterait un minuscule doute, le clou est définitivement enfoncé avec l'emploi de la même actrice principale, Vera Farmiga, dans le rôle de la mère !

Parmi les différences principales figure l'origine des enfants : si la gamine est adoptée, Joshua est l'aîné de la famille. Au passage, Esther y perd en audace pour n'être qu'une énième ode à la famille, option mère courage. Le film y "gagne" en revanche en idées désagréables, puisqu'il s'agit ici de défendre la famille biologique Vs une intruse malfaisante - le titre original est Orphan. S'y ajoute l'origine de l'orpheline, l'Est de l'Europe qui après avoir été pendant des décennies l'origine du Mal politique, devient la source paresseuse des perversions sanglantes et biologiques du cinéma d'horreur (Hostel, Severance, Ils, Vertige...). Mais soyons justes, Esther en tire aussi sa seule véritable idée originale : un superbe twist rocambolesque à souhait et digne des EC Comics de la grande époque.

Joshua n'est lui, ni un "étranger" à sa famille, ni à son pays : il vit avec les siens dans un confortable appartement en plein New York. Il se révèle donc autrement subversif et dérangeant, à l'image de la vertigineuse ambiguïté de sa conclusion qui laisse loin derrière le vague parfum incestueux présent dans le final d'Esther qui provoqua la censure de sa bande-annonce.

Mais la force de frappe promotionnelle de producteurs prestigieux qui paradoxalement affadissent l'histoire en pensant la rendre plus efficace fit la différence : Esther rapporta 76M$ tandis Joshua n’en récolta... que le centième ! Plus injuste encore, c'est le film de Jaume Collet-Serra qui recueille les louanges, détournant ainsi bien plus que de l'argent : c'est l' œuvre d'un auteur rigoureux et d'une grande maturité, George Ratcliff, qui est ici confisquée.