dimanche 29 mars 2009

REC

Troisième représentant du tir groupé "caméra DVérité" de 2008 avec Diary of the Dead et Cloverfield, voici donc REC de Paco Plaza et Jaume Balagueró qui tente une fois de plus de nous effrayer sur le mode du "reportage". Très peu client du procédé, moins encore après le pathétique film de George Romero et un Cloverfied déjà évoqué ici, c’est tout entier sur le nom de Balagueró que je fondais mes espoirs. Révélé par l’étonnant La Secte sans Nom puis confirmé par l’excellent Darkness et un inégal Fragile, le jeune prodige espagnol avait montré dès le début une incroyable maturité narrative soutenue par une réalisation d’une précision et d’une élégance rare. Dès lors, comment un réalisateur aussi exigeant pouvait-il bien s’accommoder de la faiblesse (pour ne pas dire l’indigence) du DV "réalité" ? Suspectant un coup commercial rapidement plié dont le crédit de co-réalisation semblait apporter un indice complémentaire, c’est sans enthousiasme que je me décidais enfin à visionner le film.

Soixante quinze minutes plus tard, le verdict est sans appel : REC est une réussite totale qui enfonce encore davantage ses concurrents dans la médiocrité. Car les deux cinéastes ibériques sont parvenus pour la première fois à relever presque tous les défis du genre, à en éviter bien des écueils. Là où un Romero à bout de souffle patine dans une structure narrative approximative l’obligeant à tricher en permanence pour respecter son postulat de départ intenable, là où Cloverfield se perd rapidement dans sa vacuité scénaristique, REC propose une construction d’une incroyable densité et d’une rigueur implacable. Tout est y introduit au bon moment, au bon tempo, ne se reposant jamais paresseusement sur la formule pour palier le manque de rigueur à l’écriture (suivez mon regard). REC a été conçu comme un véritable film, pas comme un gadget.

Comme précédemment Danny Boyle et son 28 Jours plus Tards, Plaza et Balagueró semblent avoir réfléchi à leur œuvre pour en tirer le meilleur presque "en dépit" du procédé. Alors oui, la caméra se promène et zigzague en permanence, oui la lumière se veut crue, oui tout se déroule en temps réel court-circuitant la plupart des conventions narratives classiques. Mais tout (ou presque) y est aussi parfaitement justifié. Même si l’idée du cameraman qui continue de filmer en dépit de tout reste discutable, les auteurs parviennent par d’astucieuses pirouettes à trouver une justification suffisante pour évacuer la question au profit de l’événement. Sous un apparent désordre se cache donc une véritable et puissante mise en scène où tout a été pesé jusqu’au moindre détail. Même l’introduction se déroulant dans une caserne de pompiers est frappante de réalisme : on a vraiment la sensation d’assister au tournage d'un reportage télévisé, les acteurs étant tous troublants de vérité. Le soin apporté dès ce stade du film montre déjà la voie rigoureuse suivie par les deux cinéastes, bien loin de la navrante introduction totalement artificielle (un comble) de Cloverfield.

Si l’histoire n’est pas d’une originalité folle et s’inscrit totalement dans cette nouvelle vague de zombies et autres infectés amorcée par le film de Danny Boyle ou l’Armée des Morts, Balagueró signe un final inattendu et fantastique dans la droite ligne de ses œuvres précédentes. Il s'agit d’ailleurs des moments les plus terrifiants du film, mettant en image un cauchemar ultime là encore très bien servi par le style DV reportage. Faisant suite à une heure d’hystérie magistralement orchestrée, l’exploit est d’autant plus impressionnant. À noter que dans ce tourbillon horrifique, les auteurs se paient même le luxe d’introduire quelques considérations sociales sur ce petit groupe de gens ordinaires confrontés soudainement à l'horreur. C’est effleuré à la bonne mesure et par là même bien plus efficace que la consternante balourdise moralisatrice de Diary of the Dead.

Finalement REC s’applique à démontrer que le procédé importe peu dès lors que la caméra (même bringuebalante) est tenue par des cinéastes de talent. En osant bousculer ainsi à ce point sa propre marque de fabrique avec un tel bonheur, Balagueró confirme qu’il est décidément un très grand cinéaste de genre. Sans doute l’un des meilleurs de la décennie.

lundi 23 mars 2009

La Jurée

Démoli par la critique tandis que Demi Moore se voyait attribuer en 1996 le Razzie Award de la plus mauvaise actrice "grâce" à ce film et au désastreux Striptease, le moins que l’on puisse dire c’est que La Jurée n’est pas exactement un film estimé. Il s’agit pourtant d’un palpitant thriller tiré du roman de George Dawes Green adapté par Ted Tally précédemment oscarisé pour son adaptation du Silence des Agneaux.

Fort bien mené par un Brian Gibson surtout "connu" pour son très poussif Poltergeist 2, La Jurée réserve son lot de surprises grâce avant tout à son scénario astucieux tout en rebondissements et très bien servi par des comédiens convaincants. Demi Moore y incarne parfaitement et sans affèterie cette mère célibataire ordinaire, artiste méconnue qui se trouve embarquée dans un jeu de pouvoir terrifiant entre mafieux après avoir été sélectionnée dans le jury d’un procès retentissant.
Alec Baldwin compose face à elle un redoutable manipulateur vaguement psychopathe d’autant plus effrayant que ses réelles motivations semblent très fluctuantes.

Le début du film s’amuse à faire croire au spectateur qu'il est plus malin que le scénariste, lui laissant entrevoir des événements supposés prévisibles pour ensuite mieux le surprendre. Jouant ainsi sur plusieurs registres allant du classique film de procès au thriller teinté de serial killer, le film ne relâche jamais une seconde la tension grâce à un effroyable piège qui n’en finit pas de se refermer sur les personnages. C’est carré, solidement réalisé et surtout extrêmement efficace.
Malgré l’aspect "mon fils ma bataille" un peu appuyé et le penchant d’auto-défense très en vogue à l’époque, ce film de genre de très bonne facture fera passer une épatante soirée suspens à tous les amateurs de thrillers haletants et tortueux à la Harlan Coben.

mercredi 11 mars 2009

Watchmen

L’adaptation du célébrissime roman graphique signé Moore/Gibbons fut l’un de ces serpents de mer dont Hollywood a le secret. Successivement annoncée puis annulée des années durant, la version cinéma fut l’occasion de bien des débats enflammés avant même le premier tour de manivelle. Déjà réputée inadaptable au départ, l’histoire acquit à l’occasion de ces mises en chantiers avortées une aura quasi mystique auprès de certains fans : Watchmen était décidément intouchable et devait le rester.

Lorsque Zack Snyder fut annoncé sur le projet, une quasi-unanimité s’éleva donc pour condamner à priori toute possibilité de réussite de la part d’un réalisateur jugé d’autant plus mineur qu’il succédait aux très respectables Terry Gilliam et Darren Aronofsky. Auteur d’un formidable remake de Dawn of the Dead on pouvait néanmoins s’inquiéter légitimement du traitement de la part d’un réalisateur qui n’avait pas su encore montrer sa fibre la plus subtile en particulier avec le très bourrin 300 tiré de l’œuvre de Frank Miller. Si sa maîtrise formelle n’était plus à démontrer ainsi que sa capacité d’adapter fidèlement un auteur graphique, restait à établir sa faculté à traiter l’histoire infiniment complexe, sensible et profonde imaginée par Alan Moore. N’en déplaise aux oiseaux de mauvais augure, le défi fut relevé au-delà de toute espérance : Watchmen est non seulement une adaptation fidèle et réussie, mais c’est aussi un grand film.

On reproche souvent (à juste titre) à Hollywood de manquer d’audace, de dupliquer les recettes à l’infini, de stériliser ce qu’elle adapte. En moins d’un an, après le surprenant Dark Knight de Chris Nolan et aujourd’hui à fortiori avec cette splendide adaptation on ne peut que se réjouir de cette inversion de tendance d’autant plus spectaculaire qu’elle se situe dans le cadre ultra formaté du blockbuster. Watchmen peut même se targuer d’aller plus loin que son illustre prédécesseur : là où Nolan s’appropriait le mythe Batman pour en tirer une nouvelle substance, Zak Snyder se paie le luxe de rester au plus près de l’œuvre originale tout en livrant un film personnel, remarquablement réalisé et brisant bien des conventions du genre tout comme le firent Moore et Gibbons sur papier. Un pur exploit qui contredit magistralement la théorie selon laquelle les adaptations les plus réussies sont souvent de merveilleuses trahisons. Je ne connaissais jusqu’à présent qu’un seul contre exemple dans un genre bien éloigné de celui-ci : la trilogie de James Ivory adaptée de E.M. Forster Chambre avec Vue, Maurice et surtout Howards End.

Watchmen-le-film présente donc une vision conforme à Watchmen-la-BD. Tout y est : l’atmosphère de fin du monde située dans des années 80 fantasmées où les USA sont encore gouvernés par Nixon, la violence larvée de la Guerre Froide et celle plus tangible des émeutes et des quartiers crasseux, les super-héros ordinaires et dépressifs mis à la retraite forcée par un pouvoir les déclarant hors la loi, l’enquête menée par le plus psychotique d’entre eux pour découvrir qui a décidé de les éliminer, le mystérieux complot, les questionnements de Jon alias Dr Manhattan seul personnage à détenir des pouvoirs surnaturels et fer de lance de la dissuasion américaine…
Znyder croit même tellement à la puissance du scénario original qu’il se permet avec bonheur toutes les audaces réputées fatales à un bon film grand public : flashbacks, voix off, personnages multiples sans véritable héros, digressions philosophiques, durée hors norme, action pure en retrait et violence gore plein cadre. Et ça marche !
Aucune édulcoration pudibonde n’a été retenue et la seule véritable entorse à l’histoire originale est la bienvenue : en écartant une imagerie finale un peu trop pulp qui aurait pu prêter à sourire, le cinéaste renforce davantage encore toute la dimension humaine du propos. Chapeau bas.

La perfection n’étant pas de ce monde en particulier sur un métrage de 2h45 et les adaptations se révélant bêtement propices aux comparaisons pointilleuses, il faut bien aussi évoquer les faiblesses relatives du film. Si la distribution impeccable est souvent troublante de similitude avec les dessins de Gibbons (en particulier l’étonnant Patrick Wilson/le Hibou, l'intense Jackie Earle Haley/Rorschach ou les saisissantes apparitions de la charismatique Malin Akerman/Laurie en costume), il est bien difficile de comprendre le choix étrange de Matthew Goode pour le rôle d’Ozymandias. Non pas que son talent d’acteur soit vraiment remis en cause. Mais physiquement le choix est d’autant plus discutable qu’il a fallu l’affubler d’une improbable perruque pour palier (en vain) l’absence de ressemblance.
D’ailleurs toute la perruquerie (abondante) du film est assez redoutable. Tout comme les maquillages de vieillissement souvent limites, il est troublant de voir encore aujourd’hui ce genre de production grand luxe trébucher sur des détails aussi "basiques". Alors que par ailleurs la catastrophe annoncée concernant le personnage virtuel de Dr Manhattan est, elle, évitée. De justesse soit, mais évitée tout de même grâce au talent de Billy Crudup qui au-delà du trucage numérique imparfait parvient à faire passer une véritable émotion à l'aide de quelques gestes et d'une voix bouleversante. Quoiqu’il en soit, qui oserait prétendre qu’un acteur peint en bleu aurait été préférable ?

Outre une scène supposée torride qui n’échappe pas totalement au ridicule, on pourra également reprocher à Snyder de céder à un certain maniérisme frime, poussant un peu loin le principe du plan "impossible" ou de l’effet ralenti durant les combats. Pourtant, ce côté un tantinet artificiel parfois souligné par les effets spéciaux renforce pour une fois l'ambiance générale de cette réalité parallèle quasi onirique inhérente au scénario original.
Bref, à ce petit jeu des erreurs, peu de films peuvent s’enorgueillir d’un sans faute absolu, en particulier lorsque le défi de départ est comme ici à l’image du résultat final : immense.