Face à ce quarante et unième film signé Woody Allen, il y a ceux qui n'y retrouvent rien de l'univers du maître, au mieux une pâle réplique bâclée de son grand succès Match Point, et ceux qui y voient une magnifique tragédie à mi-chemin entre le théâtre classique et la littérature russe, deux des sources d'inspiration fréquemment citées par l'auteur. Curieusement aucun des deux clans n'a vraiment tort et malgré des faiblesses de fond et de forme, ce Rêve de Cassandre s'avère être une bonne surprise.
Il faut admettre qu’il est bien tentant de comparer ce troisième opus made in britain du réalisateur new yorkais avec l’illustre (et pourtant surestimé) Match Point : outre le cadre londonien, il y est là encore question d'ascension sociale sur fond de meurtre crapuleux. Deux frères issus d'un milieu modeste, aux caractères différents mais très liés par de puissantes valeurs familiales sont amenés à exécuter un inconnu afin de financer des projets d'investissement pour l'un, régler une colossale dette de jeu pour l'autre. Si l'intrigue en elle-même n'est pas d'une originalité folle, tout l'intérêt vient de son traitement qui permet à l'auteur de nous présenter de façon clinique le cheminement psychologique des personnages.
D'un côté le fringant Ian (Ewan McGregor), intelligent, ambitieux, séducteur qui ne désire qu'une chose : échapper au destin tout tracé par son petit restaurateur de père. De l'autre Terry (Colin Farrell) mécanicien un peu balourd, flambeur et légèrement alcoolo sur les bords. Mais toute l'intelligence du cinéaste est d'éviter d'en faire des caricatures. Les deux personnages ont leurs faiblesses mais sont aussi et surtout de braves types, plutôt honnêtes et très attachés à leur famille. En faire un requin sans scrupule et un imbécile aviné aurait été nettement moins intéressant dans la perspective dramatique qui les attend. Car l'essentiel du film se concentre sur la mise en place des éléments qui amèneront ces gens ordinaires à commettre l'irréparable, pour ensuite être confrontés aux ravages de la culpabilité. C'est aussi ce qui les rend attachants et qui permet au spectateur de suivre et partager leurs aspirations, leurs doutes, leur détresse surtout.
L'ambition et la dette de jeu n'ont plus à faire leurs preuves comme mobile du crime au cinéma, mais Allen y ajoute un composant plus inattendu : la famille, à la fois puissant ciment qui soude cette fratrie et leurs parents malgré les apparences trompeuses de rivalité, mais aussi instrument de leur perte via ce riche oncle d'Amérique qui leur propose le macabre contrat. S’il offre la promesse d'un important soutient financier, l’oncle Howard n'oublie pas d'utiliser la fibre affective en prenant appui sur l'indéfectible amour familial qui les unit. On flaire l'escroquerie sentimentale voire financière, l'amour feint et intéressé. Pourtant, ce qui est frappant ici c'est que tous les personnages sont profondément sincères voire honnêtes jusque dans leurs choix les plus délirants. C'est bien là ce qui intéresse Woody Allen et c'est ici que le film prend sa dimension de tragédie en évacuant au passage tous les détails pratiques du simple thriller policier à rebondissements : on ne saura jamais vraiment pourquoi il faut tuer l'inconnu, peu importent la crédibilité des pistolets homemade ou l'absence totale d'enquête policière. Même les inévitables péripéties sentimentales semblent plaquées sur le drame qui se joue. Malgré les apparences, nous sommes donc loin du très classique et prévisible Match Point.
Si la réalisation relève souvent du téléfilm malgré la présence du grand Vilmos Zsigmond à l'image, le montage nerveux et la musique de Philip Glass donnent à l'ensemble l'énergie nécessaire pour suivre le destin funeste des deux malheureux frangins. Comme on pouvait s'y attendre Ewan McGregor et Colin Farrell sont impeccables et bouleversants de complémentarité. Présents à chaque instant à l’écran, ils sont le cœur du film dans tous les sens du terme. Sans leur talent pour transmettre les émotions qui les submergent face à l’indicible, le film aurait pu n’être que le froid récit d’une déchéance.
Evidemment, après Match Point et sur deux films presque consécutifs, il est permis de tiquer à une vision très bourgeoise des "petites gens" présentés comme des loosers congénitaux ou des criminels bons qu’à s’autodétruire quand il s’agit de sortir de leur condition. Même s’il s’applique ici à nuancer les comportements psychologiques en évitant de porter un jugement moral trop évident, Woody Allen ne parvient pas vraiment à atteindre cet équilibre presque magique de l’authentique cinéma britannique dit "social" qui sait être à la fois généreux et sans concessions, en un mot : humain. Une humanité qui s’accommodait sans doute mal de la dimension purement tragique développée par un cinéaste qui, après tout, n’a jamais fait autre chose qu’un cinéma bobo comme l’on dit aujourd’hui.
Mais on regrettera surtout une conclusion pour le moins abrupte, pour ne pas dire bricolée, comme si le tournage avait été brutalement interrompu. Dommage, car la finesse de l’ensemble laissait entrevoir un dénouement autrement plus complexe et intense.
dimanche 26 avril 2009
Inscription à :
Articles (Atom)