lundi 28 février 2011

Harry Brown

Drôle de film. Enfin "drôle", c'est vite dit. Ce récit d'une vengeance froide sur fond de misère sociale et de barbarie ordinaire dans l'Angleterre contemporaine n'a rien d'une franche rigolade. Mais les contradictions qu'il recèle finissent par produire une impression pour le moins ambiguë qui confine franchement au malaise.

Friand de nostalgiques intrigues victoriennes tout en tasses de thé et soupirs corsetés, le cinéma britannique sait aussi - et peut-être surtout - exploiter sans fard les autres aspects de sa société contemporaine. Au point où le cinéma dit "social" semble être devenu avec le temps une spécialité d'outre Manche. Cela dépasse très largement l'œuvre d'un cinéaste emblématique tel que Ken Loach, ou un thème spécifique qui évoquerait les classes populaires dans un dessein misérabiliste ou laudatif. En effet, les cinéastes anglais - et leurs voisins irlandais, ne mégotons pas - sont passés maîtres dans cette manière de fusionner les différents aspects de la vie ordinaire en un savant mélange qui échappe à tous les manichéismes.

Ce refus de la radicalisation notamment psychologique pourrait donner un résultat tiède, stérile à force de brouiller les pistes et ne pas prendre position. Il en résulte au contraire une force et une richesse incomparable qui dépassent souvent le sujet central. Bien difficile alors de classer des œuvres comme The Snapper, Bon Baiser de Bruges, My Beautiful Laundrette, Chronique d'un Scandale, Intermission, Snatch, Beautiful Thing, Transpotting, Secrets et Mensonges : drame, thriller, comédie dramatique, film social, sentimental, politique, policier..? Sans doute un peu tout cela. S'il est un cinéma humaniste qui peut prétendre à l'universel, c'est bien celui-là. Bien loin des supposés tenants du titre : un cinéma américain qui n'en finit plus de pilonner son idéologie rédemptrice expéditive, nourrie d'une religiosité infantile identifiant schématiquement le Bien et le Mal, ou bien notre cinéma national confit de nombrilisme bourgeois.

Avec son Harry Brown, Daniel Barber entend explorer davantage encore son pays en abordant froidement la réalité des "quartiers" comme l'on dit pudiquement par chez nous. Traduisez : les cités où s'entassent inexorablement plusieurs générations de laissés-pour-compte d'un système impitoyable. Ecartant la thèse ou le docu-fiction façon Gomorra, Barber semble d'abord privilégier la piste d'un genre plus abordable : celui du polar le plus sombre mais de plain-pied avec une réalité sans concession : l'âge du personnage titre écartant d'emblée toute possibilité de cavalcades spectaculaires et autres séances de frappe à 2 balles.

Ancien militaire septuagénaire vivant chichement dans une banlieue délabrée de Londres, Harry Brown partage ses mornes journées entre l'hôpital où se meurt son épouse, et son vieil ami Leonard qu'il retrouve dans un pub poisseux pour jouer aux échecs, boire une bière, discuter de tout et de rien. Autour d'eux c'est l'apocalypse : des bandes de jeunes voyous zonent, trafiquent, se battent, assassinent dans cette apparente indifférence générale dont l'autre nom est la peur. Lorsque Leonard est lynché à son tour pour avoir fait face à la meute, Harry Brown exhume son arme de guerre et part faire justice, enfin sa justice.

Un prologue glaçant nous plonge direct dans un univers d'une cruelle authenticité. Suit une mise en place fluide et émouvante qui nous met en contact avec les personnages et les lieux principaux du drame : une cité, un souterrain, un pub, l'appartement de Brown. La réalisation est efficace, sobre et les comédiens (professionnels ou non) tous irréprochables. Michael Caine y est évidemment excellent : plus sombre et émouvant que jamais, il est de toutes les scènes, c'est par ses yeux que nous vivons la tragédie. Le décès de sa femme, puis l'assassinat de son ami et enfin la vengeance.

Et c'est là que malheureusement le film tout entier bascule dans le vide. Tous les espoirs d'un traitement fort et nuancé, "à l'anglaise" tel que nous le laissait présager l'introduction s'évanouissent pour céder la place à un parti pris simpliste digne de n'importe quel sous-produit d'autodéfense à l'américaine période Charles Bronson. Certes, cela reste efficace car la forme est soignée et le décor plus proche de nous, moins "exotique" que New York ou L.A : la longue scène chez le dealer, le carnage dans le souterrain ou le final dans le pub ne sont pas exempt d'une certaine puissance ni de beauté vénéneuse. Mais quelle purge idéologique !

Comment Michael Caine, militant pour un investissement massif dans l'Education, soutenant un service civil volontaire de seconde chance pour ceux qu'il nomme les jeunes "oubliés" de la société anglaise (il est vrai aux côtés des Tories de Cameron), comment cet homme-là peut-il cautionner les propos simplistes et sanglants de Daniel Barber ? Lors de la promotion du film, le comédien n'eut de cesse de marteler le souvenir de sa jeunesse pauvre et turbulente, de son passé de malfrat dans les quartiers mêmes où furent tourné le film, de sa proximité avec des voyous jouant presque leur propre rôle. En somme sa volonté de montrer ce qui s'y passe encore aujourd'hui. Très bien ! Mais en quoi cela justifie-t-il le propos du film qui se situe, lui, exclusivement au niveau du "œil pour œil" ? De réduire ainsi la police à un ramassis d'incapables nécessitant la prise en main personnelle - et armée - du problème ? Si la préoccupation de Mr Caine est l'éducation, pourquoi cette consternante image finale illustrant la fierté "du devoir accompli", comme si le problème n'avait qu'une solution : l'élimination physique ?! Une balle pour chacun et hop les oiseaux se remettent à chanter dans le parc. Au secours !

Seul point intéressant vu de la France sarko-zemmourienne : l'essentiel des voyous du film sont des anglais bien roses. Les personnages étant interprétés par des gamins du cru, on ne pourra pas faire un procès en politiquement correct au réalisateur. Une raison supplémentaire de se pencher sur les véritables causes de ces phénomènes de délinquance que l'on retrouve dans toutes les sociétés occidentales comparables, et ce sans distinction d'origines ethniques. Mais en dépit d'une pose censée "dénoncer", Barber s'en fout éperdument et préfère sortir son flingue.