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samedi 2 avril 2011

La Disparition d'Alice Creed

Ça vous fait envie le premier film du scénariste de The Descent 2, tourné en vidéo HD avec un budget famélique ? Non ? Vous avez tort car cette Disparition est un petit bijou de cinéma de genre, méticuleusement réalisé sur une intrigue qui manie le rebondissement avec une réjouissante efficacité. Le tout avec seulement 3 personnages et un appartement (ou presque), on a envie de se lever pour applaudir ce petit-cousin teigneux du Limier ou de Piège Mortel.

Par égard pour le futur spectateur, il est préférable d'éviter l'évocation trop précise de cette histoire qui fonctionne beaucoup sur l'effet de surprise. Tout juste peut-on exposer le point de départ : 2 voyous préparent l'enlèvement de la fille d'un homme richissime afin d'obtenir une rançon. Ils mettent en œuvre un plan millimétré à mi-chemin entre l'expédition scientifique et le commando militaire : tout est prévu même le menu des repas, chaque geste est déterminé à l'avance, chaque étape s'imbrique à la perfection dans la suivante. Et puis évidemment l'imprévu surgit. Quoique…

Outre son scénario malin et jubilatoire, J. Blackeson signe là un premier film d'une remarquable maturité formelle : pas de place ici pour les grosses ficelles du cinéma fauché où l'on fait paresseusement trembler la caméra "pour faire vrai". Avec la même minutie qu'à l'écriture, le jeune cinéaste soigne chaque plan sans jamais sombrer dans une virtuosité affectée : tout y est limpide, fluide et parfaitement à sa place. Même la longue introduction muette évite l'effet gratuit tant elle est parfaitement en adéquation avec ce qui s'y déroule. La lumière suit la même logique : à la fois pure et discrète, elle enveloppe au mieux une image vidéo qui sait se faire oublier grâce notamment au superbe cadre en 2:35.

Avec un trio de comédiens qui fait figure de cerise sur un gâteau décidément savoureux, Blackeson montre qu'il est aussi un excellent directeur d'acteurs. Eddie Marsan campe un kidnappeur flippant par son obsession glaciale du moindre détail. On a peine à reconnaître le petit inspecteur Lestrade du Sherlock Holmes de Guy Ritchie.
En parvenant à insuffler une énergie folle à un personnage de victime pour le moins ingrat, Gemma Arterton montre qu'elle vaut infiniment mieux que les emplois ineptes auxquels elle est abonnée (Quantum of Solace, Le Choc des Titans, Prince of Persia, bientôt La Momie 4 !). Dans un rôle moins expressif, Martin Compston peine parfois à rivaliser avec ses partenaires, mais peu importe : l'alchimie fonctionne à plein et le trio promène impeccablement le spectateur du début à la fin.

Le magazine Variety classe en 2010 J. Blackeson parmi les 10 réalisateurs à suivre. En effet, après ce coup d'essai en forme de thriller économe et roboratif qui ne joue jamais la carte du clin d'œil référentiel ou du pré-formatage "culte", on attend avec une certaine gourmandise la prochaine œuvre de ce jeune auteur britannique dont l'irruption inattendue n'est pas sans rappeler celle de Danny Boyle. On lui souhaite le même succès.

mercredi 16 mars 2011

The Social Network

C'est l'histoire d'un jeune type qui développe un truc cool et globalement inutile - c'est un utilisateur assidu qui l'écrit - en exploitant l'idée d'un autre avec l'argent d'un pote. Il le fait parce qu'il s'est pris un vent par sa copine de classe. Depuis, le truc en question est censé avoir révolutionné le monde ou à peu près. D'ailleurs ça vaut des milliards, ou plutôt c'est "évalué" à des milliards. Sa valeur étant déterminée par celle que lui accordent ses acheteurs potentiels, il n'y a aucune limite : 10, 50, 100 milliards $ ? En tout cas assez pour que chacun tienne à récupérer une part de ce gâteau aux allures de coquille vide : Facebook.

Après le tueur vintage de son enfance dans Zodiac et la fresque fantastico-mélodramatique de L'Etrange Cas de Benjamin Button, c'est donc à un sujet assez quelconque que décide de s'attaquer David Fincher : un biopic doublé d'une success-story comme Hollywood les aime. Avec tout de même une singularité de taille puisque l'aventure se poursuit plus que jamais aujourd'hui : Facebook fut créé en 2004, ouvert à tous en 2006, le livre de Ben Mezrich a été écrit en 2009 et le film dont il est tiré est sorti en 2010 en pleine Facebookmania. En somme du cinéma en temps - presque - réel, en parfaite adéquation avec son sujet, le web. Un film bien dans son époque également par le type de personnage qu'il décrit : un milliardaire post-ado, fruits de la génération startup où un jeune informaticien rusé peut se rêver nabab en quelques mois pour peu que des investisseurs voient en lui "l'Avenir".

David Fincher nous avait habitué à des sujets plus tordus, ou tout au moins plus intrigants. Mais la diversité est souvent la marque des cinéastes talentueux. Et c'est bien de talent dont il s'agit ici, car c'est avec une maîtrise rare que le cinéaste parvient à offrir un film brillant... à défaut d'être passionnant. Si, c'est possible !

S'il est bien question d'une success-story, on n'est pas exactement sur le registre Rocky Balboa. Nous avons affaire à une poignée de jeunes gens issus de l'Amérique la plus gâtée, des étudiants fortunés dans le cadre cosy de la prestigieuse université d'Harvard. C'est peu dire que côté "revanche" et "adversité", on navigue dans le relatif. Difficile de vibrer pour des personnages qui ne risquent absolument rien, si ce n'est réussir un peu moins que prévu. Aucun d'eux n'étant par ailleurs sympathique ou charismatique, l'identification ne pouvait décidément pas être un moteur déterminant du film.

Côté péripéties, on a connu plus échevelé : outre des préoccupations techniques parfois absconses échangées autour d'un clavier d'ordinateur, les ressorts de l'intrigue relèvent de la déception sentimentale de collégien, de trahisons standards ultra prévisibles, de conflits d'intérêts et d'affrontements feutrés par avocats interposés. Tout cela est en mode mineur et fleure bon le déjà vu sur petit ou grand écran. Et comme Facebook (le vrai) a obtenu modifications et coupes avant la sortie du film, il n'est pas facile d'envisager le tout comme un document.

Flairant donc les nombreuses faiblesses du projet, Fincher redouble d'intelligence pour livrer par contre-coup son film le plus dense, le plus sec et peut-être le plus efficace. Grâce à l'écriture nerveuse d'Aaron Sorkin, ses dialogues percutants, des jeunes comédiens tous excellents, un découpage stupéfiant, une image splendide toute fincherienne qui rehausse un décor fade ou corporate, le cinéaste évite les pièges tout en épurant habilement son style. Ce qui ne l'empêche pas de se lâcher ponctuellement avec quelques effets de manche jouissifs qui nous rappellent qu'il s'agit bien d'une œuvre de cinéma et pas d'un docudrama trendy : le plan d'ouverture, la courte séquence d'aviron ou les jumeaux "numériques".

Malgré les apparences, The Social Network est résolument un manifeste contre cette vieille idée convenue de la réalité dépassant la fiction. La réussite du film est liée essentiellement à la manière dont le sujet est transformé, interprété, sublimé par son (ses) auteur(s), sans jamais tomber ni dans l'hagiographie ou l'idéologie bêlante du winner, ni dans le pathos du "pauvre garçon trop riche". Sous la forme d'un documentaire factuel ou confié à un réalisateur sans saveur, The Social Network serait prodigieusement ennuyeux : le spectacle de la médiocrité ordinaire sous le lustre des milliards virtuels et de la réussite éclair 100% geek. David Fincher, lui, en profite pour nous offrir une saisissante leçon de cinéma. Exploit.

jeudi 1 juillet 2010

Le Parfum

Jean Baptiste Grenouille naît sur un marché visqueux du Paris de 1744. Laissé pour mort, il est miraculeusement ramené à la vie puis recueilli par un orphelinat pouilleux où il développe un odorat extraordinaire qui le propulsera vers une prodigieuse odyssée meurtrière.
Personnage solitaire au caractère proche de l’autisme, Grenouille nous promène dans la France du XVIIIe siècle, celui des Lumières mais aussi de la misère, où partout règne la barbarie ordinaire. À l’image de son époque, l'orphelin incarne ce mélange d’extrême raffinement et de brutalité sauvage : hypersensible à la plus infime essence au point d’être capable de créer des parfums étourdissants, il n’hésite pas à devenir une effroyable machine à tuer en poursuivant une obsession folle et dévorante : conserver le parfum corporel de jeunes femmes afin de créer l’essence ultime, un concentré de désir, de pureté et de séduction…

Patrick Süskind refusa 15 ans durant toute adaptation de son roman - un best-seller international. Seul Stanley Kubrick trouvait grâce à ses yeux, mais le cinéaste jugea l’œuvre inadaptable. C’est finalement en Allemagne que le projet est mis en chantier par le producteur Bernd Eichinger, ami de l’auteur. En effet, malgré un casting essentiellement anglo-saxon et un tournage en anglais, il s’agit d’une coproduction allemande, française et espagnole qui, par ses allures de superproduction ambitieuse et ses thèmes inhabituels, rappelle un autre film conçu dans les mêmes conditions : Alexandre d’Oliver Stone. On y retrouve, malgré les apparences de faste hollywoodien, ce sentiment diffus mais puissant que jamais un tel spectacle n’aurait pu voir le jour de l’autre côté de l’Atlantique.

À la fois film historique flamboyant, thriller glauque et conte fantastique, le film de Tom Tykwer illustre avec talent l'univers délirant créé par le romancier. Empreinte de classicisme mais aussi de modernité par le biais d’effets bien dosés, la réalisation offre un spectacle de belle tenue, séduisant mais sans édulcorer les aspects les plus audacieux du sujet.
En premier lieu desquels figure Jean-Baptiste Grenouille lui-même, fascinant antihéros navigant entre le jeune homme hypersensible et le sociopathe le plus bestial. Tel un Victor Frankenstein aux allures de croquant, un Hannibal Lecter des bas-fonds, son obsession le consume tout entier et l’empêche d’éprouver la moindre empathie pour ses bienfaiteurs ou de rancœur pour ses tortionnaires. Rien n’a d’importance hormis le but qu’il veut atteindre, aussi fou soit-il.

À l’image du film, le jeune Ben Whishaw est impressionnant d’ambiguïté dans ce rôle ingrat et difficile de psycho killer avant l’heure. Avec peu de dialogue, il parvient par sa présence à rendre crédible ce personnage d’apparence fragile, presque gracieux et mu par une implacable obsession morbide. Face à lui Dustin Hoffman compose un truculent Pygmalion, parfumeur sur le retour bien vite dépassé par son élève. Mais c’est Alan Rickman qui hérite du rôle le plus riche, le plus touchant aussi : celui d’un grand bourgeois épris de raison, fou d’amour pour sa fille - joliment incarnée par la lumineuse Rachel Hurd-Wood - qui aura le malheur d’être l’objet de tous les désirs de l’impitoyable Grenouille...

Sombre, envoûtant, débarrassé de ces archétypes moraux et narratifs qui se soucient avant tout de rentabilité, Le Parfum va donc jusqu’au bout de lui-même, mélange les genres, émerveille parfois, dérange aussi, pour aboutir à quelque chose de rare, jusque dans ses excès.

vendredi 14 mai 2010

Esther Vs Joshua

Produit par Joel Silver et Leonardo DiCaprio, Esther connut un grand succès et surprit le public autant que la critique. Le thème pourtant guère nouveau de l'enfant maléfique semblait trouver là un traitement soigné, tendu, à la psychologie fouillée et fort bien interprété. Bref, une surprise inespérée de la part de l'insignifiant Jaume Collet-Serra coupable de l'effroyable Maison de Cire avec Paris Hilton et d'une success story footballistique Goal 2 : La consécration (!). Comment diable réussir un tel bond qualitatif ? La réponse est assez simple : en pillant un autre film sorti discrètement un an auparavant, le brillant et novateur Joshua de George Ratcliff, un jeune cinéaste venu du documentaire.

Bien sûr, ce type de cinéma n'évite pas une fâcheuse tendance au clonage à force de respecter scrupuleusement les lois du genre, elles-mêmes souvent issues des succès précédents. L'enfant modèle dissimulant un petit monstre conduisant son entourage au désastre est déjà en soi un classique. Seulement voilà, les analogies entre Esther et Joshua se situent justement là où ils se distinguent de leurs prédécesseurs.

En adoptant un regard résolument réaliste et adulte, en prenant le temps de construire des personnages forts, décrire leurs blessures intimes qui serviront de levier à l'enfant destructeur, Joshua se démarque totalement d'un genre pour être du cinéma tout court. C'est d'ailleurs au prestigieux festival de Sundance que le film de George Ratcliff fut présenté puis nominé pour le prix du jury.
Soutenue par un casting de haut niveau - Sam Rockwell toujours impeccable, Vera Farmiga bouleversante et l'énigmatique Jacob Kogan - la réalisation feutrée, sensible et précise de Joshua est d'une redoutable et subtile efficacité. Ratcliff se refuse à montrer l'évidence pour nous laisser avec nos doutes et préserver ainsi son implacable crescendo psychologique. Et c'est bien là, malgré les emprunts de fond et de forme, que le film de Collet-Serra échoue : recyclant le traitement tout en finesse de Joshua au profit de péripéties spectaculaires parfois outrancières, Esther n'est jamais davantage qu'une bonne série B d'épouvante contrainte à la surenchère pour surprendre.

Pourtant la copie ne ménage pas ses efforts pour ressembler au modèle : Joshua est un gamin exemplaire, surdoué et trop sage dans ses petits costumes d'adulte et sa coiffure impeccable ? Esther présentera donc une apparence de poupée ancienne, avec nœuds dans les cheveux et robe à volants. La progression dramatique est la même, la détérioration des rapports du couple suit un cheminement identique avec parfois les mêmes scènes et personnages ; la fragilité psychologique de la mère, commune aux deux films, sont d'origines à peine différentes mais surtout s'expriment de la même manière, provoquant ainsi le même face à face final père-enfant. Jusqu'à l'éclairage bleu fluo présent dans la chambre des deux gosses. Et au cas où subsisterait un minuscule doute, le clou est définitivement enfoncé avec l'emploi de la même actrice principale, Vera Farmiga, dans le rôle de la mère !

Parmi les différences principales figure l'origine des enfants : si la gamine est adoptée, Joshua est l'aîné de la famille. Au passage, Esther y perd en audace pour n'être qu'une énième ode à la famille, option mère courage. Le film y "gagne" en revanche en idées désagréables, puisqu'il s'agit ici de défendre la famille biologique Vs une intruse malfaisante - le titre original est Orphan. S'y ajoute l'origine de l'orpheline, l'Est de l'Europe qui après avoir été pendant des décennies l'origine du Mal politique, devient la source paresseuse des perversions sanglantes et biologiques du cinéma d'horreur (Hostel, Severance, Ils, Vertige...). Mais soyons justes, Esther en tire aussi sa seule véritable idée originale : un superbe twist rocambolesque à souhait et digne des EC Comics de la grande époque.

Joshua n'est lui, ni un "étranger" à sa famille, ni à son pays : il vit avec les siens dans un confortable appartement en plein New York. Il se révèle donc autrement subversif et dérangeant, à l'image de la vertigineuse ambiguïté de sa conclusion qui laisse loin derrière le vague parfum incestueux présent dans le final d'Esther qui provoqua la censure de sa bande-annonce.

Mais la force de frappe promotionnelle de producteurs prestigieux qui paradoxalement affadissent l'histoire en pensant la rendre plus efficace fit la différence : Esther rapporta 76M$ tandis Joshua n’en récolta... que le centième ! Plus injuste encore, c'est le film de Jaume Collet-Serra qui recueille les louanges, détournant ainsi bien plus que de l'argent : c'est l' œuvre d'un auteur rigoureux et d'une grande maturité, George Ratcliff, qui est ici confisquée.

lundi 8 février 2010

The Wrestler

Dans le registre de la rupture de style, Darren Aronofsky fait très fort : lui qui était coutumier d’effets appuyés flirtant avec un maniérisme clippé, voilà que c’est sur le mode naturaliste qu’il fait un retour triomphant. Naturaliste à plus d’un titre puisqu’il joue sciemment de la confusion entre la vie de l’acteur principal et le personnage qu’il incarne : est-ce l’histoire de Randy le Bélier, catcheur sur le retour, ou bien celle de Mickey Rourke, acteur-boxeur en perdition dont il est question ? Les deux assurément, n’évitant pas un certain embarras face à ce film dans le film qui fait immanquablement penser à ces émissions de télé dites "réalité" où une poignée de has been vendent, en toute connaissance de cause, leur déchéance physique et professionnelle à un public friand de divertissements frelatés.

Seulement voilà, là où la télévision n’accouche que de programmes minables, Darren Aronofsky fait œuvre de création pour offrir un film d’une intensité poignante, profondément humaniste et digne. Mieux : le talent et la puissance de son acteur principal le hissent à l’exact opposé d’un spectacle cynique ou morbide : il rappelle à tous que Mickey Rourke est un acteur magnifique, habité, capable de tous les excès, de toutes les nuances aussi. Tandis que son alter ego de fiction nous donne à voir combien les forçats de l’entertainment que sont les catcheurs sont infiniment plus respectables que le public de bourrins qui les consomment comme des bêtes de foire, qui jouissent sans complexes de voir des hommes, souvent issus de milieux pauvres, se consumer comme exutoire de leur bestialité frustrée.

Alors finalement peu importent l’histoire forcement prévisible, la vieille soupe mélo vaguement saupoudrée d’idéologie reborn qu’ heureusement Aronofsky a le bon goût de tempérer in extrémis : The Wrestler est un beau film à la fois simple, épuré, souvent émouvant de la part d’un cinéaste inspiré qui tient à nous montrer l’envers du décor d’un rêve américain définitivement moisi. Comme pour nous rappeler que, dans cette société du "marche ou crève", looser est avant tout une manière culpabilisante de qualifier un laissé-pour-compte.

mardi 5 janvier 2010

Là-Haut

Pixar fête là son dixième long métrage et de quelle manière ! Après un Ratatouille fade et ennuyeux puis un Wall-E très surestimé, voici donc le retour de l’équipe de John Lassiter au meilleur de sa forme. En réunissant le réalisateur de Monstres et Cie et le scénariste du Monde de Nemo, c’est le cœur même de Pixar qui est à l’œuvre.

Bien qu’un peu circonspect vis-à-vis du graphisme, je dois reconnaître que la maîtrise du scénario, du rythme mais aussi du parti pris qui fait de Là-Haut un film véritablement tout public, c'est-à-dire bien au-delà de la cible enfantine, m'ont enthousiasmé. Chacun y trouvera son compte, de 7 à 77 ans comme l’on dit. À ce titre, la longue introduction relève de la perfection par sa manière à la fois elliptique et poignante de raconter toute une vie. Certes, c’est parfois idéalisé à la manière d’un Disney, mais avec tact et délicatesse. La musique de Michael Giacchino contribue à rendre cette première partie saisissante de maturité.

Une quête au long cours entraîne ensuite les deux personnages principaux dans une expédition qui tient à la fois du parcours initiatique, du steampunk et du film de jungle ; ce voyage en forme de conte relève d’une élégance tonique qui n’est pas sans rappeler l’univers poétique de Terry Gilliam. Le foisonnement esthétique et l'action pure côtoient un épatant comique de situation qui jamais ne tombe dans la grosse comédie : on rit aussi, mais pas seulement. Et puis cette mise en scène résolument cinématographique, inventive... Quel bonheur !

Évidemment ça suinte un peu la sucrerie sur la fin, avec cette morale fatigante qui autorise à une promesse faite à un enfant de prendre le pas sur toute autre considération, quitte même à trahir celle d’une vie faite à sa propre femme, quitte même à en mourir. Tout ça pour sauver une grosse poule, nouveau jouet d’un moutard vaguement capricieux.

Quant à l’autre ficelle puritaine qui voit la disparition des biens matériels comme négligeable, souhaitons que les millions d’américains qui ont récemment perdu leur toit n’entendent pas le héros lancer "ce n’est qu’une maison" en voyant sa si chère demeure sombrer à jamais.

lundi 12 octobre 2009

Without a Clue

Parmi la pléthore d’œuvres s'inspirant plus ou moins librement du mythe de Sherlock Holmes, Without a Clue occupe une place à part en réussissant l’exploit de rire du personnage sans verser jamais dans la parodie. Reconnu même par les holmesiens les plus susceptibles comme un véritable hommage à l'oeuvre de Sir Arthur Conan Doyle, le film parvient en effet à offrir une authentique aventure dans le plus pur esprit de l’auteur tout en commettant l’outrage suprême : faire du célébrissime détective un imposteur !

La folle idée de Thom Eberhardt et de ses scénaristes propulse en effet le Dr Watson au rang de seul génie du duo. Un duo qui n’existe même pas puisque c’est le bon docteur qui imagine le personnage de Holmes pour les récits qu’il publie régulièrement dans les pages du Strand Magazine. Mais rattrapé par le succès, Watson se voit contraint de donner chair au célèbre détective. Pris de court, il recrute un acteur raté, passablement obtus et prêt à tout pour une bonne bière. Ulcéré par l’attitude désinvolte et irresponsable du comédien auquel il souffle toutes ses prodigieuses déductions sans en retirer le moindre prestige, Watson finit par s’en débarrasser. Du moins le croit-il. Car face à l’hostilité du Strand qui ne veut pas d’un simple "Crime Doctor" enquêtant seul et surtout la nécessité de traiter une affaire d’Etat qui exige la présence exclusive de Holmes, le docteur se résigne, la mort dans l’âme, à reconstituer une dernière fois le couple de détectives…

Dès la première scène, le ton est donné : on passe en un instant du mythe dans toute sa splendeur à l’hilarant envers du décor où un Watson irascible et frustré terrorise un faux Holmes complètement largué. Outre un scénario truffé d’idées tordantes, le tandem d’acteur qui incarne le duo mythique est pour beaucoup dans la réussite du film. C’est un épatant Ben Kingsley à contre emploi comme l’on dit, qui interprète ce docteur Watson tonique, intelligent mais aussi un peu caractériel, tandis que Michael Caine compose un "Holmes" d’anthologie : acteur minable, alcoolique, couard, coureur de jupons et incapable de la déduction la plus élémentaire. Toute la distribution est d’ailleurs remarquable, de Jeffrey Jones en Lestrade bidonnant à Paul Freeman en Moriarty méphistophélique.

Avec ce sens de la rupture et du rythme essentiel dans le registre de la comédie, Thom Eberhardt utilise au mieux le talent de sa petite troupe et en premier lieu la complémentarité des deux formidables comédiens. Mais à l’image de l’astucieuse idée originale, il n’oublie jamais d’inscrire l'humour voire le burlesque dans l’intrigue même du film, sans user de ficelles paresseuses telles que les anachronismes ou clins d’œil au spectateur. Fan respectueux de l’univers holmésien, le cinéaste se permet même de coller au plus près de la vie de l’auteur : le désir de Watson de se débarrasser de Holmes fait écho à celui de Conan Doyle qui, par lassitude, fit mourir son héros avant de le ressusciter presque malgré lui, sous la pression du public et des éditeurs.

Ajoutez à cela la réjouissante musique signée Henry Mancini, la jolie frimousse de Lysette Anthony et la tronche de Nigel Davenport tout droit sortie de l’Angleterre victorienne et vous obtenez un cocktail détonnant et unique, une réussite totale rappelant les meilleures heures de la comédie made in Britain, du temps où la Ealing alignait les classiques tels que Tueurs de Dames et Noblesse Oblige. Jubilatoire.

vendredi 18 septembre 2009

Ipcress, Danger Immédiat

Fort du succès de ses trois premiers James Bond dont le prestigieux Goldfinger en 1964, le producteur canadien Harry Saltzman lance l’année suivante une nouvelle série de films d’espionnage. Mais plutôt que dupliquer la recette en choisissant un 007 bis, c’est sur l’antihéros imaginé par Len Deighton que le producteur jette son dévolu.

Ancien escroc reconverti - de force - en agent du gouvernement de Sa très Gracieuse Majesté, Harry Palmer est un homme d'extraction modeste et d'apparence quelconque. Insolent et cynique, l’espion aux lunettes d’écaille aborde son métier de manière très routinière, sans la moindre fibre patriotique ni surtout aucune confiance en ses employeurs. Affecté à des taches subalternes, il s'acquitte de sa mission en évitant les ennuis, puis regagne son modeste home où il peut s'adonner à ses deux passions : la musique classique et la cuisine. Autant dire qu'on est loin, très loin de son Bond-issant prédécesseur imaginé par Ian Fleming. Seul un intérêt prononcé pour la gent féminine rapproche les 2 personnages.

The Ipcress File débute alors que Palmer, occupé à de plates surveillances de routine, est recruté par le chef du contre-espionnage afin d'enquêter sur la disparition de plusieurs scientifiques travaillant pour le gouvernement. Trouvant là un moyen d'arrondir ses fins de mois, Palmer accepte la proposition du Colonel Ross et se trouve brusquement propulsé dans un univers dangereux et violent où microfilms, meurtres, enlèvements, agents doubles et lavages de cerveaux sont de mise…

Tous les ingrédients du film d’espionnage de la grande époque sont donc réunis, faisant d’Ipcress l’archétype du genre, et sans doute aussi le plus réussi. Len Deighton fait partie des écrivains qui offrent une vision sombre et très critique des services secrets, démystifiant autant l’ennemi que l’allié dans leurs motivations ambivalentes. Le film s’inscrit également dans cette démarche réaliste et plutôt audacieuse en pleine Guerre Froide. Pas de folles cascades, de gadgets ni d’improbables espionnes glamours, mais le cadre sévère d’un Londres tout de grisaille où se croisent, se mentent et s’entretuent des hommes ordinaires en trench.

Sans la vision éclairée de Saltzman, ces options auraient pu engendrer un film de série assez terne. Heureusement, deux choix décisifs hissèrent le projet dans la catégorie des œuvres majeures. Tout d’abord celui du réalisateur Sidney J. Furie, cinéaste canadien inconnu qui, par ses partis pris esthétiques sophistiqués, donna aux décors gris du quotidien une allure étrange, dérangeante, presque fantastique. Magnifiquement cadré dans un cinémascope spectaculaire, chaque plan relève d’une composition minutieuse et inventive aux angles parfois improbables mais toujours furieusement percutants. Loin de se faire oublier, la réalisation est ici presque un personnage à part entière, bousculant en permanence un spectateur désorienté à force d’inspecter chaque recoin du cadre.

Le second choix fut bien sûr de retenir un autre inconnu pour incarner le rôle principal. Michael Caine n’avait à l’époque qu’un seul film à son actif et, à 32 ans, sa carrière piétinait dangereusement lorsque Harry Saltzman lui proposa le personnage. Le producteur avait déjà saisi le gigantesque potentiel de ce comédien qui, comme Palmer, présentait un physique ordinaire, était issu des quartiers pauvres et pratiquait un redoutable humour. Surtout, il avait compris à quel point la personnalité et le talent exceptionnel de Caine pouvaient rendre vivant et attachant un personnage en apparence banal, laconique et passablement cabochard évoluant dans un univers glacial et guère sympathique. La participation de l’acteur alla au-delà des espérances du producteur puisqu’il fut même à l’origine du nom du personnage. En effet, les romans étant écrits à la première personne, l'espion n’y est jamais nommé. Ce sont Michael Caine et Harry Saltzman qui trouvèrent le nom Harry Palmer en cherchant une sonorité la plus commune possible. De quoi refléter le caractère d'un personnage à l’opposé du sémillant James incarné alors par Sean Connery.

Suite à l’énorme succès critique et publique rencontré par le film dès sa sortie, deux autres opus virent le jour, tous deux adaptés du même auteur et interprétés par Michael Caine : Mes Funérailles à Berlin et Un Cerveau d’un Milliard de Dollars. La réalisation du premier en 1966 à Berlin même donne au film un cachet historique tout à fait exceptionnel. Confié cette fois au très bondien Guy Hamilton, Mes Funérailles à Berlin offre l’essentiel de ce qui fit le succès de Ipcress : intrigue à multiples bandes, ambiance de Guerre Froide presque palpable et dialogue acérés. La réalisation reprend partiellement le style imposé par Sidney J. Furie tout en l’adoucissant. Le film, bien que parfois confus, reste une belle réussite qui achève de donner à la série Palmer son statut de classique de l’espionnage "à l’ancienne".

Malheureusement, Un Cerveau d’Un Milliard de Dollar tourné un an plus tard peine à se hisser au même niveau. Dès le générique graphique conçu par Maurice Binder et illustré d’une plate musique de variété, la volonté de devenir un nouveau James Bond est évidente. La base secrète high-tech, le projet démesuré d’un richissime mégalomane, la romance de papier glacé altèrent considérablement l’identité propre de la série. Plus tout à fait un Harry Palmer sans être un véritable Bond, le film de Ken Russel peine à convaincre et s’enlise dans l’anecdotique de carte postale et l’action invraisemblable. Malgré la présence de Karl Malden, de quelques dialogues savoureux et d’un final spectaculaire joliment réalisé, ce troisième opus signe l’essoufflement d’une série qui semble se renier.

Finalement, ceux qui surent le mieux exploiter et décliner l'esprit de The Ipcress File sont les créateurs de l’excellente série Le Prisonnier (1967). Elle pourrait presque être une aventure de Harry Palmer tant les similitudes sont nombreuses : services secrets douteux, ambiance mystérieuse, manipulation mentale, héros insubordonné et cassant ; jusqu’à une réalisation très inspirée des expérimentations de Sidney J. Furie. Bien sûr, la télévision ayant un impact plus important, c’est la série de Patrick McGoohan qui marqua bien davantage les esprits sur plusieurs générations.

Une raison supplémentaire de découvrir l’œuvre de référence qui a su magistralement définir, pour longtemps, les codes du film d’espionnage et qui, au passage, propulsa Michael Caine à la place qui lui revenait : tout en haut de l’affiche.

lundi 14 septembre 2009

Un Américain Bien Tranquille

Cruelle ironie de l'Histoire, le film de Phillip Noyce dut affronter, à 50 ans d’intervalle, les mêmes critiques que le roman dont il est adapté. Si en 1955 Graham Greene fut accusé d'antiaméricanisme à la publication d’Un Américain bien Tranquille, le film le fut tout autant en 2002, au point où Miramax annula sa sortie pour cause de proximité avec le fameux 11 septembre et d’une vision de la CIA incompatible avec le Patriot Act. Mais grâce à la ténacité de Michael Caine, le film fût finalement projeté au festival de Toronto où son succès lui permit de débuter une exploitation dans... 6 salles !

Nous sommes ici au Vietnam en 1952 durant la période-charnière qui voit se mettre en place la future boucherie made in USA à la suite du naufrage colonial indochinois made in France, le tout sur fond de Communisme sanglant. Autant dire que l'époque est peu propice au triomphalisme et aux visions manichéennes de propagande.
C'est par le regard de Thomas Fowler, correspondant du London Times en poste à Saigon, que nous sommes témoins de l'engrenage infernal qui se met en place. Homme lucide, sensible mais désabusé, Fowler s'est depuis longtemps fondu dans cet environnement exotique qui n’en finit pas de se décomposer sous les coups de boutoirs de l’Histoire. Témoin professionnel revenu de tout et qui se targue de ne jamais prendre parti, le journaliste devenu presque dilettante ne vit que dans l’attente de retrouver sa jolie maîtresse vietnamienne : Phuong. Jusqu’au jour où il se lie d’amitié avec Alden Pyle, un jeune américain idéaliste et plein de bonne volonté fraîchement débarqué à Saigon…

Fort bien adapté par le brillant Christopher Hampton (Les Liaisons Dangereuses, Carrington...), le film de Phillip Noyce joue admirablement sur les deux axes principaux de l’intrigue : d’une part les coulisses d’événements historiques tragiques et d’autre part le registre sentimental du triangle amoureux qui se met en place. Les deux aspects sont abordés avec la même acuité sans tomber jamais dans le mélodrame facile ou la fresque grandiloquente. Ce qui, reconnaissons-le, est une surprise de taille de la part de Phillip Noyce dont la filmographie aseptisée ne brille ni par sa subtilité ni son regard pertinent sur le monde.

Soutenue par une sombre et magnifique photographie de Christopher Doyle (Hero, In the Mood for Love, 2046...), la réalisation est à la fois inspirée et discrète, résolument tournée vers les personnages. Le parti pris des champs-contre-champs filmés face caméra renforce encore le sentiment que les protagonistes nous prennent à témoin de leurs doutes, nous interpellant presque sur leurs choix moraux. Mais les auteurs n’oublient jamais non plus de faire avancer une intrigue aux relents de polar poisseux, ou bien d’user d’un savoir-faire très efficace lorsqu’il s’agit de mettre en image un effroyable attentat sur les lieux mêmes où il se déroula jadis. Le film fut d'ailleurs presque entièrement tourné au Vietnam.

Côté interprétation, Brendan Fraser incarne parfaitement le fringant mais ambigu Pyle. Il nous rappelle ici, comme dans Gods and Monsters, qu'il est un excellent comédien le plus souvent mal exploité. Quant à Do Thi Hai Yen qui interprète Phuong, elle est magnifique de sensibilité retenue et de complexité. Malgré un minimum de dialogue, elle parvient à semer le doute chez le spectateur quant à ses intentions et émotions, comme elle le fait avec les personnages du film.

Mais c’est bien sûr Michael Caine qui illumine le film tout entier. Rarement l’acteur aura été aussi bien servi par un rôle où il peut donner toute la mesure de son immense talent. D'une phrase, d’un regard, il emporte le spectateur dans le tourbillon de ses émotions contradictoires, sa détresse, son implacable lucidité désenchantée face aux horreurs du monde et au désordre de sa propre vie. Tout à tour poignant, caustique, amoureux, terrorisé, blessé surtout, le comédien est à chaque instant au sommet de son art sans jamais donner le sentiment d’une "performance". Bien davantage que pour son rôle de l’Oeuvre de Dieu, la Part du Diable, c’est évidemment avec ce personnage-ci que l’Oscar lui revenait de droit, célébrant enfin son talent autrement que dans le cadre d’un second rôle.

Mais l’on sait combien ces récompenses sont conditionnées par le contexte, le message et le succès du film. Or, outre son échec commercial, cet Américain bien Tranquille ne l’était sans doute encore pas assez pour être loué à sa juste valeur. Malgré une pluie de nominations internationales et une carrière chaotique étalée sur plus d'un an, cette nouvelle adaptation* du roman de Greene reste mal connue. Une injustice que le cinéphile curieux et exigeant ne manquera pas de réparer en découvrant au plus vite cet excellent film.


*Une première version fut portée à l’écran par Joseph L. Mankiewicz en 1958.

lundi 13 juillet 2009

Wallace & Gromit : Le Mystère du Lapin-Garou

On retrouve dans ce premier long métrage co-produit par Dreamworks beaucoup de ce que l'on a aimé dans les célèbres et oscarisés courts-métrages de la firme Aardman mettant en scène les deux compères en pâte à modeler créés par Nick Park.

Évidemment c'est magnifique : quel bonheur de découvrir tous ces petits décors d’une précision infinie foisonnants de textures fines et colorées qui nous changent de la 3D - même de qualité - si présente dans le cinéma d’animation d'aujourd'hui. Tout le charme incomparable de l’animation traditionnelle est là, jusque dans ses imperfections qui enchantent et transportent le spectateur dans une sorte d’immense coffre à jouets.
C'est hilarant aussi, en tapant tous azimuts tant dans les dialogues que les gags purement visuels et même les nombreux clins d'oeil de cinéphiles judicieusement amenés. Et puis bien sûr les inventions délirantes de Wallace...

Ce qui chagrine un peu c'est ce que l’on n’y retrouve pas : cet esprit étrange, décalé, presque inquiétant d'Un Mauvais Pantalon avec son drôle de pingouin muet et vicieux. Ou bien les trouvailles visuelles comme la folle poursuite en train électrique durant laquelle Gromit fabrique la voie au fur et à mesure. On a ici affaire à une sympathique histoire, certes gentiment foldingue, mais un peu trop classique malgré une belle grosse surprise. Le personnage du prétendant chasseur par exemple est un cliché absolu de comédie tandis que la poursuite finale n'a résolument pas le punch et l'originalité de celles des films courts.

Heureusement le charme opère cette fois encore grâce notamment au "talent" du très lucide et craquant Gromit qui est sans doute l’un des personnages les plus réussis de l'histoire de l'animation image par image : un chien qui ne parle pas, qui n'a même pas de bouche mais qui parvient à exprimer les sentiments les plus subtils grâce à un regard que bien des acteurs de chair et d’os pourraient lui envier...

Aardman est au volume ce que Pixar est à la 3D, le charme "du réel" et l'humour british en plus.

mardi 9 juin 2009

Planète Interdite

Pour cette 50e chronique il était temps de rendre enfin hommage au film qui inspira son nom à ce blog et bien davantage encore. L’exercice n’est pas simple tant le film de Fred Mc Leod Wilcox fut disséqué, décrypté, interprété, célébré depuis sa sortie sur les écrans voilà 53 ans. Oui, Planète Interdite c’est un peu le Citizen Kane de la science-fiction, le Autant En Emporte le Vent du space opera, bref : un monument du cinéma.

La science-fiction à l’écran ne fut longtemps qu’un genre mineur, sérial de pacotille ou éternelle série B fauchée, bâclée et vouée aux doubles programmes. Si les années 50 marquèrent un véritable tournant grâce à des œuvres telles que Le Jour où la Terre S’arrêta, l’Invasion de Profanateurs ou La Chose d’un Autre Monde, c’est encore souvent au travers de films modestes se situant essentiellement dans un contexte contemporain faisant écho à la Guerre Froide qui fait rage à l’époque. Même Les Survivants de l’Infini, dont le final spectaculaire se déroule sur la planète Metaluna, traite encore de savants abusés par l’ennemi. Suivez mon regard...

La MGM, qui voit tous les succès du genre lui passer sous le nez, décide de frapper un grand coup en regardant plus loin que ses concurrents, sur le fond comme sur la forme. En s’inspirant de La Tempête de Shakespeare et en y ajoutant une dose de psychanalyse jungienne - option rare et provocante à l’époque - le tout transposé très loin de la Terre sur la lointaine et mystérieuse planète Altaïr IV, le film tient résolument à se démarquer de ses prédécesseurs : introspection et voyage intergalactique, lointain futur et tourments éternels propulsent ainsi Planète Interdite vers un classicisme universel et intemporel dès sa conception.

Si la réalisation est confiée à un cinéaste maison sans grand caractère - usage fréquent pour ne pas dire incontournable à l’époque - c’est pour garder un contrôle rigoureux sur ce qui est avant tout un film du scénariste Cyril Hume et de ses producteurs. Le budget imposant souligne cette volonté d’illustrer au mieux les ambitions des auteurs : direction artistique magistrale, première utilisation du CinémaScope et du flamboyant Eastmancolor sur un film de ce type, crème des spécialistes des effets spéciaux empruntée aux prestigieux Studios Disney. Quant à la musique, elle est confiée aux très avant-gardistes Louis et Bebe Barron qui concoctent en 3 mois dans leur studio de Greenwich Village, et après avoir construit leurs propres instruments, une étourdissante partition électronique. Sans oublier bien sûr le soin sans précédent apporté à la réalisation du personnage de Robby le Robot qui achève de donner à Planète Interdite son statut de film culte.

Audace artistique, ambition, moyens appropriés : le cocktail magique fait des miracles. Lors des projections test, l’impact est tel que rien n’est modifié pour la sortie du film. La MGM tient la pépite qu’elle a mis tant de soin à concevoir. Mais comment prévoir la résonance infinie que le film allait produire sur plusieurs générations de spectateurs ? Malgré un succès mitigé qui peine à rembourser le budget de production, Planète Interdite devient immédiatement une œuvre de référence qui change à jamais le cinéma de science fiction.

En 2006 j’ai eu l’immense plaisir de redécouvrir le film sur grand écran dans une copie neuve.
Si la surprise n’était plus de mise, l’émerveillement fut au rendez-vous tant les couleurs et les qualités esthétiques conservent toutes leurs richesses 50 ans après. Bien sûr l’inévitable idylle entre le fringant capitaine et la fille du professeur toute en minijupe et coiffure pimpante prête à sourire, tout comme les moments de comédie imposées par la MGM semblent souvent déplacés et puérils. Mais comment ne pas être ébloui aujourd’hui encore par cette intrigue d’une incomparable maturité se déroulant au sein d’une étrange civilisation mystérieusement disparue à son apogée, ces Krells dont on ne peut deviner l’apparence que par la forme des portes ? Ou bien ces effrayantes empreintes laissées par une insaisissable créature invisible qui parcourt la planète en semant la mort sur son passage, les décors vertigineux des cités enfouies, le twist final et la spectaculaire confrontation avec le monstre de l’Id… Et puis cette entêtante musique électronique qui joue un rôle décisif dans l’atmosphère unique du film, une audace que sanctionnèrent les syndicats hollywoodiens en refusant aux Barron le crédit de musique au profit des termes "electronic tonalities".

Revoir le film dans son état d’origine permet de mieux saisir encore ses innombrables qualités qui inspirèrent tant de créateurs. Le plus connu d’entre eux est évidemment Gene Roddenberry qui 10 ans plus tard imagina la saga Star Trek en reprenant nombre d’éléments du film : équipage, époque et même le numéro d’immatriculation du célèbre Enterprise qui est une référence directe à l’heure où la soucoupe de Planète Interdite entre en orbite d’Altaïr IV : 17:01. Comment ne pas penser aussi au ton très "butler" de Robby dont le distingué C-3PO de Star Wars fait écho, ou aux puits insondables de l'Etoile Noire, répliques presque parfaites de l'univers Krell ? L’on ne compte plus les oeuvres dont le point de départ est un équipage lancé à la recherche d’une expédition disparue aux confins de l’univers. Certains évoquent même une filiation avec le 2001 de Kubrick qui lui aussi osa allier grand spectacle cosmique et questionnement introspectif.

Mais au fond peu importe. L’impact de Planète Interdite sur l’imaginaire collectif reste immense et continuera d’émerveiller des générations de nouveaux spectateurs et de cinéphiles. Car outre une beauté formelle exceptionnelle qui peut paraître datée à certains, la grande force de Planète Interdite réside dans les thèmes abordés, sa faculté à évoquer la part d’ombre de chacun bien au-delà de l’âge, de la nationalité ou du contexte historique. Au même titre que les contes traditionnels, le film échappe par là même au simple goût du kitsch ou aux propagandes de circonstance pour s’adresser directement au cœur et à l’esprit. Un chef-d’oeuvre ? En tous cas, ça y ressemble terriblement.

dimanche 3 mai 2009

Zodiac

Étonnant récit d’une véritable énigme courant sur plus d’une décennie, le film de David Fincher s’applique à suivre la sanglante carrière d’un psychopathe sévissant dans la région de San Francisco durant toutes les années 70 - et probablement avant. Basé notamment sur les deux livres écrits par Robert Graysmith qui fut dessinateur pour le prestigieux quotidien San Francisco Chronicle auquel le meurtrier envoyait des lettres cryptées annonçant ses crimes réels ou imaginaires, le film développe avec une précision chirurgicale tous les rouages qui menèrent à un invraisemblable échec policier et judiciaire. Le résultat à l’écran est en tous points remarquable.

Comme une réponse à son célèbre Se7en, Zodiac reprend le thème du serial killer mystérieux mais cette fois dans un traitement résolument différent dû sans doute à l’authenticité des faits. Accumulant une documentation monumentale en plus des ouvrages déjà existants, enquêtant lui-même sur les lieux des crimes et vérifiant les informations disponibles, David Fincher aborde sous l’angle du documentariste un sujet qui hanta son enfance californienne. Réputé pour son exigence pointilleuse, le cinéaste délaisse cette fois le thriller destiné avant tout à faire frissonner le spectateur pour suivre méticuleusement le travail de fourmi d’une poignée de flics et de journalistes inexorablement phagocytés par l’obsession de capturer l’insaisissable meurtrier. Abandonnant de gré ou de force l’enquête au fil des années, tous les protagonistes de cette chasse à l’homme en resteront marqués à vie. L’un d’eux, Robert Graysmith, agissant de son propre chef sans avoir à rendre des comptes à quiconque poursuivra jusqu’au bout son désir ardent de connaître l’identité du tueur. Rien ne pourra arrêter ce jeune homme discret dans sa quête de la vérité.

Tout en privilégiant l’investigation - dans ses mécanismes de réflexion et de déduction qui se déroule davantage dans des bureaux ou une bibliothèque qu’en effectuant des cascades vertigineuses - David Fincher n’oublie pas d’équilibrer un film résolument cérébral par des passages où la tension pure est de mise. En premier lieu desquels se trouvent les meurtres perpétrés par le Zodiac. En grand cinéaste, il met en scène ces moments avec une précision, une économie et une apparente simplicité qui leur donne une intensité peu commune. Ici point de musique pétaradante, de montage hystérique ni d’effets grand guignolesques : à l’image du tueur lui-même tout y est calme, froidement maîtrisé et d’une implacable cruauté.

On retrouve également cette économie jusque dans la reconstitution historique des différentes époques qui, tout en étant précise, ne relève jamais du folklore nostalgique de pacotille, pour passer presque inaperçue et rendre tout le film vaguement intemporel.
Cette fluidité entre les époques se retrouve d’ailleurs dans toute la mise en scène malgré des ellipses couvrant parfois plusieurs années. Inventive, riche, sophistiquée même, mais jamais tape à l’œil, magistralement éclairée par Harris Savides qui retrouve Fincher dix ans après The Game, la réalisation de Zodiac signe la maturité d’un grand cinéaste. Le second plan du film, un long travelling longeant les maisons d’une banlieue californienne donne le La : tout y est en apparence simple et sans surprise. Pourtant l’angle choisi, la lumière, la composition, tout concourt à une impression étrange, vaguement inquiétante qui ne quitte plus le spectateur jusqu’à la fin. Sensation rehaussée par les nombreux effets spéciaux "invisibles" dont Fincher est friand afin de maîtriser sa réalité dans les moindres détails, nous rappelant son admiration pour George Lucas et son passage précoce chez ILM.

Comme toujours chez le cinéaste, l’omniprésence technique ne se fait jamais au détriment de la direction d’acteurs, toujours excellente. Jake Gyllenhaal incarne à la perfection le jeune dessinateur de presse un peu trop réservé qui peine à se faire remarquer de ses collègues. Face à la morgue charmeuse de l'épatant Robert Downey Jr, le tandem sera l’occasion de quelques discrètes touches d’humour fort bien écrites, à l’instar des scènes où Robert Graysmith fait la rencontre de sa seconde femme joliment interprétée par Chloë Sévigny. Film d’antihéros par excellence, toute la distribution est par ailleurs remarquable de justesse et accompagne tout entière l’intrigue telle une chorale, chacun apportant le ton juste au bon moment tout en laissant l'espace aux autres.

Bien sûr, en prenant ainsi à rebrousse-poil le cinéma de genre dont il avait lui-même contribué à forger les codes avec son prestigieux Se7en, David Fincher peut déstabiliser : une certaine lenteur devenue inhabituelle pour ce type de film pourra en effet surprendre, en particulier sur une durée de 2h30. Dire que l’on ne sent pas le temps passer serait mentir mais, tout comme la lecture demande un effort plus important que d’allumer son poste de télé, Zodiac récompense le spectateur par la sensation d’assister à bien autre chose qu’un simple divertissement : le fascinant spectacle d'un cinéaste qui construit et maîtrise parfaitement son œuvre, exigeant jusqu’à réinventer son propre style sans jamais en faire un gadget ni perdre de vue son sujet. Respect.

dimanche 29 mars 2009

REC

Troisième représentant du tir groupé "caméra DVérité" de 2008 avec Diary of the Dead et Cloverfield, voici donc REC de Paco Plaza et Jaume Balagueró qui tente une fois de plus de nous effrayer sur le mode du "reportage". Très peu client du procédé, moins encore après le pathétique film de George Romero et un Cloverfied déjà évoqué ici, c’est tout entier sur le nom de Balagueró que je fondais mes espoirs. Révélé par l’étonnant La Secte sans Nom puis confirmé par l’excellent Darkness et un inégal Fragile, le jeune prodige espagnol avait montré dès le début une incroyable maturité narrative soutenue par une réalisation d’une précision et d’une élégance rare. Dès lors, comment un réalisateur aussi exigeant pouvait-il bien s’accommoder de la faiblesse (pour ne pas dire l’indigence) du DV "réalité" ? Suspectant un coup commercial rapidement plié dont le crédit de co-réalisation semblait apporter un indice complémentaire, c’est sans enthousiasme que je me décidais enfin à visionner le film.

Soixante quinze minutes plus tard, le verdict est sans appel : REC est une réussite totale qui enfonce encore davantage ses concurrents dans la médiocrité. Car les deux cinéastes ibériques sont parvenus pour la première fois à relever presque tous les défis du genre, à en éviter bien des écueils. Là où un Romero à bout de souffle patine dans une structure narrative approximative l’obligeant à tricher en permanence pour respecter son postulat de départ intenable, là où Cloverfield se perd rapidement dans sa vacuité scénaristique, REC propose une construction d’une incroyable densité et d’une rigueur implacable. Tout est y introduit au bon moment, au bon tempo, ne se reposant jamais paresseusement sur la formule pour palier le manque de rigueur à l’écriture (suivez mon regard). REC a été conçu comme un véritable film, pas comme un gadget.

Comme précédemment Danny Boyle et son 28 Jours plus Tards, Plaza et Balagueró semblent avoir réfléchi à leur œuvre pour en tirer le meilleur presque "en dépit" du procédé. Alors oui, la caméra se promène et zigzague en permanence, oui la lumière se veut crue, oui tout se déroule en temps réel court-circuitant la plupart des conventions narratives classiques. Mais tout (ou presque) y est aussi parfaitement justifié. Même si l’idée du cameraman qui continue de filmer en dépit de tout reste discutable, les auteurs parviennent par d’astucieuses pirouettes à trouver une justification suffisante pour évacuer la question au profit de l’événement. Sous un apparent désordre se cache donc une véritable et puissante mise en scène où tout a été pesé jusqu’au moindre détail. Même l’introduction se déroulant dans une caserne de pompiers est frappante de réalisme : on a vraiment la sensation d’assister au tournage d'un reportage télévisé, les acteurs étant tous troublants de vérité. Le soin apporté dès ce stade du film montre déjà la voie rigoureuse suivie par les deux cinéastes, bien loin de la navrante introduction totalement artificielle (un comble) de Cloverfield.

Si l’histoire n’est pas d’une originalité folle et s’inscrit totalement dans cette nouvelle vague de zombies et autres infectés amorcée par le film de Danny Boyle ou l’Armée des Morts, Balagueró signe un final inattendu et fantastique dans la droite ligne de ses œuvres précédentes. Il s'agit d’ailleurs des moments les plus terrifiants du film, mettant en image un cauchemar ultime là encore très bien servi par le style DV reportage. Faisant suite à une heure d’hystérie magistralement orchestrée, l’exploit est d’autant plus impressionnant. À noter que dans ce tourbillon horrifique, les auteurs se paient même le luxe d’introduire quelques considérations sociales sur ce petit groupe de gens ordinaires confrontés soudainement à l'horreur. C’est effleuré à la bonne mesure et par là même bien plus efficace que la consternante balourdise moralisatrice de Diary of the Dead.

Finalement REC s’applique à démontrer que le procédé importe peu dès lors que la caméra (même bringuebalante) est tenue par des cinéastes de talent. En osant bousculer ainsi à ce point sa propre marque de fabrique avec un tel bonheur, Balagueró confirme qu’il est décidément un très grand cinéaste de genre. Sans doute l’un des meilleurs de la décennie.

lundi 23 mars 2009

La Jurée

Démoli par la critique tandis que Demi Moore se voyait attribuer en 1996 le Razzie Award de la plus mauvaise actrice "grâce" à ce film et au désastreux Striptease, le moins que l’on puisse dire c’est que La Jurée n’est pas exactement un film estimé. Il s’agit pourtant d’un palpitant thriller tiré du roman de George Dawes Green adapté par Ted Tally précédemment oscarisé pour son adaptation du Silence des Agneaux.

Fort bien mené par un Brian Gibson surtout "connu" pour son très poussif Poltergeist 2, La Jurée réserve son lot de surprises grâce avant tout à son scénario astucieux tout en rebondissements et très bien servi par des comédiens convaincants. Demi Moore y incarne parfaitement et sans affèterie cette mère célibataire ordinaire, artiste méconnue qui se trouve embarquée dans un jeu de pouvoir terrifiant entre mafieux après avoir été sélectionnée dans le jury d’un procès retentissant.
Alec Baldwin compose face à elle un redoutable manipulateur vaguement psychopathe d’autant plus effrayant que ses réelles motivations semblent très fluctuantes.

Le début du film s’amuse à faire croire au spectateur qu'il est plus malin que le scénariste, lui laissant entrevoir des événements supposés prévisibles pour ensuite mieux le surprendre. Jouant ainsi sur plusieurs registres allant du classique film de procès au thriller teinté de serial killer, le film ne relâche jamais une seconde la tension grâce à un effroyable piège qui n’en finit pas de se refermer sur les personnages. C’est carré, solidement réalisé et surtout extrêmement efficace.
Malgré l’aspect "mon fils ma bataille" un peu appuyé et le penchant d’auto-défense très en vogue à l’époque, ce film de genre de très bonne facture fera passer une épatante soirée suspens à tous les amateurs de thrillers haletants et tortueux à la Harlan Coben.

mercredi 11 mars 2009

Watchmen

L’adaptation du célébrissime roman graphique signé Moore/Gibbons fut l’un de ces serpents de mer dont Hollywood a le secret. Successivement annoncée puis annulée des années durant, la version cinéma fut l’occasion de bien des débats enflammés avant même le premier tour de manivelle. Déjà réputée inadaptable au départ, l’histoire acquit à l’occasion de ces mises en chantiers avortées une aura quasi mystique auprès de certains fans : Watchmen était décidément intouchable et devait le rester.

Lorsque Zack Snyder fut annoncé sur le projet, une quasi-unanimité s’éleva donc pour condamner à priori toute possibilité de réussite de la part d’un réalisateur jugé d’autant plus mineur qu’il succédait aux très respectables Terry Gilliam et Darren Aronofsky. Auteur d’un formidable remake de Dawn of the Dead on pouvait néanmoins s’inquiéter légitimement du traitement de la part d’un réalisateur qui n’avait pas su encore montrer sa fibre la plus subtile en particulier avec le très bourrin 300 tiré de l’œuvre de Frank Miller. Si sa maîtrise formelle n’était plus à démontrer ainsi que sa capacité d’adapter fidèlement un auteur graphique, restait à établir sa faculté à traiter l’histoire infiniment complexe, sensible et profonde imaginée par Alan Moore. N’en déplaise aux oiseaux de mauvais augure, le défi fut relevé au-delà de toute espérance : Watchmen est non seulement une adaptation fidèle et réussie, mais c’est aussi un grand film.

On reproche souvent (à juste titre) à Hollywood de manquer d’audace, de dupliquer les recettes à l’infini, de stériliser ce qu’elle adapte. En moins d’un an, après le surprenant Dark Knight de Chris Nolan et aujourd’hui à fortiori avec cette splendide adaptation on ne peut que se réjouir de cette inversion de tendance d’autant plus spectaculaire qu’elle se situe dans le cadre ultra formaté du blockbuster. Watchmen peut même se targuer d’aller plus loin que son illustre prédécesseur : là où Nolan s’appropriait le mythe Batman pour en tirer une nouvelle substance, Zak Snyder se paie le luxe de rester au plus près de l’œuvre originale tout en livrant un film personnel, remarquablement réalisé et brisant bien des conventions du genre tout comme le firent Moore et Gibbons sur papier. Un pur exploit qui contredit magistralement la théorie selon laquelle les adaptations les plus réussies sont souvent de merveilleuses trahisons. Je ne connaissais jusqu’à présent qu’un seul contre exemple dans un genre bien éloigné de celui-ci : la trilogie de James Ivory adaptée de E.M. Forster Chambre avec Vue, Maurice et surtout Howards End.

Watchmen-le-film présente donc une vision conforme à Watchmen-la-BD. Tout y est : l’atmosphère de fin du monde située dans des années 80 fantasmées où les USA sont encore gouvernés par Nixon, la violence larvée de la Guerre Froide et celle plus tangible des émeutes et des quartiers crasseux, les super-héros ordinaires et dépressifs mis à la retraite forcée par un pouvoir les déclarant hors la loi, l’enquête menée par le plus psychotique d’entre eux pour découvrir qui a décidé de les éliminer, le mystérieux complot, les questionnements de Jon alias Dr Manhattan seul personnage à détenir des pouvoirs surnaturels et fer de lance de la dissuasion américaine…
Znyder croit même tellement à la puissance du scénario original qu’il se permet avec bonheur toutes les audaces réputées fatales à un bon film grand public : flashbacks, voix off, personnages multiples sans véritable héros, digressions philosophiques, durée hors norme, action pure en retrait et violence gore plein cadre. Et ça marche !
Aucune édulcoration pudibonde n’a été retenue et la seule véritable entorse à l’histoire originale est la bienvenue : en écartant une imagerie finale un peu trop pulp qui aurait pu prêter à sourire, le cinéaste renforce davantage encore toute la dimension humaine du propos. Chapeau bas.

La perfection n’étant pas de ce monde en particulier sur un métrage de 2h45 et les adaptations se révélant bêtement propices aux comparaisons pointilleuses, il faut bien aussi évoquer les faiblesses relatives du film. Si la distribution impeccable est souvent troublante de similitude avec les dessins de Gibbons (en particulier l’étonnant Patrick Wilson/le Hibou, l'intense Jackie Earle Haley/Rorschach ou les saisissantes apparitions de la charismatique Malin Akerman/Laurie en costume), il est bien difficile de comprendre le choix étrange de Matthew Goode pour le rôle d’Ozymandias. Non pas que son talent d’acteur soit vraiment remis en cause. Mais physiquement le choix est d’autant plus discutable qu’il a fallu l’affubler d’une improbable perruque pour palier (en vain) l’absence de ressemblance.
D’ailleurs toute la perruquerie (abondante) du film est assez redoutable. Tout comme les maquillages de vieillissement souvent limites, il est troublant de voir encore aujourd’hui ce genre de production grand luxe trébucher sur des détails aussi "basiques". Alors que par ailleurs la catastrophe annoncée concernant le personnage virtuel de Dr Manhattan est, elle, évitée. De justesse soit, mais évitée tout de même grâce au talent de Billy Crudup qui au-delà du trucage numérique imparfait parvient à faire passer une véritable émotion à l'aide de quelques gestes et d'une voix bouleversante. Quoiqu’il en soit, qui oserait prétendre qu’un acteur peint en bleu aurait été préférable ?

Outre une scène supposée torride qui n’échappe pas totalement au ridicule, on pourra également reprocher à Snyder de céder à un certain maniérisme frime, poussant un peu loin le principe du plan "impossible" ou de l’effet ralenti durant les combats. Pourtant, ce côté un tantinet artificiel parfois souligné par les effets spéciaux renforce pour une fois l'ambiance générale de cette réalité parallèle quasi onirique inhérente au scénario original.
Bref, à ce petit jeu des erreurs, peu de films peuvent s’enorgueillir d’un sans faute absolu, en particulier lorsque le défi de départ est comme ici à l’image du résultat final : immense.

vendredi 6 février 2009

A Couteaux Tirés

Film à la carrière discrète (on dit aussi "échec commercial"), The Edge se révèle pourtant une solide production comme il en existe peu sur le thème de l'aventure avec un grand "A". Réunissant les impeccables Anthony Hopkins et Alec Baldwin aux prises avec un environnement sauvage somptueux mais pour le moins hostile, Lee Tamahori nous emporte loin, très loin, quelque part entre les récits d'aventure de notre jeunesse et le thriller machiavélique.

Richement produit par Art Linson juste après Heat déjà écrit par le très polyvalent et talentueux David Mamet (Glengarry, Verdict, Hoffa), le film s'est dans un premier temps construit autour d'Harrison Ford et Dustin Hoffman. Mais le duo d'acteurs finalement retenu fut sans aucun doute le meilleur choix possible pour servir cette intrigue moins simpliste qu'il n'y paraît.

La petite équipe d'un séduisant photographe de mode (Baldwin) part en Alaska pour mitrailler dans un environnement sauvage une célèbre top model mariée à un milliardaire vieillissant et passablement jaloux (Hopkins). A la suite d'un crash durant un vol de reconnaissance, l'amant présumé, son assistant et le mari suspicieux se retrouvent perdus au milieu de l'Alaska montagneuse. Commence alors une marche aussi longue qu’éprouvante, où il faut constamment lutter pour sa propre survie... sans négliger de surveiller du coin de l'oeil son compagnon d'infortune.

Outre les innombrables et très efficaces péripéties auxquelles on pouvait s'attendre (ours kodiak terrifiant en guest star), toute l'astuce du scénario consiste à y imbriquer une forte dimension psychologique liée aux caractères et aux enjeux symbolisés par les deux protagonistes principaux. Conscient que son statut de milliardaire suscite un constant mélange d'envie, d'admiration teintée de jalousie voire de haine, Morse/Hopkins est un homme froid, sur la réserve mais discrètement généreux, tout entier tourné vers l'efficacité et le rationnel. Le talent de l'acteur consiste à transmettre également une ombre de vulnérabilité au parfum de désespoir qui semble inséparable de la trop grande lucidité du personnage.
Face à lui Alec Baldwin excelle à nouveau dans cet emploi de charmeur énergique aux intentions pas très claires. Rôle qu'il avait déjà visité avec succès dans les tortueux MaliceLa Jurée. Grâce au parti pris de suivre en permanence les rescapés sans jamais alterner avec d’hypothétiques recherches ou tout autre retour à la "civilisation", les personnages prennent le temps d’évoluer au gré des épreuves. Mais sans toutefois se transformer radicalement : David Mamet évite en effet les gros sabots d'une niaise rédemption comme le cinéma populaire américain nous en sert trop souvent.

L'autre personnage incontournable du film est évidemment ce décor du bout du monde magnifié par une réalisation ample, rigoureuse, joliment classique et soutenue par une lumineuse photographie. Loin du tout numérique et des effets tourbillonnants si courants depuis, A Couteaux Tirés prend résolument le pari du réalisme en allant tourner presque entièrement en extérieur. Rares sont les films qui savent si bien tirer parti d'un tel cadre d'exception. Une option qui s'avère très payante tant pour l’immersion du spectateur que pour l’efficacité des rebondissements. Bien sûr il s’agit là d’un réalisme tempéré par une bonne dose de coups de bol, mais n'est-ce pas là souvent le prix à payer pour vivre de telles aventures ? On pourra également déplorer une fin un peu abrupte, un fond idéologique légèrement rance ou bien encore la très paresseuse musique de Jerry Goldsmith. Mais le souffle du film et le plaisir d'être diverti sans être pris pour des abrutis l'emporte aisément sur ces quelques menues faiblesses.

vendredi 26 décembre 2008

Peau d'Âne

Comme presque tous les ans à la période des fêtes, une chaîne de télé se dévoue pour nous rediffuser l’adaptation du conte de Charles Perrault. Tant mieux, car le très joli film de Jacques Demy garde tout son charme quarante ans après sa réalisation. Et puis c’est toujours mieux que cette gourde de Sissi.

Troisième comédie musicale avec le compositeur Michel Legrand après les célébrissimes Parapluies de Cherbourg et Demoiselles de Rochefort, Peau d’Âne est en revanche moins chanté que ses prédécesseurs et s'en tient à des chansons illustrant les moments clefs de l’intrigue. Le résultat est plus facile d’accès et présente en apparence une forme proche des productions Disney. En apparence seulement, car Jacques Demy prend soin de garder tous les aspects les plus symboliques qui font des contes traditionnels bien autre chose que de simples histoires colorées destinées aux tout-petits. Ici l’inceste est clairement le thème central de l’intrigue puisqu’un Roi, veuf inconsolable, ne trouve que sa propre fille digne de remplacer la défunte Reine à ses côtés. Aidée par sa marraine la Fée des Lilas, la Princesse n’a d’autre choix que de fuir le royaume incognito sous les traits d’une souillon habillée d’une peau d’animal. Inimaginable au pays de Mickey !

Comme l’a écrit Bruno Bettelheim dans sa Psychanalyse des Contes de Fées, ces histoires ancestrales n’évitent pas d’aborder les problèmes les plus cruciaux de l’existence contrairement aux œuvres plus récentes qui tendent à construire un univers sécurisant conforme avant tout à l’idée que veulent se faire les adultes de leur progéniture idéalisée. Les contes originaux, souvent affinés durant des siècles voire des millénaires, entendent plonger carrément le jeune lecteur dans les difficultés existentielles qu’il est amené à affronter durant sa construction psychique. Toute l’intelligence des contes est d’aborder ces sujets complexes sous forme d’œuvres d’art qui captivent avant tout par leurs qualités littéraires et narratives. En édulcorer les aspects jugés les plus "choquants" sous prétexte de les rendre abordables aux plus jeunes les vide de leur sens.
Conscient de la richesse du sujet, Jacques Demy expose donc clairement l’argument du conte sans l’éviter, ni utiliser de langage crypté destiné aux adultes, ni en rire. En cela Peau d’Âne est une exception dans le monde pourtant foisonnant du conte porté à l’écran : il garde sa vertu féerique tout en préservant son caractère le plus profond. Comme l’histoire originale, il permet à chaque âge de la vie de s’y retrouver. Son statut de film culte trouve sans doute là son origine, au même titre que les contes ont su traverser les siècles.

Le cinéaste illustre par ailleurs au mieux (pour l’époque) l’aventure elle-même grâce à une luxueuse direction artistique (pour une production française) et une bonne humeur vivifiante à laquelle Michel Legrand contribue grandement avec son entêtante bande originale reconnaissable dès les premiers accords. Soutenu par une distribution de choix qui voit défiler Jean Marais, Catherine Deneuve, Micheline Presle, Jacques Perrin et Delphine Seyrig, le film séduit, amuse souvent, émerveille parfois. Bien sûr on peut déplorer un jeu manquant de profondeur, une lumière qui ne préserve jamais un coin d’ombre ou une esthétique parfois kitsch, mais heureusement le film est court (1h25) et le rythme soutenu. Au passage le spectateur attentif sourira aux références faites à d’autres contes (Le Chat Botté, Les Fées) et bien sûr au film La Belle et la Bête de Jean Cocteau dont Jean Marais et son pourpoint largement épaulé n’est que l’expression la plus visible.

La Belle et la Bête et Peau d’Âne, deux ovnis survolant un cinéma français si rétif et méprisant face à l’imaginaire, deux chef-d’œuvres hors du temps qui se répondent à vingt-cinq ans d’écart et nous émerveillent intelligemment encore aujourd’hui. Bonnes fêtes !

lundi 15 décembre 2008

Les Ruines

Voilà un film qui réunissait tout pour n'être qu'une énième purge sur le thème du troupeau de jeunes méga-wizz confrontés à l'ignoble menace tapie au fond des bois.
L'introduction ne nous épargne rien : les sourires Ultra Brite, les Bikinis, la plage, la drague et les préoccupations puissantes ("où est ma bague ?"). Deux couples d'étudiants en vacances dans un hôtel au Mexique sont abordés par un inconnu allemand qui les invite à rejoindre ses amis archéologues sur un site de fouilles au fin fond de la forêt. À ce stade on est moyennement enthousiaste et l'on a la sensation de déjà prévoir la suite. De fait, si le site et les habitants du coin sont bien là, les archéologues n'y sont plus. Ou tout au moins plus vraiment. Enfin vous verrez...
Car le réalisateur Carter Smith et son scénariste Scott B.Smith (Un Plan Simple) auteur du roman dont est tiré le film sont très malins et concoctent là une sacrée bonne surprise à mille lieues d'un soporifique Wolf Creek ou des affligeants Cabin Fever et Hostel.

Jouant astucieusement de certains poncifs pour nous surprendre et utilisant au mieux l'unité de lieux et de temps pour créer un climat oppressant, Les Ruines est un véritable film fantastique en forme de huit clos se déroulant presque exclusivement au sommet d'une pyramide maya envahie par une drôle de végétation.
Son habile crescendo conduit des personnages finalement pas si tartes que prévu vers un inexorable cauchemar qui finit par donner quelques bonnes suées au spectateur en alternant menace surnaturelle et conditions climatiques extrêmes. Des effets gore particulièrement efficaces ponctuent au mieux une ambiance tendue qui fonctionne sur la longueur, bien loin d'une creuse juxtaposition de saynètes horrifiques pour public pop-corn.
Sûr de lui, Carter Smith n'éprouve d'ailleurs pas le besoin d'en rajouter dans la frime côté réalisation ni dans l'humour lourdingue vaguement distancié pour faire passer la pilule : ici tout est carré, efficace et classique dans le bon sens du terme. Jusqu'à une interprétation tout à fait honorable, chose assez rare dans ce type de production.

On parvient à la fin avec le sentiment jouissif d'avoir été embarqué dans une aventure horrifique solidement construite et mise en image (Darius Khondji inside) respectant les codes du genre en les utilisant au mieux. En cela Les Ruines rejoint ces excellentes surprises dont on n'attendait à priori rien comme Tremors, Darkness, Isolation et autres The Descent. Youpi.

vendredi 5 décembre 2008

Intermission

Tout en accent rugueux et copieusement arrosé à la Guinness, Intermission nous emporte à Dublin suivre les mésaventures d’une poignée de personnages ordinaires à un tournant de leur vie - pour ne pas dire en plein pétage de plomb. Parfois violent, parcouru d’un humour très noir, le film passe en permanence du drame au polar, de la love story à la comédie la plus grinçante. A l’image du percutant prologue, John Crowley joue merveilleusement de la rupture de ton pour nous déstabiliser et rendre imprévisible le registre de la scène voire du plan suivant. C’est assez jubilatoire, mais rend dangereusement "spoilante" toute tentative de résumer l’histoire.

Accumulant un foisonnement de détails qui flirtent parfois avec le burlesque ou le trash, l’émotion surgissant sans prévenir au détour d’une réplique ou d’un regard, Intermission est un délicieux cocktail dans la lignée de Bons Baisers de Bruges, Sammy et Rosie s’Envoient en l’Air, The Snapper ou même Snatch. On y croise entre autres un policier obsédé par la violence et fan de musique celte (Colm Meaney), un étalagiste amoureux transi qui parfume son thé à la sauce piquante (Cillian Murphy), son pote miné par l’abstinence sexuelle, un vieillard handicapé qui boit sa Guinness sur le dos, une petite frappe détestable (Colin Farrell), un chauffeur de bus revanchard, une fille au duvet tenace (Shirley Henderson), un sale gosse qui adore provoquer des accidents et même une course de lapins. C’est tonique, parfois hilarant, vaguement désespéré et interprété à la perfection par une pléiade d’acteurs "à tronches" tous remarquables, qu’ils soient connus ou non.

Le scénario réserve de très bonnes surprises dont quelques scènes d’anthologie dans le pub local, le supermarché ou le club de rencontre pour dames d’un certain âge. Même si le réalisateur aurait pu faire l’économie d’un tic de cadrage un peu appuyé et que dix minutes de moins auraient densifié l’intrigue, Intermission est une excellente surprise comme nos voisins d’outre-manche (et en l’occurrence un peu au-delà) savent si bien les trousser. Epatant.