dimanche 27 septembre 2009

Outpost

Nouvel avatar du cinéma fantastique anglais, Outpost fut d’abord un projet mené par Neil Marshall (The Descent) qui préféra se consacrer à son désastreux Doomsday. C’est Steve Barker, un inconnu venu de la télévision, qui prit la relève pour mener à bien ce film qui ne connut finalement pas les honneurs des salles obscures pour se contenter d’une sortie en DVD. Il faut bien reconnaître que c’est rarement un gage de qualité pour ce genre de production. Pourtant Outpost possède quelques solides atouts qui valent le détour.

Dans la grande tradition du film fauché et de l’aventure mystérieuse pulp, Outpost conte les déboires d’une poignée de mercenaires et de leur mystérieux commanditaire aux prises avec des forces surnaturelles emprisonnées dans un ancien bunker, ici enfoui sous terre au fin fond du Kosovo. Certes, l’introduction frise le téléfilm avec ses acteurs un peu trop typés qui parcourent en grimaçant une pauvre forêt sur fond de combats lointains évoqués uniquement à coup de bruitages. Heureusement, Outpost décolle dès la découverte du sombre bunker.

Car la petite troupe se retrouve vite confrontée à des phénomènes terrifiants tant à l’intérieur du fortin qu’en surface. Déjà éprouvés par l’attaque de mystérieux assiégeurs invisibles, les soldats font la découverte d’un curieux personnage amorphe et mutique parmi un tas de cadavres gisant dans une des innombrables pièces d’un bunker poisseux à souhait. Suivront d’autres trouvailles monstrueuses ponctuées de sanglantes disparitions et d’effrayants dérèglements climatiques jusqu’à la révélation du véritable but de l’expédition : retrouver une redoutable machine construite jadis par les Nazis. Ach !

Si jusque-là le film tient ses promesses côté suspens, surprises et mystère, le scénario se prend violemment les pieds dans le tapis lorsqu’il s’agit de tenir une certaine logique dans les conséquences liées à l’utilisation de la machine infernale - au demeurant fort jolie. Le film tout entier ne s’en relève pas, jusqu’à devenir dans la toute dernière partie un fatras incompréhensible qui, cumulé avec la pauvreté des moyens, n’échappe au cinéma Z que par la grâce d’une réalisation honorable. Il est regrettable de s’être ainsi loupé au stade même de l’écriture en sachant que l’extrême modestie du budget ne permettrait pas de détourner la vigilance du spectateur par la surenchère visuelle.

Malgré tout, Outpost est une très belle surprise pour tout fan de vrai cinoche fantastique, loin de l’avalanche de slashers qui se déverse sur les écrans. Par le soin apporté à l’esthétique en dépit d’un budget étriqué, les vieux thèmes revisités au parfum - rare - de EC Comics et une ambiance pesante tout à fait épatante, Steve Barker parvient à faire décoller son film vers des sphères prometteuses.

vendredi 18 septembre 2009

Ipcress, Danger Immédiat

Fort du succès de ses trois premiers James Bond dont le prestigieux Goldfinger en 1964, le producteur canadien Harry Saltzman lance l’année suivante une nouvelle série de films d’espionnage. Mais plutôt que dupliquer la recette en choisissant un 007 bis, c’est sur l’antihéros imaginé par Len Deighton que le producteur jette son dévolu.

Ancien escroc reconverti - de force - en agent du gouvernement de Sa très Gracieuse Majesté, Harry Palmer est un homme d'extraction modeste et d'apparence quelconque. Insolent et cynique, l’espion aux lunettes d’écaille aborde son métier de manière très routinière, sans la moindre fibre patriotique ni surtout aucune confiance en ses employeurs. Affecté à des taches subalternes, il s'acquitte de sa mission en évitant les ennuis, puis regagne son modeste home où il peut s'adonner à ses deux passions : la musique classique et la cuisine. Autant dire qu'on est loin, très loin de son Bond-issant prédécesseur imaginé par Ian Fleming. Seul un intérêt prononcé pour la gent féminine rapproche les 2 personnages.

The Ipcress File débute alors que Palmer, occupé à de plates surveillances de routine, est recruté par le chef du contre-espionnage afin d'enquêter sur la disparition de plusieurs scientifiques travaillant pour le gouvernement. Trouvant là un moyen d'arrondir ses fins de mois, Palmer accepte la proposition du Colonel Ross et se trouve brusquement propulsé dans un univers dangereux et violent où microfilms, meurtres, enlèvements, agents doubles et lavages de cerveaux sont de mise…

Tous les ingrédients du film d’espionnage de la grande époque sont donc réunis, faisant d’Ipcress l’archétype du genre, et sans doute aussi le plus réussi. Len Deighton fait partie des écrivains qui offrent une vision sombre et très critique des services secrets, démystifiant autant l’ennemi que l’allié dans leurs motivations ambivalentes. Le film s’inscrit également dans cette démarche réaliste et plutôt audacieuse en pleine Guerre Froide. Pas de folles cascades, de gadgets ni d’improbables espionnes glamours, mais le cadre sévère d’un Londres tout de grisaille où se croisent, se mentent et s’entretuent des hommes ordinaires en trench.

Sans la vision éclairée de Saltzman, ces options auraient pu engendrer un film de série assez terne. Heureusement, deux choix décisifs hissèrent le projet dans la catégorie des œuvres majeures. Tout d’abord celui du réalisateur Sidney J. Furie, cinéaste canadien inconnu qui, par ses partis pris esthétiques sophistiqués, donna aux décors gris du quotidien une allure étrange, dérangeante, presque fantastique. Magnifiquement cadré dans un cinémascope spectaculaire, chaque plan relève d’une composition minutieuse et inventive aux angles parfois improbables mais toujours furieusement percutants. Loin de se faire oublier, la réalisation est ici presque un personnage à part entière, bousculant en permanence un spectateur désorienté à force d’inspecter chaque recoin du cadre.

Le second choix fut bien sûr de retenir un autre inconnu pour incarner le rôle principal. Michael Caine n’avait à l’époque qu’un seul film à son actif et, à 32 ans, sa carrière piétinait dangereusement lorsque Harry Saltzman lui proposa le personnage. Le producteur avait déjà saisi le gigantesque potentiel de ce comédien qui, comme Palmer, présentait un physique ordinaire, était issu des quartiers pauvres et pratiquait un redoutable humour. Surtout, il avait compris à quel point la personnalité et le talent exceptionnel de Caine pouvaient rendre vivant et attachant un personnage en apparence banal, laconique et passablement cabochard évoluant dans un univers glacial et guère sympathique. La participation de l’acteur alla au-delà des espérances du producteur puisqu’il fut même à l’origine du nom du personnage. En effet, les romans étant écrits à la première personne, l'espion n’y est jamais nommé. Ce sont Michael Caine et Harry Saltzman qui trouvèrent le nom Harry Palmer en cherchant une sonorité la plus commune possible. De quoi refléter le caractère d'un personnage à l’opposé du sémillant James incarné alors par Sean Connery.

Suite à l’énorme succès critique et publique rencontré par le film dès sa sortie, deux autres opus virent le jour, tous deux adaptés du même auteur et interprétés par Michael Caine : Mes Funérailles à Berlin et Un Cerveau d’un Milliard de Dollars. La réalisation du premier en 1966 à Berlin même donne au film un cachet historique tout à fait exceptionnel. Confié cette fois au très bondien Guy Hamilton, Mes Funérailles à Berlin offre l’essentiel de ce qui fit le succès de Ipcress : intrigue à multiples bandes, ambiance de Guerre Froide presque palpable et dialogue acérés. La réalisation reprend partiellement le style imposé par Sidney J. Furie tout en l’adoucissant. Le film, bien que parfois confus, reste une belle réussite qui achève de donner à la série Palmer son statut de classique de l’espionnage "à l’ancienne".

Malheureusement, Un Cerveau d’Un Milliard de Dollar tourné un an plus tard peine à se hisser au même niveau. Dès le générique graphique conçu par Maurice Binder et illustré d’une plate musique de variété, la volonté de devenir un nouveau James Bond est évidente. La base secrète high-tech, le projet démesuré d’un richissime mégalomane, la romance de papier glacé altèrent considérablement l’identité propre de la série. Plus tout à fait un Harry Palmer sans être un véritable Bond, le film de Ken Russel peine à convaincre et s’enlise dans l’anecdotique de carte postale et l’action invraisemblable. Malgré la présence de Karl Malden, de quelques dialogues savoureux et d’un final spectaculaire joliment réalisé, ce troisième opus signe l’essoufflement d’une série qui semble se renier.

Finalement, ceux qui surent le mieux exploiter et décliner l'esprit de The Ipcress File sont les créateurs de l’excellente série Le Prisonnier (1967). Elle pourrait presque être une aventure de Harry Palmer tant les similitudes sont nombreuses : services secrets douteux, ambiance mystérieuse, manipulation mentale, héros insubordonné et cassant ; jusqu’à une réalisation très inspirée des expérimentations de Sidney J. Furie. Bien sûr, la télévision ayant un impact plus important, c’est la série de Patrick McGoohan qui marqua bien davantage les esprits sur plusieurs générations.

Une raison supplémentaire de découvrir l’œuvre de référence qui a su magistralement définir, pour longtemps, les codes du film d’espionnage et qui, au passage, propulsa Michael Caine à la place qui lui revenait : tout en haut de l’affiche.

lundi 14 septembre 2009

Un Américain Bien Tranquille

Cruelle ironie de l'Histoire, le film de Phillip Noyce dut affronter, à 50 ans d’intervalle, les mêmes critiques que le roman dont il est adapté. Si en 1955 Graham Greene fut accusé d'antiaméricanisme à la publication d’Un Américain bien Tranquille, le film le fut tout autant en 2002, au point où Miramax annula sa sortie pour cause de proximité avec le fameux 11 septembre et d’une vision de la CIA incompatible avec le Patriot Act. Mais grâce à la ténacité de Michael Caine, le film fût finalement projeté au festival de Toronto où son succès lui permit de débuter une exploitation dans... 6 salles !

Nous sommes ici au Vietnam en 1952 durant la période-charnière qui voit se mettre en place la future boucherie made in USA à la suite du naufrage colonial indochinois made in France, le tout sur fond de Communisme sanglant. Autant dire que l'époque est peu propice au triomphalisme et aux visions manichéennes de propagande.
C'est par le regard de Thomas Fowler, correspondant du London Times en poste à Saigon, que nous sommes témoins de l'engrenage infernal qui se met en place. Homme lucide, sensible mais désabusé, Fowler s'est depuis longtemps fondu dans cet environnement exotique qui n’en finit pas de se décomposer sous les coups de boutoirs de l’Histoire. Témoin professionnel revenu de tout et qui se targue de ne jamais prendre parti, le journaliste devenu presque dilettante ne vit que dans l’attente de retrouver sa jolie maîtresse vietnamienne : Phuong. Jusqu’au jour où il se lie d’amitié avec Alden Pyle, un jeune américain idéaliste et plein de bonne volonté fraîchement débarqué à Saigon…

Fort bien adapté par le brillant Christopher Hampton (Les Liaisons Dangereuses, Carrington...), le film de Phillip Noyce joue admirablement sur les deux axes principaux de l’intrigue : d’une part les coulisses d’événements historiques tragiques et d’autre part le registre sentimental du triangle amoureux qui se met en place. Les deux aspects sont abordés avec la même acuité sans tomber jamais dans le mélodrame facile ou la fresque grandiloquente. Ce qui, reconnaissons-le, est une surprise de taille de la part de Phillip Noyce dont la filmographie aseptisée ne brille ni par sa subtilité ni son regard pertinent sur le monde.

Soutenue par une sombre et magnifique photographie de Christopher Doyle (Hero, In the Mood for Love, 2046...), la réalisation est à la fois inspirée et discrète, résolument tournée vers les personnages. Le parti pris des champs-contre-champs filmés face caméra renforce encore le sentiment que les protagonistes nous prennent à témoin de leurs doutes, nous interpellant presque sur leurs choix moraux. Mais les auteurs n’oublient jamais non plus de faire avancer une intrigue aux relents de polar poisseux, ou bien d’user d’un savoir-faire très efficace lorsqu’il s’agit de mettre en image un effroyable attentat sur les lieux mêmes où il se déroula jadis. Le film fut d'ailleurs presque entièrement tourné au Vietnam.

Côté interprétation, Brendan Fraser incarne parfaitement le fringant mais ambigu Pyle. Il nous rappelle ici, comme dans Gods and Monsters, qu'il est un excellent comédien le plus souvent mal exploité. Quant à Do Thi Hai Yen qui interprète Phuong, elle est magnifique de sensibilité retenue et de complexité. Malgré un minimum de dialogue, elle parvient à semer le doute chez le spectateur quant à ses intentions et émotions, comme elle le fait avec les personnages du film.

Mais c’est bien sûr Michael Caine qui illumine le film tout entier. Rarement l’acteur aura été aussi bien servi par un rôle où il peut donner toute la mesure de son immense talent. D'une phrase, d’un regard, il emporte le spectateur dans le tourbillon de ses émotions contradictoires, sa détresse, son implacable lucidité désenchantée face aux horreurs du monde et au désordre de sa propre vie. Tout à tour poignant, caustique, amoureux, terrorisé, blessé surtout, le comédien est à chaque instant au sommet de son art sans jamais donner le sentiment d’une "performance". Bien davantage que pour son rôle de l’Oeuvre de Dieu, la Part du Diable, c’est évidemment avec ce personnage-ci que l’Oscar lui revenait de droit, célébrant enfin son talent autrement que dans le cadre d’un second rôle.

Mais l’on sait combien ces récompenses sont conditionnées par le contexte, le message et le succès du film. Or, outre son échec commercial, cet Américain bien Tranquille ne l’était sans doute encore pas assez pour être loué à sa juste valeur. Malgré une pluie de nominations internationales et une carrière chaotique étalée sur plus d'un an, cette nouvelle adaptation* du roman de Greene reste mal connue. Une injustice que le cinéphile curieux et exigeant ne manquera pas de réparer en découvrant au plus vite cet excellent film.


*Une première version fut portée à l’écran par Joseph L. Mankiewicz en 1958.

dimanche 6 septembre 2009

L'Oeuvre de Dieu, La Part du Diable

Et hop encore un titre français qui décoiffe ! Mais cette fois les distributeurs ont une excuse puisqu'il s'agit de l’adaptation d’un best seller de John Irving dont la traduction date de 1986. Il faut reconnaître que ça sonne bien, même si les intentions de l’auteur s’en trouvent considérablement altérées pour ne pas dire détournées. Difficile à traduire tel quel, The Cider House Rules est pourtant le cœur du propos de Irving qui entend démontrer que des lois arbitraires imposées par des gens non concernés sont faites pour être transgressées. Un propos qui va à l’encontre de la plate connotation religieuse et moralisante de la version française.

Sixième roman de l’écrivain et troisième adaptation à l’écran après Le Monde Selon Garp et Hôtel New Hampshire, L’Oeuvre de Dieu, la Part du Diable est né de la volonté indéfectible de John Irving qui cette fois écrivit le scénario, obtint un droit de regard sur le casting, le choix du réalisateur et même le montage final. Longtemps différé pour des raisons de productions ou de réalisateurs défaillants, c’est presque treize ans après son adaptation écrite que le film de Lasse Hallström vit enfin le jour.

Roman préféré de l’auteur, on pouvait redouter un traitement par trop révérencieux ou littéraire qui oublierait que le cinéma obéit à ses propres règles. Mais Irving parvint à dépasser brillamment cet obstacle en offrant une remarquable adaptation de son œuvre et qui fut à juste titre récompensée par un Oscar. Sans jamais trahir ni affadir le propos, le film présente une version précise et fidèle, tout en densifiant considérablement le dernier tiers d’un roman qui s’étiolait.

L’essentiel est là : au travers de l’itinéraire initiatique d’un jeune homme élevé dans un orphelinat de la côte Est des Etats-Unis durant les années 30 et 40, le film aborde quelques thèmes rares dans un cinéma américain populaire si souvent coupable de pusillanimité face à la morale religieuse qui mine le pays. Toute la force du film de Haalström est ainsi de proposer une réflexion sur des sujets tels que l’avortement, l’inceste et plus largement la transgression, et ce sous une forme luxueuse et romanesque aisément accessible. D’un point de vue "pédagogique", la démarche est bien plus efficace qu’un film ouvertement militant s’adressant à un public conquis d’avance.

Lasse Hallström déploie donc tout son talent et son savoir-faire pour offrir une œuvre à la fois ample et profondément intimiste. En adoptant un style flamboyant frisant l'académisme mais toujours d’une très grande beauté formelle, le cinéaste parvient fort bien à illustrer l’univers foisonnant de John Irving où mélodrame, comédie, situations extraordinaires et simple quotidien se côtoient avec bonheur. Sans oublier l’immense tendresse de l’auteur pour tous ses personnages, même les plus ambigus.

Dans le rôle d’Homer Wells l’orphelin introverti découvrant le monde, Tobey Maguire est impressionnant de justesse à chaque instant tandis que Michael Caine incarne un bouleversant Dr Larch plus vrai que nature. Son rôle de père adoptif, mentor et professeur à la fois généreux et égoïste, pudique et sentimental lui vaudra au passage son second Oscar. À leurs côtés, Charlize Theron compose un personnage crédible et vivant tandis que Delroy Lindo et Erykah Badu sont excellents dans des rôles plus discrets mais décisifs. À noter également un stupéfiant casting d’enfants, que les personnages soient muets ou non. On retrouve, là plus qu’ailleurs, toute la finesse et la sensibilité du réalisateur de Gilbert Grape.

Sans être évidemment un brûlot subversif, L’Oeuvre de Dieu, La Part du Diable se révèle résolument plus audacieux et subtil que la moyenne des "films à Oscars". En somme, un beau et grand mélodrame magnifiquement réalisé qui charme et émeut tout en affirmant avec finesse un positionnement moral et social courageux. Pas mal non ?