Ridley Scott
l'affirme depuis toujours : tourner une suite à l'un de ses films ne
l'intéresse pas. De fait, malgré quelques copieux succès à son actif, il
se refuse à l'appel du revenez-y. Au point de bâtir au fil du
temps une filmographie, certes, très inégale, mais d'un éclectisme
certain : les genres eux-mêmes y sont rarement visités plusieurs fois.
Et même si son Hannibal est bien une sequel, il fait suite à un Silence des Agneaux signé Jonathan Demme : il ne s'agit donc pas de réaliser du Ridley Scott 2.0.
Première véritable concession à cette certitude que "ce qui est fait n'est plus à refaire" le remaniement de son Blade Runner en 1997. La version sortie en 1981 avait en effet subi des modifications importantes de la part de la production. Blade Runner ayant accédé entre temps au rang de chef-d’œuvre, Scott peut se permettre de remettre son film d'aplomb. Mais lorsque la Fox lui demande de retoucher également Alien
pour sortir un "director's cut" opportuniste surfant sur la mode du
supplément bidon, Scott commence par refuser. Pas question de réinjecter
la fameuse scène dite "des cocons" juste pour réaliser le fantasme
d'une génération de fans. Mais la major hollywoodienne est intraitable : Alien
tripatouillé se fera avec ou sans lui. Scott cède tout en reconnaissant
le faire pour l'argent et parce qu'il préfère que ce soit lui plutôt
qu'un autre. Contrairement à Blade Runner, ce nouveau montage ne
présente aucun intérêt. Pire : en brisant la fluidité de la dernière
partie du film, la réintégration de la scène "mythique" prouve à quel
point il est essentiel de la laisser à la poubelle. C'est dire si vendre
cette mouture comme une volonté de l'auteur au profit de l'intégrité de
l’œuvre tient du révisionnisme créatif. Ironie de l'Histoire : une
joute de même nature présidera à l'existence de Prometheus.
Après les affligeants Alien Vs Predator 1 et 2, la Fox décide de confier la production de la franchise à Scott Free,
la firme créée et dirigée par Ridley Scott et son frère Tony. Ce qui
semble de prime abord une excellente idée se révèle un feuilleton de
quatre ans où priment les rapports de force. Les nouveaux partenaires
annoncent rapidement leur intention de mettre en chantier le prochain
opus en revenant aux sources de la saga. Même si aucun script n'est encore écrit, on apprend que l'histoire se déroulera avant le premier
film. Exit donc l'emblématique Ripley incarnée par Sigourney Weaver. Le concept est risqué mais depuis le grotesque Alien Résurrection, on sait que la présence du personnage n'est en rien un gage de qualité.
Peu
à peu, les ingrédients divulgués se font plus inquiétants : notamment
l'accent mis sur le monde dont est issue la créature aux commandes du
vaisseau extra-terrestre découvert dans le film originel. Sorti de
l'imagination du peintre Giger, le fameux "space jockey"
fut conçu comme une sculpture fossilisée sans se soucier de réalisme
anatomique. La perspective de voir évoluer des foules de ces E.T.
remaniés par n'importe quel production designer laissait craindre
le pire. Avec raison on le verra. Pour l'heure on croise les doigts :
Ridley est là, et s'il y a bien un domaine où il excelle c'est celui des
choix esthétiques.
Seulement voilà, Ridley n'y est
plus : fidèle à son manque d'intérêt pour les suites, il annonce que le
projet sera conduit par un obscur réalisateur allemand auteur de
courts-métrages, se trouvant être le petit ami de sa fille. On a vu CV
plus excitant. On passe donc de l'inquiétude à l'épouvante, la Fox
aussi : pas question que Ridley se dérobe et avec lui le principal
argument marketing légitimant le redémarrage de la série. Mais Scott
tient bon et le projet disparaît quelque temps des radars.
La
Fox sort alors une nouvelle fois sa massue argumentaire : si Ridley
Scott ne réalise pas le film, sa société Scott Free se verra retirer
l'exploitation de la franchise Alien. Et ça marche à nouveau :
Scott revient aux commandes. En tant que futur spectateur, c'est peu
dire que l'enthousiasme premier s'en trouve refroidi. Concevoir et
surtout réussir la suite d'un film extraordinaire n'est jamais chose
aisée, en imaginer un cinquième avatar relève carrément de l'exploit.
Mais si le maître d’œuvre s'y colle à regret, les chances de succès
deviennent infimes.
Au fil du temps la prequel officielle d'Alien
laisse place à un machin hybride qui semble concilier la non-envie de
Scott à la nécessité contractuelle d'en faire un film de la saga. La
fuite d'un synopsis construit de bric et de broc annonce un brouet
mystico-kitch de la pire espèce. L'arrivée du scénariste de l'improbable
Cowboys et Envahisseurs
ne rassure pas davantage. Comme pour conjurer le sort, les éléments de
langage marketing pilonnent sur le thème du scénario brillant. La
découverte de la bande-annonce n'est résolument pas de bon augure :
casting de top models, imagerie quelconque et surtout cet
insupportable quizz vendeur de souvenirs directs ou détournés (ah ces
œufs-mais-pas-tout-à-fait). Mais on veut y croire tout de même, la
catastrophe n'est jamais sûre et la promesse est belle. C'est peu dire
qu'elle n'est pas tenue.
Expédions les éléments
évidents d'un désastre annoncé : le scénario est bel et bien d'une
insondable platitude. Incohérent, écrit au fil de la plume pour remplir
le vide entre les pataudes références au film original, l'intrigue
s'écoule sans tension, sans enjeux, sans aucune surprise et de manière
pas toujours très claire. Chaque rebondissement est téléphoné ou stupide, les
personnages sont inconsistants et les motivations confondantes de
bêtise. Lestée par un "propos" mystico-philosophique bien pensant écrit
par ordinateur et soulignée par une musique mélo, l'histoire oscille
entre l'eau tiède et le comique involontaire tant le comportement des
protagonistes semble souvent incongru : deux scientifiques égarés aux
agissements de débiles mentaux, la décontraction ahurissante de l'équipe
face à l'inconnu, la soirée "sexy" en tongs et kimono de lin, les
acrobaties de l'héroïne fraîchement opérée, l'irruption d'un zombie
bondissant, le suicide au lance-flamme, l'explication subite du
commandant, un "humour" ponctuel qui vient comme un cheveux sur la
soupe. Et la liste est loin d'être exhaustive.
Les comédiens n'aident pas à faire passer la pilule : hormis Michael Fassbender qui esquisse un personnage intéressant mais jamais exploité, la fadeur de ses collègues est immense : Noomi Rapace fait le job sans brio, Logan Marshall-Green semble sortir d'une pub Diesel, quant aux autres, ils n'existent pas. Une mention pour Charlize Theron parcourant le décor à grands pas de top model, surjouant une executive woman glaciale comme on n'en voit plus depuis les pubs l'Oreal des années 90. Guy Pearce
lui, peine à faire passer quelques émotions à travers un maquillage
calamiteux, option d'autant plus stupide qu'elle est parfaitement
inutile. Y aurait-il pénurie d'acteurs âgés ?
Côté
esthétique, ce n'est pas mieux. À l'image du film tout entier,
Scott aligne paresseusement allusions lourdingues et déjà-vu plan plan.
Le décorum humain n'est jamais choquant mais désespérément standard : on cherche en vain la
moindre invention ou originalité visuelle ou, à défaut, un soupçon de
réédition inspirée. Au lieu de quoi on y manipule des fenêtres
holographiques comme dans n'importe quel action movie techno. Côté tumulus extra-terrestre, c'est nettement plus grave : la reprise de l'univers Gigerien
est affreusement mal digérée, grossière même : de vilains décors sans
âme, tout en grosses nouilles grises. En guise de clou du spectacle, la
salle de commande avec sa flûte saugrenue, ses boutons mous et son
insignifiant planétarium piloté par un space jockey télescopique
frôle le mauvais goût et, disons-le, un colossal je-m'en-foutisme. Les
extra-terrestres albinos et bodybuildés sont hors charte mais on
remercie néanmoins les auteurs de nous avoir épargné leurs cavalcades en
"combinaison" : ce que l'on voit de leur cadavre est tout simplement
indigent.
Et les méchants xénomorphes
alors ? Parce qu'il y en a évidemment, cahier des charges oblige. C'est
d'ailleurs le seul élément qui n'est pas déjà visible dans une
bande-annonce éventant consciencieusement les maigres effets de surprise
potentiels. Vous aimez les faux œufs en forme de jarre ? Vous adorerez
le pseudo face hugger façon calmar. Le film s'achève en apothéose avec l'apparition d'un Alien like aussi moche et mal foutu que celui du non moins mémorable hybride clôturant Alien Résurrection.
Au final, ce Prometheus
qui prétend pompeusement ouvrir une nouvelle saga n'est qu'un film
bâclé et faussement ambitieux, un concept creux de pur marketing à
l'image de cette récente prequel The Thing en forme de clone absurde. C'est-à-dire tout ce que James Cameron et David Fincher avait évité avec leur vision de l'univers Alien. Malgré des contraintes de productions identiques, Aliens, le Retour et Alien 3 avaient
su inventer chacun un style très personnel qui fait encore référence
dans le cinéma d'aujourd'hui. Enrichis d'une esthétique puissante et
inspirée, d'ambiances cohérentes et fortes, les deux suites
développaient pour le meilleur un premier film à la structure simple
mais d'une créativité infinie. Ici ne demeurent que le cynisme et un
savoir-faire stérile réduit à son strict minimum dont assurément
personne jamais ne s'inspirera. Réalisé par un tâcheron anonyme, Prometheus ne serait qu'une soupe insignifiante. Porté par Ridley Scott, c'est une honte.
lundi 4 juin 2012
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