mardi 26 août 2008

The Dark Knight

Après l'envoûtant et surprenant Prestige, Christopher Nolan est de retour avec son Batman plus rebooté que jamais. Coécrit avec son frère Jonathan et coproduit par sa femme Emma Thomas, cette énorme production détourne les standards du gros film de majors pour aller flirter l’air de rien du côté du film d’auteur. A l’instar des X-men de Bryan Singer, des Batman de Tim Burton ou même du Superman de Richard Donner, The Dark Knight démontre à nouveau que les meilleures adaptations de comics sont l’œuvre de réalisateurs à forte personnalité qui s’approprient les thèmes en évitant d’illustrer docilement l’œuvre originale souvent un peu simpliste. Fort du succès presque inattendu de son extraordinaire Batman Begins, Nolan enfonce donc le clou avec ce second volet plus personnel encore.

Durant presque 2h30, le film déroule une troublante succession de chapitres et de scènes presque autonomes - au point d’être parfois disparates - qui parvient peu à peu à élever cette banale histoire de super héros au rang de tragédie. Au point où les souvenirs du Parrain ou de Scarface me sont revenus à l’esprit durant la projection. Car en évitant presque toute l’imagerie comics et en s'attachant à rendre réalistes les actes et les motivations de personnages ambigus et violents, le film chasse ouvertement sur le terrain du thriller policier et de la fresque maffieuse. L’injection d’une dose d’affaires véreuses et de mafia internationale ne fait qu’amplifier cette impression.

Au passage exit le Gotham de folklore, le flamboyant manoir Wayne et sa techno-gothique Batcave, place au réalisme vitré et bétonné des grandes mégalopoles. Et si les inévitables scènes spectaculaires à coup d’explosions et de cascades vertigineuses sont au rendez-vous, Nolan marque bien davantage les esprits avec une petite devinette et un simple crayon. Entièrement focalisé sur ses personnages et leurs trajectoires tragiques à des degrés divers, le cinéaste s’approprie totalement le mythe en allant jusqu’au bout d’une vision humaine mais désespérée. A ce titre le sort de l’héroïne résume bien l’audace et l’intransigeance de la démarche. Là où ce retour au réel pouvait affadir le mythe, Christopher Nolan en profite au contraire pour mettre en oeuvre un lent mais implacable crescendo dramatique servi par une distribution de rêve.

Le très charismatique Heath Ledger est remarquable dans le rôle d’un Joker new-look plus proche du serial killer que du clown malfaisant et hystérique mais il serait injuste de concentrer toutes les louanges sur sa seule prestation. Car si le Joker est lui-même de bout en bout, Harvey Dent lui, devient Two Faces sous nos yeux. Aaron Eckhard rend formidablement crédible ce destin tragique qui le conduira d'un avenir politique brillant à la folie meurtrière et suicidaire. Son physique de golden boy et son jeu impeccable lui permettent de passer de l’un à l’autre avec une grande aisance et sans excès. Plus présent à l’écran que son rival psychotique au sourire balafré, on peut même se demander si le réalisateur n’était pas davantage intéressé par cette longue descente aux enfers que par la très linéaire folie destructrice du Joker. Et si le film était d’abord l’histoire d’Harvey Dent ?

Car le Dark Knight du titre est lui réduit à un personnage de second plan. Traversant le décor les mains dans les poches et le visage plus inexpressif que jamais, Bruce Wayne/Christian Bale réussit l’exploit d’être moins présent que son majordome Alfred incarné par un émouvant Michael Caine qui vous sert la gorge en une phrase et un regard. Comme si Christopher Nolan avait compris que ne pouvant rivaliser avec des comédiens de l’envergure de Gary Oldman, Morgan Freeman, Michael Caine, Heath Ledger ou même Aaron Eckhard, il était préférable de laisser Christian Bale en retrait et l’utiliser pour sa stature et une certaine présence.

Au registre des faiblesses, Nolan n’évite pas une certaine confusion dans sa manière d’accumuler plusieurs films en un seul, passant un peu du coq-à-l’âne sans se donner toujours le temps d’exploiter ce qu’il met en place. Cet aspect est particulièrement évident dans le premier tiers du film avec cette obscure intrigue d’associé chinois expatrié et de cambriolages multiples. Impossible également de faire l’impasse sur certaines idées sécuritaires tendancieuses, en particulier en ces temps d'Usa Patriot Act. On peut voir là des similitudes de fond avec l'incontournable Dark Knight Returns de Frank Miller où s’affrontaient déjà idées extrêmes et personnages tourmentés sur fond de désillusion morale et de société déliquescente. Malheureusement cet aspect semble désormais presque inséparable du personnage, ici souligné sans doute par un environnement résolument réaliste.

Au final, malgré un effet de surprise un peu émoussé depuis le précédent film de la série, ce second volet du duo Batman/Nolan se hisse incontestablement au sommet du genre sur un registre tout à fait inattendu. Même si comme pour Le Prestige, persiste cette impression diffuse mais tenace qu’il manque comme un souffle ou un brin de folie pour que le film accède au rang de chef-d’œuvre.

vendredi 15 août 2008

Cloverfield

Alors que le film DV se réclame volontiers d’une plus grande liberté, il n’est souvent en réalité qu’un moyen de s’enfermer dans un genre ultra calibré. Au même titre que le film en relief qui s’évertue à balancer tout et n’importe quoi n’importe quand vers le spectateur pour justifier son emploi, le "DV pour faire vrai" se révèle paradoxalement très artificiel et devient surtout le prétexte à toutes les facilités scénaristiques ou de mise en scène.

Le brillant 28 Jours Plus Tard était parvenu à sortir du registre de l’attraction de foire un format qui n’est finalement qu’un support comme un autre. Il en tirait le meilleur dont cette fameuse liberté qui se situe essentiellement du côté du coût réduit de production. Malheureusement Cloverfield fait comme si le film de Danny Boyle n’avait jamais existé et nous gratifie de tous les travers du genre.

L’argument épuisé de la désormais classique "cassette retrouvée" est le prétexte à un scénario inexistant qui tient en une phrase : un monstre attaque New york. Pourquoi pas. Mais dès l’interminable introduction faite de bavardages insipides dans la jeune bourgeoisie new yorkaise où l’on apprend que Machin a couché avec Bidule qui maintenant sort avec Truc, on a droit au montage et au cadre "amateur" c'est-à-dire de traviole et zébrés de coupures chaotiques "pour faire vrai". Et sans doute aussi pour meubler sans trop se casser la tête.

Heureusement le déclenchement des événements met un terme brutal à ce vide intersidéral de presque vingt minutes (!). L’effet de rupture est d’ailleurs puissant et les premières manifestations de l’arrivée de la créature (encore invisible à ce stade) sont très réussies. On pourra y voir ou non une référence à l’incontournable 11 septembre, peu importe, la séquence fonctionne à plein.
Malheureusement les péripéties s’enchaînent ensuite sans véritable intrigue hormis une invraisemblable bluette totalement hors de proportion avec le sujet. Ce bout-à-bout fonctionne parfois, ennuie aussi car le procédé s’use très vite. Du coup la caméra bringuebalante et les ruptures de montage ne produisent plus rien d’autre qu’un agacement contre-productif puisqu’ils créent de la distance avec le spectateur là où ils étaient censés l’immerger davantage dans les événements.
La séquence dans le métro achève de ramener le film à un simple niveau du jeu Half Life où la succession de péripéties n’est structurée par aucune narration ou aucun sentiment. Or ce qui est passionnant dans le cadre d’un jeu où le frisson est indissociable du fait d’être soi-même le moteur de l'action, devient vite creux lorsqu’on se contente de subir un flot d’images chaotiques et de personnages en carton.

Matt Reeves parvient tout de même de temps en temps à produire l’effet recherché au travers de quelques plans réellement impressionnants, notamment ceux laissant entrevoir le monstre ou durant les mouvements de foule.
Cloverfield ne souffre peut-être finalement que d’être un long métrage là où l’intention de départ et le procédé utilisé ne permettaient qu’un film brut d’une quinzaine de minutes qui aurait grandement gagné en cohérence et en efficacité.

A noter que le peu prolifique Matt Reeves est l'auteur d'une très agréable comédie datant de 1996 : Le Porteur de Cercueil.

mercredi 13 août 2008

Bons Baisers de Bruges

Malgré un titre crétin et une affiche à côté de la plaque, ce Bons Baisers de Bruges sorti (presque) de nulle part est une très belle surprise et un coup de maître de l'auteur/réalisateur Martin McDonagh dont c’est là le premier long métrage.
Avec un extraordinaire sens de la rupture et de la réplique qui tape juste affûté sans doute par son passé de dramaturge, l’auteur met en place une tragi comédie très écrite, noire et parfois décalée sur fond d’états d’âme de tueurs en cavale passablement dépressifs.

Le duo d’acteurs qui domine le film fonctionne admirablement bien sur le mode du tandem sans verser à aucun moment dans le buddy movie calibré.
Dans le rôle de l’agité, Colin Farrell expose un registre étonnant, tout à la fois émouvant, violent et comique dans le style pas très futé. Face à un Brendan Gleeson omniprésent, impressionnant de justesse et de sobriété, on pourra peut-être lui reprocher ici ou là d’en faire un peu trop, mais c’est parfois le "prix à payer" avec cette catégorie d’acteurs intenses et charismatiques qui, à force de crever l’écran, vont jusqu’à déborder du cadre par instants. Phénomène que l’on retrouve parfois avec Robert Downey Jr ou Daniel Day Lewis, mais qui tout compte fait se révèle largement bénéfique pour le film et le spectateur.

L’apparition tardive de Ralph Fiennes vient compléter le tableau sans jamais le déséquilibrer. L’acteur trouve aisément son propre registre et semble prendre au passage un grand plaisir à se détourner de son image d’éternel séducteur en incarnant ce chef de bande paranoïaque et colérique toujours à la limite de l’explosion meurtrière.

Si l’intrigue réserve quelques trouvailles jubilatoires grâce à un auteur qui ne néglige jamais la progression dramatique de son scénario, elle n’est au final qu’un composant un peu secondaire dans ce qui semble être avant tout une observation parfois attendrie mais jamais complaisante de trois ou quatre personnages au tournant de leur très médiocre existence. Tout comme la ville de Bruges qui somme toute aurait pu parfaitement être Berlin, Rome ou Paris. Car le véritable décor du film est bien davantage le visage de ces personnages souvent filmés au plus près, comme pour guetter les infinies nuances de leurs ultimes tourments.

mardi 12 août 2008

Wall-E

Propulsé au rang de chef-d'oeuvre avant même sa sortie, il est pourtant bien difficile d’être surpris par cette nouvelle production Pixar qui, malgré un progrès constant dans la qualité des images, semble se reposer un peu sur ses lauriers (mérités) côté scénario.
On serait presque tenté de faire un rapprochement avec l’histoire de la firme Disney qui durant ses premières décennies révolutionna constamment l’art de l’animation tout en se basant le plus souvent sur de très sages adaptations de contes célèbres.

Pourtant il faut reconnaître que si la production animée récente - Pixar compris - repose essentiellement sur des personnages bavards voire hystériques et une action tourbillonnante lourdement teintée de parodie, ce Wall-E presque muet perdu sur une Terre désertée de ses habitants laissait espérer un traitement à contre courant pour le moins rafraîchissant. Mais le film se révèle rapidement être un peu à l’image de son personnage principal : bien fait mais avec un irrépressible sentiment de déjà vu.

La première partie du film tient pourtant en partie ses promesses grâce aux images splendides, tout en velouté et lumière dorée enveloppant de vastes décors de ville abandonnée magnifiquement servis par un très beau cinémascope. L’animation, toujours impeccable et fine, met en scène quelques jolis moments de comédie tendre au parfum de nostalgie via les innombrables trouvailles que le petit robot, compacteur de déchets mais aussi chineur, collectionne amoureusement dans son refuge. Reliques qui sont autant de clins d’œil à notre époque.
On suit également avec plaisir les tentatives hasardeuses de Wall-E pour communiquer avec Eve, le second personnage à la force de frappe tout à fait dissuasive et qui fait irruption un beau jour dans son petit univers routinier.
Dans cette introduction plutôt réussie, on peut malgré tout déplorer la musique fade de Thomas Newman qui se contente d'illustrer platement l'action, là où l'absence de dialogues aurait exigé un compositeur nettement plus inspiré, à l'image du John Williams tout en finesse de E.T, ce petit cousin éloigné de Wall-E.
Au final tout cela est certes charmant, joliment réalisé, mais ronronne un peu trop pour crier au chef-d'oeuvre.

D’autant que passé cette première demi-heure, l’histoire nous emporte brusquement dans l’espace et vers… un tout autre film beaucoup plus classique celui-là, où les bonnes idées se font rares et les surprises brillent par leur absence.
Retour donc aux fondamentaux habituels avec une histoire qui s’enlise un peu dans des péripéties très conventionnelles ponctuéés de ressorts de comédie bien trop prévisibles pour être vraiment drôles. Le tout est soupoudré d’une vague fable écolo-redemptrice simpliste et très à la mode à défaut d’être convaincante. Même l'esthétique reste très classique et sans grande imagination. On n’échappera pas non plus au concept récurrent selon lequel l’autorité légitime ne commet des erreurs qu’en étant trompé par un sbire ou un subalterne. Pour une histoire qui se voudrait impertinente, on pouvait espérer mieux que ce vieux refrain conservateur usé jusqu’à la corde.

Malgré tout cela, le film reste bien au-dessus de l’avalanche de productions concurrentes par la qualité de ses images et la louable intention de faire un peu plus original que la moyenne, même si ça ne semble pas ici avoir été assumé jusqu’au bout. Ce qui fonctionnait à merveille avec les superbes et toniques Nemo, Monstres & Cie, Les Indestructibles devient ici un peu faible en regard de l'ambition affichée.
Devant autant de savoir faire et de talent, on se plaît à rêver d’une production Pixar plus mature et audacieuse qui prendrait pour une fois le risque de ne pas être à tout prix si fédératrice et mignonne.

dimanche 10 août 2008

Je suis une Légende

Si le choix du réalisateur de l'estimable et dépressif Constantine était une idée judicieuse pour porter à l'écran cette troisième version du roman apocalyptique de Richard Matheson, la présence de Will Smith dans le rôle-titre pouvait inspirer bien des appréhensions après une filmo très frime où l'acteur y fait essentiellement la promotion de lui-même et éventuellement de quelques sponsors. I, Robots était le parfait exemple d'un possible bon film d'anticipation totalement pilonné par la star qui n'en finissait plus de s'autocélébrer.

Heureusement, on évite ici le pire malgré l'incontournable séance de gym où Mr Smith nous gratifie à nouveau de son physique avantageux, ou un petit numéro "comique" autour du film Shrek. Mais heureusement l'essentiel est préservé : Will Smith incarne son Robert Neville avec une grande conviction et un vrai souci d'humanité en introduisant des moments de faiblesse, voire de folie qui rendent le personnage vivant, crédible et souvent émouvant. Performance d'autant plus remarquable que l'acteur est présent dans toutes les scènes et le plus souvent seul.

La première heure du film nous montre le quotidien du dernier survivant d'une humanité décimée trois ans plus tôt par un redoutable virus génétiquement modifié afin d'en faire un remède au cancer et contre lequel le héros est mystérieusement immunisé. Le prologue et quelques habiles flashbacks permettent de situer rapidement l'action tout en ponctuant de respirations opportunes un film par nature très linéaire. On y apprend notamment que Robert Neville est aussi un soldat et un scientifique qui travaillait sur le virus au moment de la catastrophe. Certes, le cumul avec le fait d'être immunisé défie toutes probabilités mais la pilule passe malgré tout grâce au talent du réalisateur, même si le laboratoire situé dans la cave du héros semble un peu trop simple par rapport au niveau de recherches effectuées.

Le second personnage du film est le décor lui-même, un étonnant et spectaculaire New York abandonné, grignoté inexorablement par la nature, parcouru d'animaux sauvages et baignant dans une atmosphère presque tropicale où seul le bruissement de millions d'insectes perturbe un silence qui règne désormais en maître dans la cité fantôme. Du moins le jour.
Car lorsque la nuit tombe, Robert Neville doit se barricader pour échapper aux hordes d'infectés fous et cannibales qui hantent les immeubles durant la journée afin d'échapper à la lumière qui leur est fatale.
L'idée selon laquelle on peut être tout à la fois désespérément seul et assiégé par une multitude de créatures invisibles et meurtrières est terrifiante. Une atmosphère pesante parfaitement rendue par une réalisation fluide et très soignée qui alterne les scènes spectaculaires, intimistes et même effrayantes comme durant la cauchemardesque première confrontation avec les infectés. A noter la très bonne utilisation ponctuelle de la caméra à l'épaule, non pas sous forme de gimmick ostentatoire mais bien pour optimiser l'intention du réalisateur à un moment précis.
Une première partie qui réussi donc pleinement cette nouvelle lecture du roman culte de Richard Matheson.

On regrettera cependant l'apparence des infectés et leur traitement entièrement numérique qui nuit beaucoup à leur crédibilité, une erreur que le réalisateur avait déjà commise dans Constantine. Assez mal conçus par Patrick Tatopoulos, ils sont aussi mal réalisés techniquement au point de cumuler tous les défauts de ce type d'effet : aspect "chewing gum", manque d'inertie, mouvements artificiels flirtant parfois avec le comique involontaire. On y voit une volonté de se démarquer des excellents 28 jours plus tard ou l'Armée des Morts qui exploraient le même thème, mais il était possible de le faire de façon beaucoup plus intéressante en suivant simplement l'idée développée par Richard Matheson lui-même.

En effet, là où les zombies/infectés sont généralement réduits à l'état de créatures hystériques décervelées bouffant leurs victimes, le roman décrivait la naissance d'une communication entre le héros immunisé et une population mutante qui prenait conscience d'elle-même et de sa place dans ce nouveau monde. Or Francis Lawrence et ses auteurs ont choisi d'éliminer cet aspect pour se contenter d'une énième version de la horde de monstres sautant sur tout ce qui bouge. Une véritable occasion gâchée et un manque d'ambition d'autant plus regrettable que ce qui a été imaginé en remplacement durant la dernière demi-heure tient du sabotage pur et simple. Il ne s'agit pas là de faire l'inventaire assez vain des ressemblances/trahisons par rapport au roman, mais bien de déplorer que ladite "trahison" ait pris cette tournure-ci en catalysant bon nombre des travers les plus pesants et prévisibles du cinéma hollywoodien.

::spoiler on::

Le sauvetage totalement invraisemblable du héros suicidaire par une super mère de famille immunisée et son jeune garçon altérait déjà le climat installé précédemment. Mais lorsque ce nouveau personnage donne lieu à d'insupportables dialogues mystiques sur le thème du "plan divin", on a envie de hurler. On flirte là avec de fumeuses et nauséabondes théories qui ne sont pas sans en rappeler d'autres, bien réelles celles-là, au moment de l'apparition du SIDA. Bêtise crasse, idéologie répugnante ou simple mauvais goût, le résultat est là.
Bien sûr, le héros ose malgré tout contester cette approche en proférant même un "il n'y a aucun dieu" qui lui sera évidemment fatal. Car le cinéma populaire américain déroge rarement au principe selon lequel un personnage qui ne croit plus ou pas le paiera très cher ou changera d'avis. Le final désastreux parvient à cumuler les deux aspects pour son héros, comme s'il fallait trouver une raison acceptable pour le faire mourir.

::spoiler off::

Jetons un voile pudique sur un épilogue dans le même esprit qui anéantit presque tout le concept jusqu'à rendre le titre inadapté, un comble. Notons au passage que cette fin louche également vers un autre roman traitant d’un thème identique, Le Fléau de Stephen King.

On retiendra donc de cette nouvelle version inégale une première heure (presque à la seconde près !) forte, passionnante et très bien construite par un Francis Lawrence doué qui sait ménager ses effets grâce à une mise en scène riche et énergique sans être tape à l’œil, soutenu par un Will Smith qui peut être excellent lorsqu’il fait l’effort d’oublier qui il est. D'autant que l'on frémit en pensant à ce qu'aurait pu être le film avec Arnold Schwarzenegger longtemps pressenti dans le rôle principal ou Michael Bay derrière la caméra, même si on lui doit l'arrivée de Will Smith sur le projet.

vendredi 8 août 2008

Les Dames de Cornouailles

Au même titre que le polar ou le western, le "film anglais rétro" est bel et bien un genre à part entière avec ses codes et cette manière si particulière d’utiliser une apparente raideur un peu distante pour mieux toucher le spectateur presque à son insu. C’est tout naturellement ce registre qu’a choisi l'acteur Charles Dance pour une première réalisation à son image : classe, fin and so british.

On retrouve en effet là tout ce qui fait le charme et l’efficacité du genre : des comédiens haut de gamme, une image magnifique, un scénario séduisant faussement anodin, une pointe d'humour parfaitement dosée dans un contexte qui ne s’y prête pas forcement, et puis une myriade de petits riens au quotidien qui, mis bout-à-bout, construisent des personnages profondément touchants et humains bien loin de tout manichéisme.

Lorsque le film commence, on se dit que cette tranche de vie de deux soeurs confrontées à un événement imprévu dans leur vie réglée au millimètre pourrait être très conventionnelle dans le registre intimiste puritain, mais lorsqu' arrive la dernière image, on se surprend alors à avoir la gorge serrée depuis un bon moment. Car ce jeune naufragé trouvé sur la plage au bas de leur maison isolée fera, par sa seule présence, ressurgir bien des non-dits refoulés depuis des décennies.

Et puis Maggie Smith, Judi Dench, David Warner, Natascha McElhone, Freddie Jones (bien vieux le pauvre), Daniel Brühl (Goodbye Berlin) et les côtes de Cornouailles… Du bonheur qui se déguste.

jeudi 7 août 2008

Charlie et la Chocolaterie

Bien qu'il s'agisse là de l'adaptation du classique de Roald Dahl, le film est un concentré de Tim Burton pur jus, jusqu'à l'être un peu trop parfois. Impression renforcée par l'incontournable musique de Danny Elfman qui rappelle souvent une énième mouture d'Edward Scissorhands ou de L'Etrange Noel de Mr Jack. Mais après tout, il s'agit d'une sorte de marque de fabrique, un style que Burton maîtrise parfaitement et qu'il est le seul à réussir. Même si la surprise joue forcement un peu moins aujourd’hui, c'est en tous cas nettement préférable à son anonyme et désastreux remake de La Planète de Singes.

Tim Burton désirait depuis longtemps porter à l’écran cette histoire que l’on croirait écrite pour lui tellement les univers de l’écrivain et du cinéaste comptent de points communs. L'ensemble est donc très agréable, joli et souvent drôle. Les pérégrinations de cette petite bande d’enfants, heureux gagnants d’un concours qui leur permet de visiter la chocolaterie de leurs rêves, permettent à Burton de laisser son imagination visuelle délirante s’exprimer dans une succession d’épreuves et de découvertes fabuleuses, mais pas toujours aussi innocentes que prévu...

Dans le rôle de Willy Wonka le plus grand chocolatier du monde initiateur du concours, Johnny Depp domine largement le film, tout en visage lunaire et grandes dents. Le casting dans son intégralité est d'ailleurs absolument épatant.

De numéros musicaux en décors fastueux, les deux heures du film s'écoulent tranquillement, au point peut-être de manquer un brin de tonus et de surprise. Sans doute est-ce dû à la structure de l'histoire originale en forme de conte qui implique un effet répétitif, chaque personnage étant traité à tour de rôle. Conte qui dégage également une morale un peu pesante. Le gros y est répugnant, les riches puants, le gentil gamin vénère sa famille et l'on y fait "éloge" de la misère censée donner le sens des "vraies" valeurs. Des propos un peu datés que Tim Burton sait pourtant parfaitement éviter dans ses scénarios originaux.

mercredi 6 août 2008

La Mutante 2

Depuis le premier épisode, elle a incontestablement muté : à présent elle traverse même les portes blindées au ralenti comme Super Jaimie. En revanche elle n'a toujours pas muté en actrice.

Tout commence dans l'espace. L'ambitieux réalisateur Peter Medak s'est visiblement mis dans la tête de révolutionner le genre : si d'habitude les vaisseaux spatiaux entrent dans le champ par le haut du cadre, lui filme le sien du dessus pour qu’il fasse plus petit. Il lui colle même un énorme sticker "Reebok" sur la carlingue. Par soucis de réalisme sans doute. A quand le vaisseau de l'espace William Saurin ?

"Aigle en approche" annonce l'astronaute en posant son engin sur le diorama figurant Mars. Ca vire ensuite assez vite gore car le thermos à échantillons martiens ramené à bord expulse une puissante diarrhée qui saute à la figure des gens.

De retour sur Terre, l'astronaute éclaboussé est saisi d'un priapisme destructeur doublé d'une éruption de cornichons lorsqu'il copule. Du coup il fait une dépression, comme il dit à son père. Les dames honorées par le cosmonaute légumineux sont aussitôt prises de violentes crises d'aérophagie galopante qui conduisent à l'éclatement de l'abdomen (en étoile, c'est plus propre) puis à l'enfantement de petits gars bien d'chez nous. Mais ce sont en fait des aliens qui se regroupent dans une buanderie pour se transformer en pelotes de laine mouillée. Heureusement les scientifiques malins comme tout ont rapidement compris qu'en leur vaporisant de l'adn humain avec des gros extincteurs en inox, les cocons se mettaient à tousser.

Pendant ce temps les 2 martiens recommencent à copuler, vu que la mutante est plutôt chaude dans son aquarium à force de mater Cours Après moi Sheriff à la télé (véridique). Lui il reste en Jeans parce que faut pas pousser. Bref, ils finissent par se transformer en créatures improbables mais joliment rehaussées de marqueterie Louis XV. C'est assez chic.

Finalement tout est bien qui finit bien, le cosmonaute obsédé meurt et la gentille alien devient toute raide (ok la différence n’est pas flagrante). Mais au dernier moment, elle se met aussi à avoir des gaz dans l'ambulance. Heureusement elle est toute seule et elle peut péter tranquille.

mardi 5 août 2008

Le Rôle de sa Vie

Un scénario prudent qui tente d'éviter intelligemment les poncifs d'un sujet toujours délicat à traiter sans tomber dans la caricature : les rapports entre une vedette de cinéma et son entourage.

Les auteurs, qui semblent bien connaître leur sujet, procèdent par petites touches et parviennent presque toujours à nuancer les comportements des uns et des autres. Un certain malaise pèse pendant tout le film, on guette la "catastrophe" annoncée mais François Favrat prend un malin plaisir à court-circuiter les opportunités de conflits trop évidentes pour en créer d'autres là où on ne les attendait pas forcement. Du coup on se retrouve un peu dans la situation de cette assistante stressée interprétée par Karin Viard.

Malheureusement, cette démarche si prudente et nuancée a ses limites car on arrive à la fin en se disant qu'il ne s'est pas passé grand-chose, avec le sentiment d’être resté un peu trop à la surface des choses. Peut-être le cinéma a-t-il besoin malgré tout d'inventer un peu sa réalité propre pour faire avancer le schmilblick, et laisser de côté le souci de réalisme absolu qui est de toute façon impossible à atteindre.

C'est pourtant tout l'intérêt de ce film que de montrer au quotidien les rapports qui peuvent s'instaurer entre une personne connue et son ombre qui passe de l’admiration à la servitude là où elle voyait de l’amitié. Le casting est excellent, Agnès Jaoui et Karin Viard sont évidemment parfaites. Au final, une sorte de "sous-Jaoui/Bacri" où manquerait peut-être le mordant et le sens du drame ordinaire.

dimanche 3 août 2008

Constantine

On pouvait un brin redouter cette énième adaptation d'un comic par un obscur réalisateur de clips dont c'est là le premier long-métrage, mais Francis Lawrence semble être parvenu à maîtriser son sujet et même y faire la démonstration d'une personnalité forte. Mis à part un petit côté "coup d'poing dans la gueule des démons" et l'erreur de casting concernant Keanu Reeves, Constantine se révèle être plutôt de bonne facture.

Loin du format blockbuster jovial et sans nuances le film est plutôt dépressif et noir, soutenu par un scénario assez original dans le genre très visité des histoires sataniques. Cette aventure où l'on suit un jeune medium exorciste passablement désabusé affronter les Enfers afin de retrouver la soeur jumelle de l'héroïne est parsemé de très bonnes idées scénaristiques et visuelles. Le cancer du héros, le personnage de Gabriel, la vision de l'Enfer - même si les démons sont assez moches - l'apparition de Lucifer sont autant de moments tout à fait surprenants et bien maîtrisés. On évite même les sempiternelles allusions grivoises si chères aux exorcismes de cinéma.

Il est donc regrettable que les tourments et la maladie du héros soient si mal exploités par un Keanu Reeves plus terne que jamais. Il était souvent crédible en personnage froid et lisse mais là il nuit gravement au film. Il n'a absolument pas la substance pour jouer ce type de personnage tourmenté et vaguement "trashy". Sa présence dans le film ne peut se justifier que par son côté "bankable" post Matrix, car tous les autres acteurs sont eux étranges et particuliers.
Tilda Swinton est tout à fait étonnante dans le rôle de l'ange Gabriel, le choix est audacieux et l'effet garanti. Rachel Weisz est très convaincante et le jeune chauffeur du héros parvient en quelques scènes à se faire remarquer.

Malgré une direction artistique honorable, on pourra déplorer des choix discutables du côté des effets spéciaux numériques, mais c'est un peu l'époque qui veut ça. Après tout, il suffit de revoir quelques vieilleries "à effets" des années 80 du type Dreamscape pour se rappeler que le numérique apporte dans ce domaine une qualité globale incomparable, en particulier côté incrustations et fluidité de mise en scène. D'ailleurs, la seule véritable cata visuelle du film est cet improbable fusil crucifix doré papier chocolat. C'est grotesque et ce n'est pas en 3D.

Bref, sans être inoubliable, Constantine est un film "satanique" plutôt solide et distrayant, qui ne donne pas l'impression qu'on se moque du spectateur et qui ne sombre jamais dans le ridicule. Ceux qui ont vu L'Exorciste Au commencement ou La Fin des Temps savent de quoi je parle...

samedi 2 août 2008

Harry Potter et l'Ordre du Phoenix

Cela devait bien finir par arriver : ce cinquième volet est une grande déception. Il produit la désagréable impression à laquelle peu de séries télé échappent : celle d'un épisode "pour rien" où l'on tourne en rond en faisant réapparaître successivement et/ou fugitivement la plupart des personnages et les regarder se débattre avec des motivations pas toujours très cohérentes et un scénario sans grande surprise.
Or, si certains flottements parsemaient déjà ici ou là les films précédents, ils étaient largement compensés par des morceaux de bravoures faisant la part belle au spectaculaire et à la surprise, voire à une certaine magie. Le troisième volet, à ce jour le plus réussi, avait même su redéfinir sans les trahir les codes mis en place dans les deux précédents films. Un exploit. L'opus quatre poursuivait joliment cette nouvelle direction, sans génie mais avec un talent certain comme en témoigne la première véritable apparition de Voldemort.

Mais cette fois rien de tel. Aucune scène, aucune nouvelle idée n'émerge réellement de ce long épisode. Par contrecoup les errances du scénario apparaissent davantage encore. N'étant pas un lecteur de JK Rowling, je ne peux dire s'il s'agit d'un problème lié au roman ou à l'adaptation. Quoiqu'il en soit, ce qui est supportable à l'échelle d'un format télé l'est nettement moins sur une production de cette envergure et sur un format dépassant les deux heures.

Reste que le film se voit malgré tout sans ennui, par moments avec un réel plaisir, l'aspect "retrouvons nos héros" fonctionnant probablement à plein. Contre toute attente Daniel Radcliffe finit par être un acteur correct dans les moments difficiles et sa nouvelle amie blonde est à la fois un personnage épatant et une actrice vraiment bien choisie.
La palme revient au personnage d'Ombrage interprété par Imelda Staunton, excellente actrice "tout-terrain" vu dans d'innombrables films britanniques. Retenir son physique poupin pour incarner ce type de personnage parfaitement odieux est une vraie bonne idée plutôt bien exploitée.
Helena Bonham Carter n'a pas eu cette chance et se contente de faire trois grimaces avant de disparaître. Gary Oldman/Sirius Black semble s'ennuyer terriblement et ça commence à se voir un peu trop, quant à David Thewlis/Lupin, il est préférable d'être très attentif si on ne veut pas rater son passage éclair. Plus grave, Voldemort lui-même fait un petit tour et puis s'en va sans que rien ne laisse supposer la grande menace qu'il est censé représenter. Son duel contre Sirius Black est d'une grande platitude là où l'on pouvait raisonnablement s'attendre à l'un des sommets de la saga.

Bref, tout cela ronronne, manque de tonus et tire également un peu trop sur la ficelle du "mystère qu'il ne faut pas révéler". Cela donne l'impression que l'auteur lui même ne sait pas encore très bien où il va et gagne du temps en flattant le fan de base avec les recettes qui ont déjà fait leurs preuves.

La réalisation totalement impersonnelle de David Yates et des choix artistiques pour le moins discutables - les centaures hideux ou la minuscule musique de Patrick Doyle pour ne citer que les plus nuisibles - semblent ramener la saga à un niveau auquel elle avait jusqu'ici miraculeusement échappé, celle d'une franchise qui se contente d'être paresseusement gérée là où les autres films montraient une saine volonté de se réinventer voire de se surpasser.

Les Dents de la Mer 4

Attention, cette fois c'est vaguement surnaturel, brrrr...
En fait la production fait comme si le précédent épisode n'avait jamais existé et l'on ne peut raisonnablement pas leur en vouloir. Peut-être même que cela justifie le sous-titre "La Revanche". Retour donc des fils Brody au complet avec en bonus maman Brody, la vraie, Lorraine Gary en personne cette fois affublée de spectaculaires lunettes pare-brise façon Michel Serrault dans La Cage aux Folles. Seulement là elle se met résolument à débloquer, persuadée que LE requin la poursuit elle et sa famille (peu importe que les bestioles meurent à chaque film puisqu'elle débloque).

On découvre donc que la veuve possède une sorte de 6eme sens qui la connecte au requin. Requin qui a la bonne idée de venir lui bouffer son plus jeune fils, Shaun (oui, encore lui). Passons sur l'attaque elle-même ainsi que sur les infâmes stock-shots du premier film réinjectés façon sépia ou le portrait de Roy Sheider bien en évidence dans le commissariat. Car papa Brody n'est plus là (pas fou, Roy).

Dialogue tendu chez les Brody :
Maman : "Mike, le requin en veut à notre famille, il a tué ton père et ton frère je ne veux plus que tu t'approches de la mer !" (ça tombe plutôt mal, le rejeton fait des recherches sous-marines)
Mike : "Mais Papa est mort d'une crise cardiaque !"
Maman : "Il est mort de peur à cause du requin !" (ou en lisant le scénario ?)

Sur ce, tout le monde part pour les Bahamas rejoindre Michael Caine qui est obligé de se dandiner avec Zaza Napoli durant un affolant défilé folklorique tandis que Mike étudie les conques femelles avec le Noir de service évidemment tout en décontraction et déconnade. C'est Mario Van Peebles qui s'y colle.
Soyons clair, à ce point du film il ne se passe tellement rien que les attaques du requin sont principalement constituées de rêves. Puis nos deux scientifiques tombent enfin sur le requin, lui colle une sonde au cul qui fait boum boum. Du coup la bête se rappelle pourquoi elle est là et fait ce qu'on attend d'elle en attaquant enfin des gens en vrai, à la plage et tout.

Soudain tout s'accélère : Zaza pique le bateau de son fils et part au large ce qui au passage est impossible puisque son fils se trouve simultanément dessus ailleurs (!). Arrivée au milieu de nulle part, elle lance : " Viens fumier".

Pendant ce temps, son fils et son copain partent en avion avec Michael Caine qui décide subitement de se poser sur l'eau à côté du bateau sur lequel le requin commence à grimper (!!). Là il réalise enfin qu'il ne s'agissait pas d'un hydravion et que l'engin flotte plutôt mal. Sauve qui peut !
Mario, toujours à l'affût d'une bonne vanne, dit : "Les pulsions magnétiques de l'avion vont attirer le requin !" Pas contrariante, la bestiole fonce direct sur l'épave qui coule illico avec Michael Caine dedans. Les deux autres nagent jusqu'au bateau qui étrangement prend l'eau aussi. Là ils retrouvent Michael Caine mystérieusement accroché à la rambarde. Un peu surpris quand même, l'un de nos héros demande :
- Ah mais vous êtes vivant, comment avez vous fait ?? (oui c'est vrai ça, comment ?)
- Ca n'a pas été facile, je vous assure." (Ok)

Puis Mario, décidément plein de ressources, fabrique vite fait une chaise électrique portable pour électrocuter le requin. Malheureusement il se fait boulotter. Mais le requin insiste et finit par s'empaler tout seul sur le mat de proue et explose. A ce rythme-là dans un 5eme film il mutait en poisson volant chargé au plutonium. Coup de théâtre final : Mario-rigolo est vivant aussi et tout le monde se retrouve à barboter dans une hideuse piscine devant un fond peint qui sent le truc tourné en catastrophe après une première projo test.

Une mention au passage pour le musicien qui a eu la bonne idée d'ajouter aux percutants violoncelles de John Williams un son particulièrement stressant : des clochettes.

vendredi 1 août 2008

Alexandre

Le film historique antique semble souffrir depuis toujours d’une étiquette dont il peine à se défaire, celle d’un genre éternellement mineur narrant d’aimables et académiques aventures épiques pour un public familial à la morale irréprochable. Victime de la nécessité d’un budget imposant qui le rend synonyme de risque financier majeur, et d’une sale habitude qui l’a vu par le passé au service d’une pesante propagande religieuse, le genre antique au cinéma se situe souvent quelque part entre le conte de fée et le western révisionniste. Renaissant de ses cendres par la grâce de l’excellent Gladiator, il était permis de penser que quelques décennies après sa disparition le genre - et le public - pourrait enfin muer vers un cinéma adulte et plus exigeant. Oliver Stone releva le défi avec cet ambitieux projet de longue date relatant sa vision d’Alexandre Le Grand, personnage colossal mais finalement assez peu connu.

Sous ses allures de luxueuse superproduction assumée, Alexandre se veut donc aussi un authentique film d'auteur audacieux, complément idéal et rigoureux du film de Ridley Scott et du très agréable - mais déjà à nouveau aseptisé - Troie. On peut naturellement souscrire ou non aux postulats pourtant nuancés d’Oliver Stone à propos du personnage et son action, mais par là même l'auteur permet au genre de sortir enfin de l’ornière du simple divertissement familial comme tentèrent de le faire jadis Kubrick avec son Spartacus ou même Mankiewicz et son Cléopâtre. A noter que ces deux réalisateurs, ambitionnant déjà d’apporter une dimension plus nuancée, mure et complexe au genre, désavouèrent leurs films respectifs pour cause de "reprise en main" de la part des producteurs désireux d'entretenir les poncifs.

C’est donc avec l’idée de préserver son scénario de la pression bien pensante des majors américaines qu’un Oliver Stone méfiant prit soin de produire le film en Europe. On ne peut dès lors que déplorer la navrante similitude de réaction des deux côtés de l’atlantique où la sortie du film fut l’objet d’une incroyable campagne de dénigrement méprisant. Où comment ressembler à nos têtes de turc favorites quand il s’agit d’ouverture d’esprit. Un bon film antique ? Des gros muscles, de la frappe et des héros irréprochables au secours de leur belle. Qu’il prétende s'adresser à d'autres parties du cerveau en étant un peu plus original et personnel jusqu'à être légèrement subversif côté zizi sexuel, et là boum ! c’est le choc. Car si Oliver Stone dut s’expatrier, ce n’est évidemment pas à cause de la violence des combats ou la longueur du film mais bien en raison d’un des derniers grands tabous du cinéma de masse.

En effet, s’il n’est pas vraiment question ici de parler en détail de l’intrigue ou de la mise en scène, c’est que l’axe principal d’attaque à l’encontre du film dépasse souvent le cadre cinématographique pour toucher par son rejet épidermique et moqueur un registre sans doute plus sociétal loin d'être anodin. A quoi se résume la "critique" ? Faites le test autour de vous : dans l'immense majorité des cas le propos se focalisera sur l'aspect sexuel du personnage avec sous-entendus graveleux et allusions féminisées à l'appui*.
On peut donc se demander si le ton de la dérision si souvent utilisé pour décrire le film et son personnage principal ne trouve pas sa véritable origine dans cette vieille habitude culturelle de zapper toute sexualité "hors norme" dès lors qu’il s’agit d’un personnage historique mâle à connotation positive. A fortiori dans cette vision d’Alexandre Le Grand, icône ultime du guerrier et du stratège "civilisateur" : ici lié intimement à son plus proche lieutenant durant toute sa vie, il semble désorienter bien des esprits étroits. Comme si ce type d'évocation n’était acceptable que dans le cadre d’une décadence romaine de pacotille ou toute autre situation supposée négative voire dégradante. Caligula oui, Alexandre Le Grand non.

Confronté d’ailleurs au même "problème", le film Troie avait pris soin de transformer Patrocle en cousin d'Achille, évitant ainsi la collision frontale entre un personnage archétypique d'une virilité glorieuse et une certaine vision de l’homosexualité qui n’est perçue par le chaste public que comme décadente et dénuée de passion ou de sentiment. A l'inverse, que le très cruel et lâche Xerxès de 300 soit si lourdement connoté sexuellement ne dérange personne, bien au contraire. Une cohérence tristement révélatrice.

Oliver Stone aggrave encore son cas en traitant ouvertement le sujet dans le cadre d’une vaste production non pas destinée à un public ciblé mais au plus grand nombre en misant sur son intelligence. Il commet là un double sacrilège pour ceux qui n’y voyaient que la promesse d’une joyeuse chevauchée pétaradante et formatée.

Dès lors, peu importe qu’Angelina Jolie trouve enfin ici un rôle à sa mesure, que Val Kilmer impressionne dans un registre inattendu, que les batailles soient si formidablement mises en images ou que les tourments de personnages aux destinées exceptionnelles soient abordés avec une telle intensité et une approche résolument humaine. Tout cela semble étrangement secondaire voire sans valeur face à une volonté non pas de critiquer légitimement un film loin d’être sans défauts, mais bien de le ridiculiser.

Mais c’est peut-être aussi à cela que l’on reconnaît un film important : à sa capacité d’avoir un peu trop d’avance sur son époque en prenant à rebrousse-poil ses vieux réflexes conservateurs fossilisés. Malheureusement, son échec critique et commercial retentissant risque de conforter pour longtemps encore les producteurs dans leur complaisance à flatter le public, comme en témoigne le triomphe du très lourdingue et douteux 300. Nous ne verrons sans doute pas avant longtemps un film du type d’Alexandre tenir le haut du box office en conciliant ainsi le spectacle et l’audace d’un auteur qui entend s’adresser à tous en misant sur la maturité et l’ouverture d’esprit. En un mot, marier le fond et la forme. Personne ou presque ne semble avoir vu ou voulu voir cela, préférant souvent résumer 2h45 de film à la couleur de cheveux de l'acteur.


*A noter que ce petit jeu fonctionne aussi assez bien avec les 2 Batman de Joel Schumacher . C'est d'autant plus surprenant dans ce cas que leur réputation "queer" ne tient qu'à des rumeurs et quelques interprétations assez fumeuses.