lundi 15 février 2010

Still Walking

Il est courant de fustiger - à juste titre - l'accumulation de clichés engendrés par le cinéma de divertissement : recettes dupliquées à l'infini, personnages stéréotypés, péripéties prévisibles, fin programmée. Tout semble souvent conçu pour cibler un public clairement identifié qui voudrait se raconter éternellement les mêmes histoires et à qui il convient de livrer un produit sur mesure. Il est plus rare de relever ces mêmes travers dans le cinéma dit d'auteur qui pourtant ne s’en prive pas.

Still Walking en est un exemple parfait. Durant presque deux heures, Hirokazu Kore-Eda déroule imperturbablement une chronique cousue de fil blanc où chaque personnage, chaque situation, chaque dialogue est un poncif du film familial et intimiste. Rien ne nous est épargné : le père bourru, la mère volubile, les évocations nostalgiques, les ragots, les albums photos, la chanson souvenir donnant le titre au film, la sœur un peu fantasque et le fils indigne, l'inévitable drame familial et son fantôme dans le placard, jusqu’à l’épilogue en forme de leçon de vie dont on devine et redoute les termes dès les premières minutes. Pourtant, alors que seraient stigmatisés paresse et académisme pour tout autre film, c’est l’universalisme et l'intemporalité qui sont vantées ici par une presse en pâmoison. Mazette.

Il faut reconnaître que ce n’est pas faux tant Still Walking pourrait faire l'objet d'un remake français, américain ou italien, peu importe, et ce sans en changer une virgule. Tout juste faudrait-il remplacer les recettes de cuisine et adapter quelques considérations spécifiques au Japon. Car évidemment, c'est là que le film tape juste en comblant le spectateur amateur de culture nipponne, assistant à 24 heures de la vie d'une famille ordinaire. Enfin, ordinaire telle qu'on le conçoit généralement au cinéma, c’est-à-dire avec un père médecin, une mère au foyer, une confortable maison familiale nichée dans la végétation à proximité de la mer.

Il en résulte donc un cocktail convenu parfaitement adapté à un certain public français bien moins ouvert et exigeant qu’il ne pense l'être, toujours friand de représentations narcissiques fondées sur les codes d'un cinéma d'auteur national qui n'en finit plus de régurgiter une Nouvelle Vague faisandée : où l'on prétend, en toute modestie, à une pertinence tendant à l'universel là où il ne s'agit que d'enfoncer une enfilade de portes ouvertes. Seule la différence culturelle retient ici l'attention en vendant un Japon "typique" qui, vu d'ici, prend par contrecoup des allures de gimmick.

Bien sûr la sincérité du cinéaste n'est pas à mettre en cause. Faisant écho à sa propre vie, Kore-Eda filme honnêtement sa chronique comme le feraient chez nous un André Téchiné fatigué ou l’Agnès Jaoui vaine de Parlez-moi de la Pluie. Il le fait d'ailleurs plutôt bien : les comédiens sont tous excellents et la réalisation est limpide même si, là encore, elle n'échappe pas aux clichés contemplatifs : les plans qui s’éternisent, des mains d’enfants dans les arbres en fleur, l’art et la manière de couper les légumes... Sans oublier cette émotion programmée et ostensiblement retenue par laquelle Kore-Eda semble nous rappeler à chaque instant "voyez comme je suis fin et pudique" et qui, à la longue, produirait presque l’impression inverse.

Restent quelques moments touchants ici ou là - l'incursion du papillon - et le savoir-faire incontestable du réalisateur qui ne font malheureusement pas oublier l'aspect anecdotique de l’ensemble et l’absence totale d'audace ou d'idée originale. Still Walking ronronne de bout en bout, se bornant à offrir après tout le monde et de manière très scolaire ce qu'on attend de lui, comme n'importe quel film de genre. Autant revoir Ma Saison Préférée.

17 commentaires:

Anonyme a dit…

Evidemment, j'ai adoré. La comparaison avec André Téchiné, passe encore (et en sautant très haut et en riant très fort, ce qui n'est pas forcément facile en regardant ma saison préférée), mais Agnès Jaoui ? Je te concède la dernière scène qui est absolument superflue, et même davantage, dommageable. De là à mettre du Deneuve dans le rice-cooker, non, tu peux éviter...

Y

RobbyMovies a dit…

Peu importe les comparaisons, toujours discutables, je l'admets volontiers.
Reste la vacuité de l'ensemble et là, j'en remets une couche : cette manière d'aligner les poncifs moisis en nous vendant du "profond qui vibre". Et là désolé mais je ne marche pas. Même avec des arbres en fleur et du radis blanc. Il y a 30 ans Still Walking aurait pu surprendre, oui... Peut-être.

Scritch a dit…

Pas vu celui-là, mais Nobody Knows m'avait fait le même effet... Pas trop d'accord avec le terme "Nouvelle Vague faisandée" : à peu près tout ce qui s'y réfère (pour s'en réclamer ou la fustiger) se plante, oublie que ces gens étaient admirateurs de Siegel et Fueller. Les premiers films de Sam Raimi me semblent bien plus Nouvelle Vague dans l'esprit que beaucoup de ce qui est étiqueté NV aujourd'hui... avec Carpenter à la place de Hawks dans les figures tutélaires, mettons. Point de vue très personnel je le reconnais, mais récemment, Godard disait (c'est méchant mais drôle) que Téchiné, c'était le Le Chanois de maintenant...

RobbyMovies a dit…

Tu me décourages là, j'étais parti pour voir Nobody Knows dont on m'a dit le plus grand bien. Histoire de ne pas rester sur celui-ci. :p

Ton point de vue sur la NV en vaut un autre, simplement les références et ce qu'on en fait sont 2 choses bien différentes. Après tout George Lucas est un fan hardcore de la NV et de films expérimentaux et Alain Resnais de Harry Dickson. ^^

Sinon tout ce que dit Godard est assez drôle et souvent bien vus. Ses films, moins.

Téchiné il y a des hauts et des bas, mais j'aime beaucoup beaucoup certains de ses films, dont celui cité qui est pour moi à la fois sa plus grande réussite et un de mes films préférés (haha) tout court Oué.

scritch a dit…

Nobody Knows n'est pas nul, hein, c'est juste que j'avais un peu l'impression (qui ne repose sur rien d'autre que du ressenti et de la supposition)que ce genre de film ciblait autant son public que n'importe quelle prod Besson, finalement.

RobbyMovies a dit…

Je pense la même chose depuis toujours concernant le cinéma pour public "Télérama", pour faire vite et simple.

Nyaaa! a dit…

Complètement pas d'accord, mais absolument pas en mesure d'argumenter, vu ma mémoire courte, ma mauvaise foi et celle de l'article :D.
Je note juste que le sarcasme sur la "famille ordinaire" se fait uniquement dans ta tête robinout, peut-être un énervement dû à la lecture de trop nombreux téléramas, rien ne nous dit que la famille est particulièremnt ordinaire dans ce film. Et faire de la "nostalgie", ou d'un "drame familial" des clichés du cinéma dit d'auteur (distinction encore téléramesque)ou de la chronique familiale, c'est un peu gros. Autant reprocher la surabondance de crimes dans les films criminels, euf, de personnages réels dans les biopics, d'humour dans les comédies, allons-y quoi ! :/
De plus, l'argument d'exotisme est éventé aussi. Cette chronique familiale a eu un certain succès dans son pays même, ainsi que chez les critiques spécialisés en japonaiseries qui ne s'enthousiasment plus depuis longtemps pour la vue d'un simple tatamis. Là encore, que cela ait joué pour le lectorat de télérama, peut être mais bon...
Sinon, j'ai bien aimé de Koreeda aussi Afterlife, basé sur un postulat fantastique, et Maboroshi, qui était un peu plus dans la même veine...
Tom Mes e Midnight Eye qui aime pas Koreeda trouve pourtant très bien son ernier, Air Doll, sur une poupée gonflable qui prend vie. Essaie celui-là :p

RobbyMovies a dit…

Tu as bien fait de prévenir à propos de mauvaise foi, ta comparaison avec l'humour des comédies et les crimes... est assez corsée :D

Sinon, j'ai eu la surprise de lire pas mal de critiques négatives de la part de sites spécialisés en japonaiseries comme tu dis, ou même de braves fans du genre ici ou là. D'autant que les arguments sont souvent assez proches, en particulier sur la vacuité du propos.

Ce qui justement me poussera sans doute à essayer d'autres oeuvres du réalisateur, celle-ci n'étant pas toujours considérée comme une référence malgré son grand succès critique par chez nous.

Je note donc cet Air Doll dans ma liste. Merci. :)

Nyaaa! a dit…

Ah si, je maintient que reprocher à un film sur un drame familial d'utiliser la ficelle du drame familial, c'est comme dire "oh encore des mafieux" en allant voir "Le Parrain" quoi !
De plus au Japon peut être plus qu'ailleurs, la classification par "genres", certes plus ou moins nobles, avec leur codification, -ils aiment bien les codes-, va de soi hein (ils ont même eu toute un vague de "films de mères" c'est pour dire).
Bref, en se basant sur la réception franco bon goûtoise du film, j'ai l'impression que tu aboutit à une critique en téléramiroir: même distinction "auteur"/"genre" (pour affubler l'un des défauts présumés de l'autre), même focalisation sur des codes perçus comme roboratifs pour mieux éviter ce qui fait l'intérêt du film...
Bon sinon j'ai adoré ton article sur Avatar, hein :p

Nyaaa! a dit…

J'aime bien la chanson !

RobbyMovies a dit…

Ce ne sont pas tant les ficelles qui posent problème plutôt que leur diamètre.^^
On peut parfaitement être dans un genre et tenter d'éviter un tant soi peu les poncifs ou pas.

La distinction auteur/genre je ne la fais ici que pour justement la relativiser en disant dès le début que tous les genres sont victimes des mêmes travers (et en miroir des mêmes qualités potentielles, forcement).
Un film policier peut être passionnant ou sans intérêt d'un point de vue policier, tout comme un film intimiste, familial etc.. (peu importe le terme) aussi. On peut parfaitement porter durant années de sa vie un projet de SF et se retrouver au final avec le scénario d'Avatar.

Bref, c'est dans cet axe que j'aborde aussi le film : comme n'importe quel autre.

Ensuite quelque soient nos arguments, il restera que tu sembles avoir apprécié le film tandis que je le trouve creux et accessoirement très surestimé, quelque soit son genre ou son absence de. ^^

Maintenant si tu tiens absolument que je sois l'archétype du teleramafan que tu cites toutes les 2 lignes, pourquoi pas. Mais compte tenu du ton général du blog , je crains que tu sois peu crédible sur ce coup là... ^^

Ah et tiens, l'occasion il faudra que tu m'en parles de "ce qui fait l'intérêt du film".

RobbyMovies a dit…

zut, croisement de posts :p

Nyaaa! a dit…

Tss mais non je te traite pas de "téléramafan", je trouve juste que cette chronique me semble un peu trop motivée par une opposition à la réception du film dans un certain milieu francofrançais cinéduqué de bon goût, quitte à reproduire les travers de cette critique en voulant y renverser ses valeurs symétriquement.
Après oui, j'ai bien aimé le film pour plusieurs raisons, sans en faire mon film de chevet non plus, je n'ai pas trouvé les personnages ni les situations si convenues, ni que la subtilité et la retenue ne s'exhibent tant que ça, bon, ensuite, ça reste du ressenti hein :)
De plus, avec ce sujet, j'ai l'impression que Koreeda se fait plus humble et quelque part moins "auteurisant" en tournant un film familial dans la tradition ozuesque du cinéma japonais, même s'il garde un thème difficile en sourdine, allégeant un peu ses préoccupations angoisso métaphysiques des films précédents (les enfants abandonnés de Nobody Knows, le suicide ou la disparition dans Maboroshi, la mort et le souvenir au purgatoire d'After Life...). Il y a une espèce de contraste entre une douleur retenue en permanence, que je trouve tout à fait subtilement exprimée, et une sorte de volonté d'apaisement nihiliste et contemplative, qui a tout à voir avec une pensée orientalo bouddhiste. Quelques jolies lumières, quelques passages marrants, bref, c'était fort sympa. :D

RobbyMovies a dit…

Tu veux dire que c'est la même chose mais que c'est exactement le contraire en qq sorte ? ^^

Si ma vision a été peut-être un brin perturbée par l'incroyable concert de louanges tous azimuts, je dois reconnaître que c'est aussi grâce à ces mêmes louanges que je l'ai vu. Ca et les conseils d'un ami (lui aussi ulcéré par ma chronique, mais c'est un fan de Rohmer et du Japon, j'aurais dû me méfier ^^ Y si tu nous lis je t'embrasse...)

Bref, les films qui font l'unanimité ou rencontrent un grand succès aiguisent souvent ma curiosité (contrairement à beaucoup qui se pincent le nez passé un certain nombre de spectateurs). Je ne prétends pas être un spécialiste du film nippon, loin s'en faut, il faut donc que d'une manière ou d'une autre il "sorte du lot". Ce fut le cas pour celui-ci, d'où ma, ahem, "surprise" une fois visionné. :p
Dans ces registres intimiste/familiaux, sans doute suis-je nettement plus réceptif au cinéma britannique ou même français, soyons fous... :D

En tous cas, merci de partager ton point de vue et ton sentiment sur l'intérêt du film, car ma question n'était pas ironique.

Au passage ce film se retrouve avec le plus grand nombre de commentaires avec Avatar et Harry Potter, comme quoi il suffit d'emboutir du consensuel pour faire recette^^.

Bon, la prochaine fois, promis, j'encense 2012. ^^

Nyaaa! a dit…

Oui oui, c'était pas pour t'embêter non plus hein, je trouvais juste que le pauvre koreeda s'en prenait plein la gueule pour de mauvaises raisons.
Sinon j'ai bien aimé le vendredi 13 de Nispel aussi, et jamais trouvé le courage de regarder un Rohmer pour autant ^^

RobbyMovies a dit…

Bon alors ne lis pas mon post sur les slashers :D

(ceci dit j'avais bien aimé Pauline à la Plage, comme quoi...)

Nyaaa! a dit…

Je l'ai déjà lu le post sur les slashers, c'est pour ça :D
J'essaierai pauline à la plage un atre jour ;)