samedi 31 juillet 2010

Inception

Christopher Nolan a bien compris le fonctionnement d’Hollywood : entre 2 Batman, il nous refile son film à lui, son projet perso qui, sans les mégas succès de l'homme chauve-souris, aurait eu sans doute du mal à voir le jour. Il y eu Le Prestige, et aujourd'hui Inception en attendant évidemment le 3e volet des aventures du justicier de Gotham.

Mais à la différence du Prestige qui adaptait un roman de Christopher Priest, Nolan ose à nouveau écrire un scénario original : une première depuis 10 ans et son surprenant Memento qui le révélait au monde. On y retrouve d'ailleurs des thèmes communs tant dans l'écriture que la réalisation : tripatouillage chronologique, montage alterné, réalités alternatives. Un rapprochement qui s'applique même au Prestige où, par le biais de la magie, la réalité n'est jamais vraiment certaine...

Avec Inception, il s'agit, via le sommeil, d'interférer avec les niveaux de subconscients d’un individu duquel on souhaite soutirer des informations. Le concept de l'inception (création, origine en français) étant, par le même procédé, d'aller plus loin pour créer de toutes pièces les futures aspirations et décisions de la victime. Une sorte de lavage de cerveau de l’intérieur qui conduit Nolan à choisir un traitement qui s’apparente au film d’espionnage : réalisme contemporain, secrets industriels, équipe d’agents typés et spécialisés, folles poursuites autour du monde, intrigue paranoïaque à multiples bandes. Le tout produit un séduisant cocktail situé quelque part entre Mission Impossible, Le Prisonnier et Ocean's Eleven. C’est aussi la partie la plus réussie et jubilatoire d’Inception. D’autant que le cinéaste compose comme toujours un casting de première classe.

Écartant cette fois Christian Bale dont il connait sans doute les limites, Nolan fait appel à un Leonardo Di Caprio plus que jamais bankable mais surtout comédien tout-terrain dont le talent ne se résume pas à une présence charismatique. L'acteur y est à chaque instant crédible dans tous les registres. Autour de lui évoluent des visages familiers au cinéaste (Michael Caine, Cillian Murphy, Ken Watanabe) ainsi que quelques nouveaux venus : Ellen Page, Joseph Gordon-Levitt, Marion Cotillard, Tom Hardy, Tom Berenger, tous irréprochables et complémentaires à l’image de leurs personnages respectifs. Hormis peut-être notre Marion nationale qui peine à émouvoir, cette équipe donne chair à un film qui aurait pu se révéler très artificiel, glacé par son concept de réalités imaginaires agrémentées d'explications "scientifiques" pas toujours d’une légèreté et d'une transparence à toute épreuve.

C’est là d’ailleurs l’une des faiblesses du film : Nolan semble hésiter entre le passage en force sur les articulations hasardeuses du récit, laissant ainsi le spectateur dans l'incertitude d’avoir bien suivi, ou bien expliquer lourdement chaque étape de cette aventure échevelée où les "niveaux" de réalités sont multiples, les limbes jamais très loin, où l'on se réveille quand on meurt, mais pas toujours (!). Tout cela prétend à une virtuosité qui frise le fumeux voire l'intenable. Et l'on pense aussitôt à Matrix bien sûr. Heureusement Nolan a le bon goût d'éviter la sentencieuse "philosophie" qui caractérisait la trilogie des frères Wachowski. Pourtant subsiste une étrange sensation commune aux deux films, liée au thème lui-même, qui empêche l'immersion totale dans une histoire où l’on passe beaucoup de temps à expliquer que tout cela n’est pas réel, mais seulement imaginé par des gens qui dorment dans des fauteuils.

Reste une aventure tonique, agréable bien que longuette et finalement assez classique - l’amour, la famille, le remord… - en dépit de ses aspects alambiqués. Les twists sont souvent prévisibles, l'esthétique plutôt quelconque et si les scènes d’action sont efficaces et bienvenues, elles ne révolutionnent guère le genre. Tout comme les effets spéciaux qui ne présentent que peu d’intérêt d’un point de vue narratif - voire graphique - , au point de sembler parfois plaqués sur un film qui pouvait s'en passer.

Heureusement la musique de Hans Zimmer rehausse considérablement le tout et offre à l’ensemble une manière de grandiloquence maîtrisée et salutaire, retrouvant ainsi par moments le souffle si particulier de Dark Knight. Mais l’on reste loin de l’histoire bouleversante et originale du Prestige, de son esthétique riche, délicate, de son image sombre et envoûtante. Certes, Inception est un très bon film d’action, incontestablement plus soigné et pensé que la moyenne, mais qui constitue néanmoins une pause créative dans une filmographie qui avait su progresser à chaque opus.

jeudi 1 juillet 2010

Le Parfum

Jean Baptiste Grenouille naît sur un marché visqueux du Paris de 1744. Laissé pour mort, il est miraculeusement ramené à la vie puis recueilli par un orphelinat pouilleux où il développe un odorat extraordinaire qui le propulsera vers une prodigieuse odyssée meurtrière.
Personnage solitaire au caractère proche de l’autisme, Grenouille nous promène dans la France du XVIIIe siècle, celui des Lumières mais aussi de la misère, où partout règne la barbarie ordinaire. À l’image de son époque, l'orphelin incarne ce mélange d’extrême raffinement et de brutalité sauvage : hypersensible à la plus infime essence au point d’être capable de créer des parfums étourdissants, il n’hésite pas à devenir une effroyable machine à tuer en poursuivant une obsession folle et dévorante : conserver le parfum corporel de jeunes femmes afin de créer l’essence ultime, un concentré de désir, de pureté et de séduction…

Patrick Süskind refusa 15 ans durant toute adaptation de son roman - un best-seller international. Seul Stanley Kubrick trouvait grâce à ses yeux, mais le cinéaste jugea l’œuvre inadaptable. C’est finalement en Allemagne que le projet est mis en chantier par le producteur Bernd Eichinger, ami de l’auteur. En effet, malgré un casting essentiellement anglo-saxon et un tournage en anglais, il s’agit d’une coproduction allemande, française et espagnole qui, par ses allures de superproduction ambitieuse et ses thèmes inhabituels, rappelle un autre film conçu dans les mêmes conditions : Alexandre d’Oliver Stone. On y retrouve, malgré les apparences de faste hollywoodien, ce sentiment diffus mais puissant que jamais un tel spectacle n’aurait pu voir le jour de l’autre côté de l’Atlantique.

À la fois film historique flamboyant, thriller glauque et conte fantastique, le film de Tom Tykwer illustre avec talent l'univers délirant créé par le romancier. Empreinte de classicisme mais aussi de modernité par le biais d’effets bien dosés, la réalisation offre un spectacle de belle tenue, séduisant mais sans édulcorer les aspects les plus audacieux du sujet.
En premier lieu desquels figure Jean-Baptiste Grenouille lui-même, fascinant antihéros navigant entre le jeune homme hypersensible et le sociopathe le plus bestial. Tel un Victor Frankenstein aux allures de croquant, un Hannibal Lecter des bas-fonds, son obsession le consume tout entier et l’empêche d’éprouver la moindre empathie pour ses bienfaiteurs ou de rancœur pour ses tortionnaires. Rien n’a d’importance hormis le but qu’il veut atteindre, aussi fou soit-il.

À l’image du film, le jeune Ben Whishaw est impressionnant d’ambiguïté dans ce rôle ingrat et difficile de psycho killer avant l’heure. Avec peu de dialogue, il parvient par sa présence à rendre crédible ce personnage d’apparence fragile, presque gracieux et mu par une implacable obsession morbide. Face à lui Dustin Hoffman compose un truculent Pygmalion, parfumeur sur le retour bien vite dépassé par son élève. Mais c’est Alan Rickman qui hérite du rôle le plus riche, le plus touchant aussi : celui d’un grand bourgeois épris de raison, fou d’amour pour sa fille - joliment incarnée par la lumineuse Rachel Hurd-Wood - qui aura le malheur d’être l’objet de tous les désirs de l’impitoyable Grenouille...

Sombre, envoûtant, débarrassé de ces archétypes moraux et narratifs qui se soucient avant tout de rentabilité, Le Parfum va donc jusqu’au bout de lui-même, mélange les genres, émerveille parfois, dérange aussi, pour aboutir à quelque chose de rare, jusque dans ses excès.

mercredi 23 juin 2010

Wolfman

S’il existe une malédiction plus cruelle que devenir une bête à chaque pleine lune, c’est bien celle d’être un loup-garou au cinéma. À chaque nouvelle tentative, la bestiole n’en finit plus de se prendre les pieds dans le tapis angora : fauché ou grand luxe, vintage ou dernier cri, le lycanthrope filmé est le royaume de la rouflaquette postiche, du bonnet hirsute, de la mandibule prognathe et du grognement préhistorique propulsant invariablement le comédien de service puis le film tout entier dans le comique involontaire.

Hormis l’épatant Hurlements de Joe Dante qui, seul, su relever brillamment le défi en imaginant la transformation intense et organique d’un monstre à la fois "réaliste" et effrayant, tous ses successeurs ont foiré le come back à des degrés divers : le loup façon grizzly du Loup-Garou de Londres et son interminable transformation proprette, La Compagnie des Loups et ses écorchés télescopiques, les masques de carnaval de Peur Bleue (non, pas celui avec les requins), Teen Wolf ou son avatar à oreilles de lapin du clip Thriller de Michael Jackson. Même le choix du maquillage léger et du propos de fond de Wolf par le très sérieux Mike Nichols n’épargne pas Jack Nicholson et James Spader lors d’un final poilant et bondissant, tout en "grrr" et coups de pattes. L’arrivée des effets numériques, loin de conjurer le sort, ajoute au contraire un supplément d’artifice : Le Loup Garou de Paris, Underworld, Twilight

Avec ce Wolfman, Universal tente un "retour aux sources" de ses propres classiques puisqu’il s’agit du remake de la version de 1941 qui fixa pour longtemps les règles du mythe (balles d'argent, pleine lune...). En s’offrant un budget confortable bien loin de la série B, un casting de stars et un scénario romantico-gothique, Wolfman a clairement l’ambition d’emprunter le même chemin que le flamboyant Dracula de Francis Ford Coppola qui ringardisa en un seul film 50 ans de vampires cinématographiques. Danny Elfman applique d'ailleurs la consigne avec zèle en plagiant consciencieusement l’un des thèmes principaux du dandy des Carpates.

Pourtant l’approche est séduisante et possède le mérite de nous offrir un sombre décorum victorien qui avait étrangement disparu de presque toutes les versions récentes. Mais comme souvent avec les "retours aux origines", il s’agit surtout d’un manque d’imagination et d’audace.
Car entre le réalisateur du Parrain et l’insipide Joe Johnston à qui est confié ce Wolfman nouveau, il y a un monde. Filmant sans aucune inspiration de jolis décors et costumes mille fois vus ailleurs, Johnston échoue à mettre en place la moindre tension, la plus petite émotion narrative ou esthétique. Les scènes se suivent et ne s’emboîtent pas toujours au mieux, déroulant mollement un long récit cousu de fil blanc.

Côté comédiens, la comparaison est tout aussi cuisante : Benitio del Toro n’est pas Gary Oldman. Incapable de transmettre une once d’énergie à son personnage, l’acteur semble avoir été victime de la mouche tsé-tsé plus que d’un quelconque carnivore énervé. Parcourant les décors tel un fantôme, il n’échappe pas toujours au comique avec sa curieuse coiffure anachronique et une diction qui prend tout son relief lors de l’introduction shakespearienne. Emily Blunt assure le minimum syndical de la belle de service, tandis qu’Hugo Weaving fait trois petits tours et puis s’en va. Seul Anthony Hopkins parvient à composer un véritable personnage, à la fois étrange et déplaisant.

Mais qu’en est-il de l’incontournable "morceau de bravoure" du genre, cette transformation à vue qui est au film de loup-garou ce que le duel est au western et les atermoiements sont à la comédie romantique ? Évidemment les effets numériques ont été convoqués et, si la métamorphose s’en tire plutôt mieux que les récentes tentatives du même type, l'on n’évite pas quelques transitions vaguement grotesques oscillant entre le chewing-gum et la créature gonflable. Pourtant le pire est encore à venir avec l’affrontement final des deux monstres. Car le prétexte du "retour aux sources" est aussi l’occasion de remettre en selle l’esthétique des années 40 : une idée aussi pauvre que saugrenue, pour ne pas dire suicidaire, qui autorise la reprise de la chapka touffue et du dentier de sanglier, du torse moquetté et de la grosse baffe griffue. Jusque-là faible et sans âme, le film est alors précipité d’un coup dans cette zone fantôme où moisissent ses prédécesseurs : le ridicule.

Une vraie malédiction je vous dis…

vendredi 14 mai 2010

Esther Vs Joshua

Produit par Joel Silver et Leonardo DiCaprio, Esther connut un grand succès et surprit le public autant que la critique. Le thème pourtant guère nouveau de l'enfant maléfique semblait trouver là un traitement soigné, tendu, à la psychologie fouillée et fort bien interprété. Bref, une surprise inespérée de la part de l'insignifiant Jaume Collet-Serra coupable de l'effroyable Maison de Cire avec Paris Hilton et d'une success story footballistique Goal 2 : La consécration (!). Comment diable réussir un tel bond qualitatif ? La réponse est assez simple : en pillant un autre film sorti discrètement un an auparavant, le brillant et novateur Joshua de George Ratcliff, un jeune cinéaste venu du documentaire.

Bien sûr, ce type de cinéma n'évite pas une fâcheuse tendance au clonage à force de respecter scrupuleusement les lois du genre, elles-mêmes souvent issues des succès précédents. L'enfant modèle dissimulant un petit monstre conduisant son entourage au désastre est déjà en soi un classique. Seulement voilà, les analogies entre Esther et Joshua se situent justement là où ils se distinguent de leurs prédécesseurs.

En adoptant un regard résolument réaliste et adulte, en prenant le temps de construire des personnages forts, décrire leurs blessures intimes qui serviront de levier à l'enfant destructeur, Joshua se démarque totalement d'un genre pour être du cinéma tout court. C'est d'ailleurs au prestigieux festival de Sundance que le film de George Ratcliff fut présenté puis nominé pour le prix du jury.
Soutenue par un casting de haut niveau - Sam Rockwell toujours impeccable, Vera Farmiga bouleversante et l'énigmatique Jacob Kogan - la réalisation feutrée, sensible et précise de Joshua est d'une redoutable et subtile efficacité. Ratcliff se refuse à montrer l'évidence pour nous laisser avec nos doutes et préserver ainsi son implacable crescendo psychologique. Et c'est bien là, malgré les emprunts de fond et de forme, que le film de Collet-Serra échoue : recyclant le traitement tout en finesse de Joshua au profit de péripéties spectaculaires parfois outrancières, Esther n'est jamais davantage qu'une bonne série B d'épouvante contrainte à la surenchère pour surprendre.

Pourtant la copie ne ménage pas ses efforts pour ressembler au modèle : Joshua est un gamin exemplaire, surdoué et trop sage dans ses petits costumes d'adulte et sa coiffure impeccable ? Esther présentera donc une apparence de poupée ancienne, avec nœuds dans les cheveux et robe à volants. La progression dramatique est la même, la détérioration des rapports du couple suit un cheminement identique avec parfois les mêmes scènes et personnages ; la fragilité psychologique de la mère, commune aux deux films, sont d'origines à peine différentes mais surtout s'expriment de la même manière, provoquant ainsi le même face à face final père-enfant. Jusqu'à l'éclairage bleu fluo présent dans la chambre des deux gosses. Et au cas où subsisterait un minuscule doute, le clou est définitivement enfoncé avec l'emploi de la même actrice principale, Vera Farmiga, dans le rôle de la mère !

Parmi les différences principales figure l'origine des enfants : si la gamine est adoptée, Joshua est l'aîné de la famille. Au passage, Esther y perd en audace pour n'être qu'une énième ode à la famille, option mère courage. Le film y "gagne" en revanche en idées désagréables, puisqu'il s'agit ici de défendre la famille biologique Vs une intruse malfaisante - le titre original est Orphan. S'y ajoute l'origine de l'orpheline, l'Est de l'Europe qui après avoir été pendant des décennies l'origine du Mal politique, devient la source paresseuse des perversions sanglantes et biologiques du cinéma d'horreur (Hostel, Severance, Ils, Vertige...). Mais soyons justes, Esther en tire aussi sa seule véritable idée originale : un superbe twist rocambolesque à souhait et digne des EC Comics de la grande époque.

Joshua n'est lui, ni un "étranger" à sa famille, ni à son pays : il vit avec les siens dans un confortable appartement en plein New York. Il se révèle donc autrement subversif et dérangeant, à l'image de la vertigineuse ambiguïté de sa conclusion qui laisse loin derrière le vague parfum incestueux présent dans le final d'Esther qui provoqua la censure de sa bande-annonce.

Mais la force de frappe promotionnelle de producteurs prestigieux qui paradoxalement affadissent l'histoire en pensant la rendre plus efficace fit la différence : Esther rapporta 76M$ tandis Joshua n’en récolta... que le centième ! Plus injuste encore, c'est le film de Jaume Collet-Serra qui recueille les louanges, détournant ainsi bien plus que de l'argent : c'est l' œuvre d'un auteur rigoureux et d'une grande maturité, George Ratcliff, qui est ici confisquée.

lundi 26 avril 2010

Simples Secrets

Produit par Robert De Niro en 1996 et dirigé par Jerry Zacks, un inconnu issu de Broadway dont c’est là l’unique réalisation au cinéma, Marvin’s Room est l’adaptation d’une célèbre pièce de théâtre de Scott McPherson. Adapté par l’auteur juste avant sa mort en 1992, le film réunit une distribution qui claque : Meryl Streep, Diane Keaton, Leonardo DiCaprio et Robert De Niro qui, dans un rôle discret et plutôt inhabituel, résume à lui seul le ton général du film : à la fois émouvant, dramatique même, mais aussi souvent drôle, Marvin’s Room est une œuvre touchante qui, sous ses allures de mélo larmoyant, cache une véritable émotion plus discrète et généreuse. Est-il besoin de préciser que le titre français est parfaitement ridicule ?

Deux sœurs s’ignorent depuis 20 ans : la première est coiffeuse et galère avec ses deux enfants dont l’aîné souffre de troubles comportementaux ; la seconde a passé sa vie au chevet de son père invalide et sa tante un tantinet gâteuse. À la suite d’un grave problème de santé, toute la famille est contrainte à des retrouvailles forcées et houleuses. Bien sûr, sur le papier tout ceci peut sembler too much dans le registre de la boîte à mouchoirs. Avec la bonne vieille ficelle de l’épreuve qui rapproche les membres d’une famille et son parfum de rédemption, on s’attend à une avalanche d’étreintes et de nez qui coulent, passages presque obligés du mélo US. Pourtant le film évite la plupart des pièges du genre et surprend souvent.

Le fait que le scénario soit écrit par un auteur mourant écarte d’emblée toute suspicion de produit cyniquement conçu comme un tire larmes. Tout est ici abordé avec une simplicité et une pudeur qui forcent le respect. À ce titre, les échanges entre le médecin (De Niro) et la patiente (Diane Keaton) sont d’une touchante justesse et esquivent les excès de pathos par des éléments de comédie qui affleurent sans jamais s’imposer. Tout le film est d’ailleurs fort bien écrit : fluidité des dialogues qui font mouche, parfait équilibre entre les différentes tonalités qui permettent de passer d’une émotion à une autre en quelques instants, presque par surprise. Le regard tendre jeté sur les personnages, même les plus borderlines, n'est pas sans évoquer l'univers de Tennessee Williams, le désespoir en moins.

Bien sûr, c’est aussi brillamment interprété. Le duo Streep/Keaton, tout en complémentarité, illumine l’écran. En contre point, un DiCaprio intense laisse merveilleusement passer la vulnérabilité du personnage de Hank sous ses aspects agressifs et auto destructeurs. Tous les seconds rôles sont également excellents : Gwen Verdon incarne une émouvante Tante Ruth complètement à l’ouest, affublée d’un improbable système anti-douleurs électronique qui déclenche aussi la porte du garage ; Margo Martindale est une psy impeccable et même le petit Hal Scardino, sans presque aucun dialogue, est épatant en témoin lunaire. Et puis le tandem De Niro/Dan Hedaya, frères à l’écran, nous offre un savoureux moment de comédie. Quant au rôle titre - pour le moins ingrat -, il est tenu par Hume Cronyn dont c'est la dernière prestation sur grand écran.

Évidemment, l’exercice montre aussi ses limites : hésitant entre mélodrame assumé et une délicatesse se refusant aux excès, Marvin’Room peut décevoir des deux côtés. L’accumulation de "tuiles" peut faire parfois un peu déborder la coupe tandis que l’inévitable évocation du passé conflictuel manque sans doute un peu de densité. Qu’importe, car à l’image de sa conclusion abrupte qui nous laisse imaginer la suite sans rien en dire, le film de Jerry Zacks ne prétend pas être un chef d’œuvre ni donner une spectaculaire leçon de vie. Il s’attache à décrire au plus juste un moment de l’existence de personnages complexes et vulnérables, maladroits souvent, face à l’inéluctable : la mort des siens.

mardi 20 avril 2010

Le Choc des Titans

Il est des exploits qui frisent l’intervention divine et la chose magique. Foirer à ce point un remake de ce genre, il fallait de la ténacité et de l’ambition : Louis Leterrier l’a fait. Cet homme n’a peur de rien, on le savait depuis son redoutable Hulk. Mais il démontre aujourd’hui qu’il ne s’agissait pas d’un accident de parcours lié à un personnage ingrat. Non, Louis Leterrier tient le cap afin de rejoindre Michael Bay au panthéon des plus mauvais réalisateurs de blockbusters et au-delà. Et il y parvient avec une aisance remarquable.

Pourtant l’affaire s’annonçait bien moins risquée que l’adaptation du géant vert : il s’agissait de redonner du tonus et un coup de lustre à un Choc des Titans de 1981 charmant et réussi mais déjà passablement vieillot à l’époque. Film d’aventure construit tout entier autour d'effets spéciaux - comme toutes les productions du tandem Schneer/Harryhausen depuis 1955 -, Le Choc des Titans touille plusieurs mythes docilement mis en images par Desmond Davis, yesman de l’époque qui se borne à filmer les intermèdes entre chaque morceau de bravoure d’un Ray Harryhausen en fin de carrière. C'est léger, simple, bon enfant. Bref, on est assez loin de Citizen Kane.

Nulle révérence excessive donc, ni hurlement au sacrilège de ma part pour oser profaner un "classique" : tout en étant très attaché à l’original, l’annonce de ce remake m’enthousiasmait. Le projet annonçait en effet le retour de l’aventure mythologique tout en s’attaquant à l’un de ses meilleurs représentants dont la remise au goût du jour était prometteuse, pour ne pas dire "facile". Mieux : les dieux semblent même se pencher un temps sur le projet puisque c’est Lawrence Kasdan qui était chargé du premier scénario tandis que les producteurs clamaient leur admiration du Gladiator de Ridley Scott. Ma foi, on a vu pires augures.

Et puis soudain, tout bascule comme disent les journalistes. Exit Lawrence Kasdan, arrivée de Louis Leterrier. L’enthousiasme en prend un coup mais je croise les doigts. Après tout, on l’a vu, l’original était aussi un film de producteurs. L’irruption d’une bande-annonce tonique en diable me rend même confiant. Il y a bien ce Zeus chevelu et illuminé façon disco qui inquiète un peu mais le laser enfumé derrière un Laurence Olivier épuisé n’échappait pas non plus au kitch dès 1981.

Las, la découverte du film lui-même se situe au-delà d’une simple déception. Durant 2 heures, Letterier collectionne méthodiquement les bourdes. Là où l’histoire originale est fluide et limpide, tout est ici bancal et inutilement confus. En prétendant ajouter des éléments, le film ne fait que se perdre toujours un peu plus dans les méandres de motivations fumeuses. Motivations dont il faut en permanence expliquer les tenants à coup d’introduction récitée et de péripéties racontées à postériori. Plus grave : en éliminant la scène d’ouverture de l’original, il sacrifie un élément spectaculaire décisif qui du même coup prive le spectateur d'un aperçu de la menace censée planer ensuite durant tout le film. D'un point de vue narratif c'est du suicide. Le déroulement de la quête est du même niveau, accumulant les épreuves de façon désordonnée dans un fatras de scènes disparates s’entrechoquant sans aucune unité si ce n’est celle d’être très mal filmées et photographiées.

Côté comédiens, c’est un jeu de massacre. Qu’ils soient inconnus, confirmés ou prestigieux, tous se vautrent à chaque instant, démontrant, comme c’était déjà le cas dans Hulk, que le problème se situe bien derrière la caméra. Sam Worthington, déjà falot dans Avatar et Terminator Salvation, sublime encore son jeu limité et son absence totale de charisme. Mais soyons honnêtes, son prédécesseur ne brillait guère par sa présence et son talent, sa sélection étant due surtout à son statut d’amant d’Ursula Andress retenue alors pour incarner la déesse Aphrodite.
Liam Neeson, déjà rompu à l’exercice depuis La Menace Fantôme, limite les dégâts et en fait le moins possible. Malheureusement Ralph Fiennes n’a pas cette chance : son rôle d’Hadès étant plus "consistant" que celui de Zeus, l’occasion lui est donnée de se ridiculiser à plusieurs reprises. Affublé d’un maquillage de train fantôme, d’une posture hasardeuse, d’une voix enrouée et de dialogues insipides, on a la tentation de détourner le regard, submergé par l’embarras. Tous les autres seconds rôles sont transparents, inadaptés ou en font des caisses, maniant un humour à mi-chemin entre Taxi et Transformers. C'est dire si on rit.

Le festival de mauvais goût qui tient lieux de choix esthétiques n'arrange rien. Mais est-ce bien surprenant de la part d’un réalisateur se réclamant des Chevaliers du Zodiaque ? Outre l'Olympe plutôt moche, c'est une succession de postiches miteux et de maquillages à la truelle qui rappellent les inénarrables téléfilms italiens type La Caverne de la Rose d'Or. Une mention pour les Djinns, subtils mélanges d’Hommes-des-Sables et de Transformers en bois affublés d’yeux lumineux. S'ajoute à cela un Calibos aux allures de mutant radioactif échappé de La Colline à des Yeux tandis que la Méduse en toc semble extraite de l’affreux Beowulf 3D de Zemeckis. Reste le Kraken qui s’en tire plutôt bien, il est bien le seul. Scènes d’action illisibles, cadrages je m'en foutistes, décors artificiels et effets spéciaux ternes complètent le tableau.

On a trop souvent tendance à sous estimer la difficulté de réaliser convenablement un film de ce type, en pensant à tort que n’importe qui fait l’affaire, que ce n’est qu’une question d’argent, d’effets spéciaux. À la vision de cette purge, on se rend compte combien l’entreprise est hasardeuse, en équilibre entre d'innombrables choix artistiques pouvant, à chaque instant, faire sombrer le film tout entier. Et contrairement aux idées reçues, ces choix sont souvent ceux du réalisateur en titre. En archétype du cinéaste indigent incapable même de copier son modèle, Leterrier nous offre là un bêtisier du gros film, et plus largement une sorte "d'anti leçon" de cinéma. Car loin du simple remake raté ou de la superproduction impersonnelle, Le Choc des Titans 2010 est avant tout un film effroyable, à la fois horriblement mal écrit et dirigé, sans aucun atout, même pas celui d’être involontairement drôle. A fuir.

mardi 13 avril 2010

L'Imaginarium du Docteur Parnassus

Allez hop, reprise du blog après quelques semaines d’absence pour cause d’activités musicales soutenues. Pour ce come-back printanier, pas question de faire dans la demi-mesure : on attaque avec l’Imaginarium du bon docteur Gilliam dont la prodigieuse bande-annonce présageait un retour plus flamboyant, poétique et visionnaire que jamais. Seulement voilà, le présage tourne rapidement au mauvais sort.

Mal écrit et brouillon, ce Parnassus se limite à un clone poussif des fringantes Aventures du Baron de Munchaüsen réalisées par le même Terry Gilliam en 1988. Brassant platement des thèmes identiques jusqu’à une caricature vite ennuyeuse, le cinéaste mâchouille ses propres gimmicks de fond et de forme tels de vieux chewing-gums éventés. Ce n’est plus un style, c’est du radotage. Il faut reconnaître que l’auteur avait annoncé le film comme une synthèse de ses travaux antérieurs. Mouais.

Créateur multitâche et cinéaste culte, Gilliam vit depuis toujours sur l'idée que ses échecs s’expliquent par la trahison de vilains producteurs ou par la faute à pas de chance. Le réalisateur maudit de l’Homme qui a tué Don Quichotte se traîne en effet une scoumoune carabinée côté coulisses. Son Imaginarium n’échappe pas à la malédiction puisque ce n’est rien de moins que l’un des acteurs principaux, Heath Ledger, qui meurt en plein tournage. Mais expliquer les errances du scénario par ce drame serait trop simple : le caractère fantasmagorique du film s’accommode très bien du passage de trois comédiens pour un même rôle. Non, c’est bien d’un manque d’idées fraîches dont il s’agit. Un comble pour un auteur iconoclaste dont l’un des thèmes essentiels est l’inlassable promotion d’un imaginaire débridé face à la monotonie du quotidien.

Reste une foisonnante direction artistique adaptant intelligemment les possibilités techniques actuelles à l’imagerie personnelle du réalisateur. Mais, comme le scénario, ce feu d’artifice ronronne et jamais ne touche. Malgré l’abattage d’une pléiade de comédiens irréprochables, il flotte comme une froideur, un parfum de commande : une coquille joliment peinte mais vidée de sa substance. Terry Gilliam ressemblerait-il aujourd'hui à son vieux Baron de Munchaüsen momentanément desséché et las de raconter de nouvelles histoires ?

lundi 15 février 2010

Still Walking

Il est courant de fustiger - à juste titre - l'accumulation de clichés engendrés par le cinéma de divertissement : recettes dupliquées à l'infini, personnages stéréotypés, péripéties prévisibles, fin programmée. Tout semble souvent conçu pour cibler un public clairement identifié qui voudrait se raconter éternellement les mêmes histoires et à qui il convient de livrer un produit sur mesure. Il est plus rare de relever ces mêmes travers dans le cinéma dit d'auteur qui pourtant ne s’en prive pas.

Still Walking en est un exemple parfait. Durant presque deux heures, Hirokazu Kore-Eda déroule imperturbablement une chronique cousue de fil blanc où chaque personnage, chaque situation, chaque dialogue est un poncif du film familial et intimiste. Rien ne nous est épargné : le père bourru, la mère volubile, les évocations nostalgiques, les ragots, les albums photos, la chanson souvenir donnant le titre au film, la sœur un peu fantasque et le fils indigne, l'inévitable drame familial et son fantôme dans le placard, jusqu’à l’épilogue en forme de leçon de vie dont on devine et redoute les termes dès les premières minutes. Pourtant, alors que seraient stigmatisés paresse et académisme pour tout autre film, c’est l’universalisme et l'intemporalité qui sont vantées ici par une presse en pâmoison. Mazette.

Il faut reconnaître que ce n’est pas faux tant Still Walking pourrait faire l'objet d'un remake français, américain ou italien, peu importe, et ce sans en changer une virgule. Tout juste faudrait-il remplacer les recettes de cuisine et adapter quelques considérations spécifiques au Japon. Car évidemment, c'est là que le film tape juste en comblant le spectateur amateur de culture nipponne, assistant à 24 heures de la vie d'une famille ordinaire. Enfin, ordinaire telle qu'on le conçoit généralement au cinéma, c’est-à-dire avec un père médecin, une mère au foyer, une confortable maison familiale nichée dans la végétation à proximité de la mer.

Il en résulte donc un cocktail convenu parfaitement adapté à un certain public français bien moins ouvert et exigeant qu’il ne pense l'être, toujours friand de représentations narcissiques fondées sur les codes d'un cinéma d'auteur national qui n'en finit plus de régurgiter une Nouvelle Vague faisandée : où l'on prétend, en toute modestie, à une pertinence tendant à l'universel là où il ne s'agit que d'enfoncer une enfilade de portes ouvertes. Seule la différence culturelle retient ici l'attention en vendant un Japon "typique" qui, vu d'ici, prend par contrecoup des allures de gimmick.

Bien sûr la sincérité du cinéaste n'est pas à mettre en cause. Faisant écho à sa propre vie, Kore-Eda filme honnêtement sa chronique comme le feraient chez nous un André Téchiné fatigué ou l’Agnès Jaoui vaine de Parlez-moi de la Pluie. Il le fait d'ailleurs plutôt bien : les comédiens sont tous excellents et la réalisation est limpide même si, là encore, elle n'échappe pas aux clichés contemplatifs : les plans qui s’éternisent, des mains d’enfants dans les arbres en fleur, l’art et la manière de couper les légumes... Sans oublier cette émotion programmée et ostensiblement retenue par laquelle Kore-Eda semble nous rappeler à chaque instant "voyez comme je suis fin et pudique" et qui, à la longue, produirait presque l’impression inverse.

Restent quelques moments touchants ici ou là - l'incursion du papillon - et le savoir-faire incontestable du réalisateur qui ne font malheureusement pas oublier l'aspect anecdotique de l’ensemble et l’absence totale d'audace ou d'idée originale. Still Walking ronronne de bout en bout, se bornant à offrir après tout le monde et de manière très scolaire ce qu'on attend de lui, comme n'importe quel film de genre. Autant revoir Ma Saison Préférée.

lundi 8 février 2010

The Wrestler

Dans le registre de la rupture de style, Darren Aronofsky fait très fort : lui qui était coutumier d’effets appuyés flirtant avec un maniérisme clippé, voilà que c’est sur le mode naturaliste qu’il fait un retour triomphant. Naturaliste à plus d’un titre puisqu’il joue sciemment de la confusion entre la vie de l’acteur principal et le personnage qu’il incarne : est-ce l’histoire de Randy le Bélier, catcheur sur le retour, ou bien celle de Mickey Rourke, acteur-boxeur en perdition dont il est question ? Les deux assurément, n’évitant pas un certain embarras face à ce film dans le film qui fait immanquablement penser à ces émissions de télé dites "réalité" où une poignée de has been vendent, en toute connaissance de cause, leur déchéance physique et professionnelle à un public friand de divertissements frelatés.

Seulement voilà, là où la télévision n’accouche que de programmes minables, Darren Aronofsky fait œuvre de création pour offrir un film d’une intensité poignante, profondément humaniste et digne. Mieux : le talent et la puissance de son acteur principal le hissent à l’exact opposé d’un spectacle cynique ou morbide : il rappelle à tous que Mickey Rourke est un acteur magnifique, habité, capable de tous les excès, de toutes les nuances aussi. Tandis que son alter ego de fiction nous donne à voir combien les forçats de l’entertainment que sont les catcheurs sont infiniment plus respectables que le public de bourrins qui les consomment comme des bêtes de foire, qui jouissent sans complexes de voir des hommes, souvent issus de milieux pauvres, se consumer comme exutoire de leur bestialité frustrée.

Alors finalement peu importent l’histoire forcement prévisible, la vieille soupe mélo vaguement saupoudrée d’idéologie reborn qu’ heureusement Aronofsky a le bon goût de tempérer in extrémis : The Wrestler est un beau film à la fois simple, épuré, souvent émouvant de la part d’un cinéaste inspiré qui tient à nous montrer l’envers du décor d’un rêve américain définitivement moisi. Comme pour nous rappeler que, dans cette société du "marche ou crève", looser est avant tout une manière culpabilisante de qualifier un laissé-pour-compte.

dimanche 24 janvier 2010

Doute

Meryl Streep vs. Philip Seymour Hoffman sous la direction de John Patrick Shanley qui adapte ici sa propre pièce de théâtre récompensée par le Pullizer 2005, c’est peu de dire que le programme est alléchant. Mais comme en cuisine, la qualité des ingrédients ne garantit pas toujours la réussite du plat.

Certes, le sujet n'est pas des plus faciles : un prêtre charismatique et généreux est accusé de soutenir d'un peu trop près un élève soumis aux brimades de ses "camarades" de classe. Nous sommes dans le Bronx des années 60 et le gamin en question est le premier Noir à intégrer cette école catholique dirigée d’une main de fer par Sœur Aloysius intimement persuadée de la culpabilité du bon Père Flynn.
Plusieurs thèmes sont ici étroitement liés : l’aspect social lié au cas particulier de l'écolier, la rivalité personnelle entre le prêtre progressiste apprécié de tous et la religieuse traditionnelle qui n'inspire que la terreur, le soupçon d’abus sexuel, la rumeur et bien sûr le doute.

Afin de justifier son titre, l’auteur prend soin de brouiller les pistes : aucun véritable indice n’est donné au spectateur, le père Flynn est des plus sympathique et Sœur Aloysius se révèle moins monolithique et paranoïaque qu’on ne le supposait au premier abord. Surtout, il introduit un élément très audacieux, déstabilisant même, qui produit au passage la meilleure scène du film entre la directrice et la bouleversante mère de l’enfant magistralement interprétée par Viola Davis.

Mais à force d'utiliser des pincettes pour éviter de verser dans le scabreux, John Patrick Shanley finit par ressembler à son personnage principal, cette vieille religieuse rigide et coincée. Le film aurait dû être âpre, dur, mais il n’est que raide et pour tout dire, un peu fade. L’ensemble manque de punch, les répliques de mordant et des thèmes pourtant d’une grande force s’étiolent dans un académisme convenu. Même Meryl Streep n’est pas toujours dans le ton du personnage en tentant d’introduire quelques fêlures dans le terrifiant corset de son personnage.

Reste un Philip Seymour Hoffmann impérial qui, à lui seul, insuffle toute la puissance, la finesse et l’émotion qui manquent souvent à l’ensemble.

mardi 5 janvier 2010

Là-Haut

Pixar fête là son dixième long métrage et de quelle manière ! Après un Ratatouille fade et ennuyeux puis un Wall-E très surestimé, voici donc le retour de l’équipe de John Lassiter au meilleur de sa forme. En réunissant le réalisateur de Monstres et Cie et le scénariste du Monde de Nemo, c’est le cœur même de Pixar qui est à l’œuvre.

Bien qu’un peu circonspect vis-à-vis du graphisme, je dois reconnaître que la maîtrise du scénario, du rythme mais aussi du parti pris qui fait de Là-Haut un film véritablement tout public, c'est-à-dire bien au-delà de la cible enfantine, m'ont enthousiasmé. Chacun y trouvera son compte, de 7 à 77 ans comme l’on dit. À ce titre, la longue introduction relève de la perfection par sa manière à la fois elliptique et poignante de raconter toute une vie. Certes, c’est parfois idéalisé à la manière d’un Disney, mais avec tact et délicatesse. La musique de Michael Giacchino contribue à rendre cette première partie saisissante de maturité.

Une quête au long cours entraîne ensuite les deux personnages principaux dans une expédition qui tient à la fois du parcours initiatique, du steampunk et du film de jungle ; ce voyage en forme de conte relève d’une élégance tonique qui n’est pas sans rappeler l’univers poétique de Terry Gilliam. Le foisonnement esthétique et l'action pure côtoient un épatant comique de situation qui jamais ne tombe dans la grosse comédie : on rit aussi, mais pas seulement. Et puis cette mise en scène résolument cinématographique, inventive... Quel bonheur !

Évidemment ça suinte un peu la sucrerie sur la fin, avec cette morale fatigante qui autorise à une promesse faite à un enfant de prendre le pas sur toute autre considération, quitte même à trahir celle d’une vie faite à sa propre femme, quitte même à en mourir. Tout ça pour sauver une grosse poule, nouveau jouet d’un moutard vaguement capricieux.

Quant à l’autre ficelle puritaine qui voit la disparition des biens matériels comme négligeable, souhaitons que les millions d’américains qui ont récemment perdu leur toit n’entendent pas le héros lancer "ce n’est qu’une maison" en voyant sa si chère demeure sombrer à jamais.