vendredi 26 décembre 2008

Peau d'Âne

Comme presque tous les ans à la période des fêtes, une chaîne de télé se dévoue pour nous rediffuser l’adaptation du conte de Charles Perrault. Tant mieux, car le très joli film de Jacques Demy garde tout son charme quarante ans après sa réalisation. Et puis c’est toujours mieux que cette gourde de Sissi.

Troisième comédie musicale avec le compositeur Michel Legrand après les célébrissimes Parapluies de Cherbourg et Demoiselles de Rochefort, Peau d’Âne est en revanche moins chanté que ses prédécesseurs et s'en tient à des chansons illustrant les moments clefs de l’intrigue. Le résultat est plus facile d’accès et présente en apparence une forme proche des productions Disney. En apparence seulement, car Jacques Demy prend soin de garder tous les aspects les plus symboliques qui font des contes traditionnels bien autre chose que de simples histoires colorées destinées aux tout-petits. Ici l’inceste est clairement le thème central de l’intrigue puisqu’un Roi, veuf inconsolable, ne trouve que sa propre fille digne de remplacer la défunte Reine à ses côtés. Aidée par sa marraine la Fée des Lilas, la Princesse n’a d’autre choix que de fuir le royaume incognito sous les traits d’une souillon habillée d’une peau d’animal. Inimaginable au pays de Mickey !

Comme l’a écrit Bruno Bettelheim dans sa Psychanalyse des Contes de Fées, ces histoires ancestrales n’évitent pas d’aborder les problèmes les plus cruciaux de l’existence contrairement aux œuvres plus récentes qui tendent à construire un univers sécurisant conforme avant tout à l’idée que veulent se faire les adultes de leur progéniture idéalisée. Les contes originaux, souvent affinés durant des siècles voire des millénaires, entendent plonger carrément le jeune lecteur dans les difficultés existentielles qu’il est amené à affronter durant sa construction psychique. Toute l’intelligence des contes est d’aborder ces sujets complexes sous forme d’œuvres d’art qui captivent avant tout par leurs qualités littéraires et narratives. En édulcorer les aspects jugés les plus "choquants" sous prétexte de les rendre abordables aux plus jeunes les vide de leur sens.
Conscient de la richesse du sujet, Jacques Demy expose donc clairement l’argument du conte sans l’éviter, ni utiliser de langage crypté destiné aux adultes, ni en rire. En cela Peau d’Âne est une exception dans le monde pourtant foisonnant du conte porté à l’écran : il garde sa vertu féerique tout en préservant son caractère le plus profond. Comme l’histoire originale, il permet à chaque âge de la vie de s’y retrouver. Son statut de film culte trouve sans doute là son origine, au même titre que les contes ont su traverser les siècles.

Le cinéaste illustre par ailleurs au mieux (pour l’époque) l’aventure elle-même grâce à une luxueuse direction artistique (pour une production française) et une bonne humeur vivifiante à laquelle Michel Legrand contribue grandement avec son entêtante bande originale reconnaissable dès les premiers accords. Soutenu par une distribution de choix qui voit défiler Jean Marais, Catherine Deneuve, Micheline Presle, Jacques Perrin et Delphine Seyrig, le film séduit, amuse souvent, émerveille parfois. Bien sûr on peut déplorer un jeu manquant de profondeur, une lumière qui ne préserve jamais un coin d’ombre ou une esthétique parfois kitsch, mais heureusement le film est court (1h25) et le rythme soutenu. Au passage le spectateur attentif sourira aux références faites à d’autres contes (Le Chat Botté, Les Fées) et bien sûr au film La Belle et la Bête de Jean Cocteau dont Jean Marais et son pourpoint largement épaulé n’est que l’expression la plus visible.

La Belle et la Bête et Peau d’Âne, deux ovnis survolant un cinéma français si rétif et méprisant face à l’imaginaire, deux chef-d’œuvres hors du temps qui se répondent à vingt-cinq ans d’écart et nous émerveillent intelligemment encore aujourd’hui. Bonnes fêtes !

lundi 15 décembre 2008

Les Ruines

Voilà un film qui réunissait tout pour n'être qu'une énième purge sur le thème du troupeau de jeunes méga-wizz confrontés à l'ignoble menace tapie au fond des bois.
L'introduction ne nous épargne rien : les sourires Ultra Brite, les Bikinis, la plage, la drague et les préoccupations puissantes ("où est ma bague ?"). Deux couples d'étudiants en vacances dans un hôtel au Mexique sont abordés par un inconnu allemand qui les invite à rejoindre ses amis archéologues sur un site de fouilles au fin fond de la forêt. À ce stade on est moyennement enthousiaste et l'on a la sensation de déjà prévoir la suite. De fait, si le site et les habitants du coin sont bien là, les archéologues n'y sont plus. Ou tout au moins plus vraiment. Enfin vous verrez...
Car le réalisateur Carter Smith et son scénariste Scott B.Smith (Un Plan Simple) auteur du roman dont est tiré le film sont très malins et concoctent là une sacrée bonne surprise à mille lieues d'un soporifique Wolf Creek ou des affligeants Cabin Fever et Hostel.

Jouant astucieusement de certains poncifs pour nous surprendre et utilisant au mieux l'unité de lieux et de temps pour créer un climat oppressant, Les Ruines est un véritable film fantastique en forme de huit clos se déroulant presque exclusivement au sommet d'une pyramide maya envahie par une drôle de végétation.
Son habile crescendo conduit des personnages finalement pas si tartes que prévu vers un inexorable cauchemar qui finit par donner quelques bonnes suées au spectateur en alternant menace surnaturelle et conditions climatiques extrêmes. Des effets gore particulièrement efficaces ponctuent au mieux une ambiance tendue qui fonctionne sur la longueur, bien loin d'une creuse juxtaposition de saynètes horrifiques pour public pop-corn.
Sûr de lui, Carter Smith n'éprouve d'ailleurs pas le besoin d'en rajouter dans la frime côté réalisation ni dans l'humour lourdingue vaguement distancié pour faire passer la pilule : ici tout est carré, efficace et classique dans le bon sens du terme. Jusqu'à une interprétation tout à fait honorable, chose assez rare dans ce type de production.

On parvient à la fin avec le sentiment jouissif d'avoir été embarqué dans une aventure horrifique solidement construite et mise en image (Darius Khondji inside) respectant les codes du genre en les utilisant au mieux. En cela Les Ruines rejoint ces excellentes surprises dont on n'attendait à priori rien comme Tremors, Darkness, Isolation et autres The Descent. Youpi.

vendredi 5 décembre 2008

Intermission

Tout en accent rugueux et copieusement arrosé à la Guinness, Intermission nous emporte à Dublin suivre les mésaventures d’une poignée de personnages ordinaires à un tournant de leur vie - pour ne pas dire en plein pétage de plomb. Parfois violent, parcouru d’un humour très noir, le film passe en permanence du drame au polar, de la love story à la comédie la plus grinçante. A l’image du percutant prologue, John Crowley joue merveilleusement de la rupture de ton pour nous déstabiliser et rendre imprévisible le registre de la scène voire du plan suivant. C’est assez jubilatoire, mais rend dangereusement "spoilante" toute tentative de résumer l’histoire.

Accumulant un foisonnement de détails qui flirtent parfois avec le burlesque ou le trash, l’émotion surgissant sans prévenir au détour d’une réplique ou d’un regard, Intermission est un délicieux cocktail dans la lignée de Bons Baisers de Bruges, Sammy et Rosie s’Envoient en l’Air, The Snapper ou même Snatch. On y croise entre autres un policier obsédé par la violence et fan de musique celte (Colm Meaney), un étalagiste amoureux transi qui parfume son thé à la sauce piquante (Cillian Murphy), son pote miné par l’abstinence sexuelle, un vieillard handicapé qui boit sa Guinness sur le dos, une petite frappe détestable (Colin Farrell), un chauffeur de bus revanchard, une fille au duvet tenace (Shirley Henderson), un sale gosse qui adore provoquer des accidents et même une course de lapins. C’est tonique, parfois hilarant, vaguement désespéré et interprété à la perfection par une pléiade d’acteurs "à tronches" tous remarquables, qu’ils soient connus ou non.

Le scénario réserve de très bonnes surprises dont quelques scènes d’anthologie dans le pub local, le supermarché ou le club de rencontre pour dames d’un certain âge. Même si le réalisateur aurait pu faire l’économie d’un tic de cadrage un peu appuyé et que dix minutes de moins auraient densifié l’intrigue, Intermission est une excellente surprise comme nos voisins d’outre-manche (et en l’occurrence un peu au-delà) savent si bien les trousser. Epatant.

lundi 1 décembre 2008

Bobby

Réunissant une flopée de stars confimées ou en devenir, Bobby imagine la vie d'une vingtaine de personnages dont le point commun sera d'être présents à l'Hôtel Ambassador lors de l'assassinat du sénateur Robert Kennedy en juin 1968. L'histoire s'étend sur quelques heures et les destins croisés se situent presque tous sur les lieux du crime : l'hôtel lui-même. Passant des cuisines au luxueux hall d'accueil, du militant de base à l'invité de prestige, de la coiffeuse à la standardiste, du retraité qui perd la tête au futurs mariés, le film brosse une série de portraits censés illustrer au mieux une époque où droits civiques, drogues, Vietnam et militantisme sont à l'ordre du jour.

Même si le procédé du film choral est aujourd'hui moins novateur et surprenant, ce type de construction éclatée impressionne toujours par sa capacité à gérer plusieurs histoires en parallèle. Par son côté "zapping", il permet aussi de palier les problèmes de rythme posés par une construction linéaire classique. L'exercice se prête bien également à l'utilisation de stars venues là faire un petit tour, parfois dans des rôles inhabituels, une manière de prendre quelques risques à moindres frais. Lorsque les auteurs sont assez inspirés pour ne pas se limiter à l'effet formel, cela donne des films magnifiques et envoûtants tels Magnolia ou Collision. Mais Emilio Estevez n'est pas Paul Thomas Anderson ni Paul Haggis et même s'il montre une belle aisance pour ce premier film, son Bobby glisse souvent vers un hors sujet quelque peu superficiel et mélodramatique.

Si le titre pouvait en effet laisser présager un propos politique assez soutenu, le scénario s'égare vite vers des histoires personnelles sentimentales qui ne présentent que peu d'intérêt. Du coup le scénario morcelé renforce une impression de feuilleton télévisé en passant ainsi d'une saynète à l' autre, où l'on apprend que Paul trompe Miriam avec Angela et que Virginia a des problèmes avec l'alcool et son mari.
Une scène permet de donner un aperçu de ce qu'aurait pu (dû ?) être le film : celle où le chef cuisinier de l'hôtel interprété par l'excellent Laurence Fishburne explique à un de ses commis révolté comment il préfère laisser aux Blancs l'impression qu'ils sont à l'origine des évolutions de la société de l'époque pourvu que le résultat soit là. C'est fort, très bien écrit, intelligent et pile dans le sujet. Dommage que le reste ne soit pas de ce niveau.

Comme s'il s'apercevait in extremis de ses égarements, Emilio Estevez revient à son sujet en ponctuant le film de documents d'archives montrant la campagne du sénateur à travers le pays. Ces intermèdes sont autant de remises sur rails de ce qui semblait être son intention première : rendre hommage à l'idéal pacifique et généreux incarné par Robert Kennedy. Si les discours sont en effet émouvants et forts bien écrits (en particulier celui qui clôt le film), on peut aujourd'hui trouver naïve cette présentation simpliste et angélique - pour ne pas dire christique - des Kennedy. On sait que la réalité des personnages était assez éloignée du mythe et des espoirs qu'ils ont suscités. Or le film ne prend jamais aucune distance et ne présente que l'image officielle qui paraît bien datée en 2007.

On suit malgré tout sans ennui les pérégrinations de ces personnages très divers en guettant avec gourmandise l'apparition de la prochaine star. Tout ce petit monde est d'ailleurs impeccable et permet de passer un bon moment. Même Sharon Stone joue sobre et juste un rôle pourtant un tantinet appuyé dans le registre "je casse mon image". Anthony Hopkins passe d'un fauteuil à un autre, Elijah Wood ouvre ses grands yeux, William H. Macy reprend son personnage de faible/fort, Helen Hunt et Martin Sheen forment un couple parfois émouvant. Outre un impressionnant Laurence Fishburne déjà évoqué, se distinguent un Shia LaBeouf décidément très doué et une Demi Moore en épave de luxe qui montre à quel point les rôles sombres lui vont à merveille.
Au final un premier film honorable bien qu'inégal, qui se perd un peu en route, mais qui parvient dans sa dernière ligne droite à joliment monter en intensité.

dimanche 23 novembre 2008

A la Croisée des Mondes : La Boussole d'Or

Dans la série "dites-moi John, quelle nouvelle série héroico-régressive à prétention littéraire pourrait-on produire à grands frais pour Noel prochain ?" voici donc l'adaptation de La Boussole d’Or, premier volet de la énième "fameuse-trilogie-vendue-à-X-millions-d'exemplaires" ici signée Philip Pullman. Je fais d'ailleurs partie des millions en question. Bien moins réussi que Harry Potter et le surprenant Stardust, mais un bon cran au-dessus des redoutables Narnia et Eragon, ce premier opus se situe en milieu de gamme de cette fantasy à la mode qui déferle depuis quelques années sur les écrans. Mais elle n’évite pas bien des défauts du genre, tant sur le plan littéraire que cinématographique.

Adapté de manière scolaire par le réalisateur Chris Weitz (qui ?), le scénario est très fidèle au roman. Ce qui n’est pas très étonnant lorsque l’on sait que Philip Pullman supervisa en grande partie la production. Malheureusement cette fidélité de principe tourne au handicap et n’évite pas le problème des adaptations copieuses où l’on souhaite tout mettre, tout dire, tout expliquer au prix d’un grand carambolage d’images et de concepts d’autant moins clairs qu’ils ne le sont pas toujours non plus dans le livre. C'est peut-être d’ailleurs là l'une des raisons majeures de son échec commercial aux Etats-Unis, même si le film fit une très belle carrière internationale. Pourtant cette Croisée des Mondes peut se prévaloir de bien des qualités qui font cruellement défaut à certains de ses navrants concurrents à succès.

On y retrouve cet univers original et foisonnant qui s’écarte enfin de la sempiternelle imagerie moyenâgeuse pour flirter notamment avec le steampunk, ces Daemons qui sont les doubles animaux de chaque individu, le spectaculaire peuple des ours qui donnera lieu à la scène la plus intense du film et bien sûr un propos qui se situe plutôt du côté de la subversion vis-à-vis d’un ordre religieux qui entend gouverner sans partage sur les esprits. Mais c’est là aussi une autre critique de fond que l’on peut faire au film : par manque de courage ou soucis de conformisme, le despotique et obscurantiste Magistérium n’est ici jamais nommé "Eglise". D’ailleurs presque toutes les notions religieuses sont éludées alors qu’il s’agissait là de la partie la plus audacieuse (la seule ?) de l’œuvre de Pullman. A quoi bon se targuer de fidélité à l’auteur si l’on transige finalement sur son idée maîtresse.
Certes, la très belle direction artistique tente de palier cette vague auto-censure à coup de "costumes-qui-évoquent" et de décors tournant autour du pot, mais le compte n’y est pas tout à fait. Il subsiste heureusement quelques bribes d’un discours inhabituel dans ce genre de littérature jeunesse souvent bien conservatrice voire tristement réactionnaire. Ici s’affrontent donc en filigrane la connaissance et la croyance, le libre-arbitre et la soumission à l’ordre millénaire. Mais comme dans l’œuvre originale, toute cette bonne volonté est nuancée par les poncifs habituels : des personnages principaux forcement aristocrates, les autres se réduisant peu ou prou à des serviteurs transis de respect, ou bien cette manière effrayante de glorifier l’esprit guerrier sous le cache-sexe de l’honneur. Il est au passage parfaitement navrant que notre époque propose encore à la jeunesse de se former l’esprit sur de tels de principes rétrogrades au nom d’une supposée tradition narrative.

Au sommet d’une distribution de luxe culmine Nicole Kidman dont Pullman dit qu’il en rêvait dès l’écriture du roman. Vu que le personnage original est une ténébreuse brune aux yeux noirs, on n’est pas obligé de le croire, mais peu importe car l’actrice incarne fort bien cette Grande Méchante séduisante et onctueuse à souhait. Si Ian McKellen est bien présent par la voix de l’ours Ionik Byrnison, l'excellente Kathy Bates doit se contenter de trois phrases prononcées par un lapin, tandis que l’on n’apercevra Christopher Lee qu’assis à une table face à un Derek Jacobi à peine plus présent. Quant à Kristin Scott Thomas, je la cherche encore.
La gamine figurant la jeune héroïne Lyra s’en tire honorablement. Il faut reconnaître aux auteurs une saine volonté d’éviter l’adorable-poupée-blonde-aux-yeux-bleus que l’on pouvait redouter, en choisissant une Dakota Blue Richards au physique assez inhabituel (jusqu’à ces drôles de petites dents marron gasp). Évidemment le personnage lui-même n’échappe pas à l'invraisemblance de ce type de littérature où le gamin de service se doit d’être à la fois un messie, un stratège digne de Jules César et un combattant de première classe, le tout à l’âge de 11 ans.

Mais ne boudons pas notre plaisir car malgré ses faiblesses le film reste un très joli spectacle richement décoré et sans aucun temps mort, soutenu par une puissante musique d’Alexandre Desplat qui donne à une intrigue honorable le souffle de la grande aventure. Il est d’ailleurs regrettable que son échec commercial relatif rende peu probable le développement ultérieur de certaines idées à peine esquissées mais qui promettaient de donner une maturité salutaire à un genre qui en a tellement besoin.

mercredi 22 octobre 2008

Gods and Monsters

Traduit stupidement par "Ni Dieux Ni Démons" (!) et inédit en salle par chez nous malgré une avalanche de récompenses internationales dont l’Oscar du meilleur scénario adapté en 1999, ce magnifique film de Bill Condon évoque les derniers jours de James Whale, réalisateur du célébrissime Frankenstein de 1931 avec Boris Karloff et de sa suite La Fiancée de Frankenstein auquel le titre original fait référence*.

Tiré du livre de Christopher Bram "Le Père de Frankenstein" et coproduit par Clive Barker, l’intrigue s’appuie sur le mystère qui entoure la mort du réalisateur en 1957 : gravement malade, il fut retrouvé inanimé dans sa piscine à Hollywood sans que l’on sache s’il s’agissait d’un suicide, d’un accident ou d’un meurtre. Comme il s’adonnait à la peinture depuis qu’il avait quitté le cinéma en 1949, une grande quantité de reproductions et de nus fut retrouvée dans sa villa après sa disparition. Le film s’attache à rassembler ces éléments en imaginant la relation ambiguë qui s’établit entre le peintre et son dernier modèle : son jardinier.

James Whale définit La Fiancée de Frankenstein comme "un film sur la mort" et "une comédie qui respectait ceux qui ne savaient pas". Bill Condon s’approprie l’idée pour réaliser un film limpide, lumineux dans la forme, souvent amusant, se déroulant sous le climat idyllique de Los Angeles, là où l’on pouvait redouter une emphase révérencieuse louchant vers le gothique. Teintée de nostalgie mais sans jamais tomber dans le travers d’une œuvre trop référencée ne s’adressant qu’au cinéphile averti, Gods and Monsters est avant tout un film sur le temps qui passe, l’amitié, la mémoire. Fortement diminué à la suite d’une attaque cardiaque, Whale est victime de troubles cérébraux qui font resurgir les épisodes les plus marquants de sa vie. Comme Clay Boone, ce jeune jardinier qu'il tente de séduire, le spectateur fait peu à peu connaissance avec Jimmy Whale, gamin anglais pauvre, brisé comme tant d’autres par la boucherie de la première guerre mondiale mais doté d’un formidable appétit de vivre. Successivement ouvrier dès 14 ans, soldat puis comédien pendant sa captivité en Allemagne, décorateur, directeur artistique, metteur en scène de théâtre et enfin de cinéma, Whale se raconte et nous laisse entrevoir au passage l’envers du décor de son œuvre maîtresse : Frankenstein.

Irrité par le culte voué aux deux films auxquels il préfère L’Homme Invisible et Show Boat, mais sachant très bien jouer de cette notoriété pour obtenir ce qu’il désire, Whale manipule son entourage avec gourmandise. Sa très pieuse gouvernante hongroise Hannah tout d’abord, éternelle compagne réprobatrice témoin de ses frasques, son ex compagnon le producteur David Lewis, mais aussi les journalistes venant l’interviewer et finalement ce jeune jardinier un peu bas du front dont il s’entiche et qui comme lui porte de profondes blessures intimes. Si l’homosexualité du cinéaste est bien sûr indissociable de l’histoire du film comme elle l’était de sa propre vie, elle ne constitue pas ici le propos principal. Toute l’intelligence des auteurs est justement d’en faire un élément ordinaire parmi d’autres. D’ailleurs Boone ne partage aucunement les goûts de Whale dont les desseins se révéleront ne pas être tout à fait ceux que l’on pouvait imaginer…

Il fallait le talent et le charisme de l’immense comédien Ian McKellen pour donner au personnage de Jimmy Whale toute l’ambiguïté, le charme du vieux dandy lucide et caustique, jusqu’à la fin en quête d’une liberté absolue. Trouvant là sans doute l’un de ses plus grands rôles au cinéma, l’acteur est bouleversant, drôle, malicieux, cassant aussi. A noter l’implication de McKellen l’activiste qui avait conscience de la portée sociale du film, Whale refusant comme lui de vivre sa sexualité dans le placard.
Face à lui Brendan Fraser montre qu’il vaut nettement mieux que les pantalonnades dans lesquelles il semble se spécialiser. Il est ici étonnant de justesse et de vulnérabilité sous son physique de colosse, pendant glamour et plein de santé du Monstre interprété jadis par Boris Karloff. La ressemblance n’est évidemment pas un hasard puisque tout le film s’attache à tisser des liens entre passé et présent, reliant ainsi les désirs et les blessures du cinéaste à son oeuvre. Gods and Monsters trouve toute sa force et son originalité dans cette façon souvent onirique de mettre en image la vie d’un homme grâce à des évocations surgissant tels des rêves ou des hallucinations. L’une des plus poignantes est celle où, dans les décors stylisés de Frankenstein, Boone figurant le Monstre conduit Whale par la main vers une tranchée jonchée de cadavres de soldats.
Le film s’achève sur une scène extraordinairement touchante qui serait en partie une idée de Brendan Fraser. Elle clôt de manière fort poétique une œuvre magistrale, sensible, tout en finesse. Sans doute l’un des plus beaux hommages au cinéma jamais réalisé. Indispensable.


* "To a new world of Gods and Monsters !" est le toast porté par le Dr Prétorius lors de la création de la Fiancée de Frankenstein.

samedi 18 octobre 2008

Parlez-Moi de la Pluie

Réputée réaliste et pertinente, notre production hexagonale dite « d’auteur » n’est trop souvent qu’une représentation bourgeoise, convenue et étriquée de notre société. Pour paraphraser le François Truffaut de 1953, le cinéma français s’applique aujourd’hui encore à montrer la vie essentiellement telle qu'on la voit d'un quatrième étage de Saint-Germain-des-Prés. Bohème ou non, petite ou grande, cette bourgeoisie-là tient et inspire toujours ce cinéma où les considérations matérielles et la diversité sociale brillent le plus souvent par leur absence.

Par ses scénarios et réalisations le tandem Agnès Jaoui/Jean-Pierre Bacri avait montré une volonté de se démarquer de cette cécité sélective chronique sans prendre une pose trop ostensiblement sociale ou psy, ni prétendre appartenir à un milieu autre que le leur. Le couple avait su trouver peu à peu un équilibre entre un cinéma grand public flirtant avec la comédie et un propos fort, personnel et militant en abordant des thèmes comme le complexe face à la culture, l’acceptation de soi et des autres, l’éducation injuste, les petites hiérarchies familiales ou professionnelles et bien sûr le rapport à l’argent et au statut social. Avec en point d’orgue Le Goût des Autres, énorme succès qui parvenait avec finesse et beaucoup d’humanité à taper douloureusement juste en pointant un certain racisme social ordinaire.

La présence de Jamel Debbouze dès la genèse de ce Parlez-moi de la Pluie laissait espérer de nouvelles pistes d’observation de la société française contemporaine. Malheureusement, à l’instar de Comme une Image, ce nouvel essai est décevant sur le fond. Si les dialogues et surtout l’interprétation frôlent la perfection, en particulier dans les scènes de comédie intime, le propos reste lui superficiel voire simpliste. On sent bien que l’ambition et les idées sont là, mais qu’elles sont justes survolées, comme édulcorées au profit d’une ambiance légère, tout au plus teintée de nostalgie et de vagues regrets vite oubliés. A tel point que les rares moments où le discours devient plus frontal semblent déplacés, comme forcés, tel le monologue - pourtant pertinent - du personnage interprété par Jamel Debbouze évoquant le regard porté sur les immigrés et leur descendance. Passage d’autant plus perturbant que quelques minutes plus tôt le film n’hésitait pas à présenter une vision caricaturale, presque choquante, des paysans sans doute pour le plaisir de faire rire à peu de frais. L’improbable happy-end renforce cette impression de légèreté au goût de démission. Parlez-moi de la Pluie reste malgré tout un très bon moment souvent drôle, parfois émouvant, avec quelques scènes magiques grâce au talent des comédiens. Bref, un bon film français… comme les autres.

lundi 13 octobre 2008

King Kong

Tout auréolé du triomphe de sa prodigieuse trilogie du Seigneur des Anneaux, Peter Jackson nous propose sa vision d’un des plus grands mythe du cinéma populaire. Luxueusement produite à hauteur de 207M$ (dont 20 pour le réalisateur) par des producteurs qui misaient sur les spectateurs qui avaient porté Le Retour du Roi à la deuxième place du box-office historique derrière Titanic, cette nouvelle version de King Kong souffre souvent de son hypertrophie artistique et financière. Cooper et Schoedsack ne sont pas Tolkien, et transformer une modeste production de cent minutes en film fleuve de trois heures est sans doute l’un des choix les plus contestables du cinéaste.
Passons donc sur une interminable introduction pas très bien écrite qui tente maladroitement de "faire intelligent" à coup de citation de Conrad. Ce désir de donner de la matière (grise) à des personnages originaux schématiques était louable, mais demandait sans doute un peu plus de finesse et surtout de concision. En revanche la suite de l’intrigue ne s’écarte guère de la trame de l’original de 1933 mais se contente de l’étirer à l’infini : une équipe de tournage aborde une île inconnue peuplée de monstres préhistoriques et d’un gorille géant qui enlève la vedette du film. Le reste de la troupe part à sa recherche à travers la jungle avec l’intention de capturer l’animal et de l’exploiter comme phénomène de foire.

Évidemment tout cela n’est qu’un prétexte à enchaîner les morceaux de bravoure spectaculaires dont Peter Jackson s’acquitte très honorablement : un effrayant gouffre aux insectes gluants à souhait, une tempête dantesque aux abords de l’île ou encore le formidable combat avec les T.rex empêtrés dans les lianes. Très bonne idée aussi de reprendre le concept de l' île fantastique parsemée de ruines cyclopéennes. La vraie star du film est incontestablement ce grand singe avec sa pauvre gueule amochée toute de traviole. Une réussite artistique et technique à la hauteur de Gollum. L’animation 3D couplée au motion capture a en effet permis le choix esthétique du gorille réaliste, une option aussi belle qu’inédite et qui tire un trait sur le stop motion ou le comédien costumé. Pourquoi une telle ambition n’a-t-elle pas été appliquée aux décors ? Malgré (ou à cause de ?) son budget gigantesque, ce King Kong version 2005 a été presque entièrement tourné en studio et devant des écrans verts. Et ce qui pouvait fonctionner avec l’environnement techno des derniers Star Wars vire ici à la claustrophobie. Eléments déchaînés et nature exubérante en conserve donnent envie de hurler "De l’air !". Alors que l'intérêt même de ce remake aurait dû être de se démarquer de ses prédécesseurs eux aussi confinés, mais en raison de contraintes de tournage d'un autre âge.

Un mot des acteurs, même si "le film de jungle" n’est guère propice aux grandes performances. Certes, Jack Black est irritant à force d’en faire des kilos à chaque plan et Adrian Brody semble bien se demander ce qu’il fait là, mais il serait injuste de ne voir en Naomi Watts que la scream queen de service. Elle fait ce qu'elle peut et plutôt bien en comparaison de ses collègues.

Conclusion, ce King Kong nouveau est du bon gros spectacle qui tache et on ne va pas bouder son plaisir sur écran géant et dolby explosif malgré le choix paresseux du tout studio. Plus regrettable cependant, alors qu'il s'éternise durant l'introduction, le réalisateur bâcle honteusement l'épilogue et passe à côté de l’émotion, à la différence de John Guillermin dans sa pourtant très inégale version de 1976.

vendredi 3 octobre 2008

Nos Plus Belles Années

Il était une fois un cinéma américain qui pouvait présenter une héroïne communiste qui ne soit pas une imbécile ou une terroriste qui explose à la fin. Un film où l'on voit des piquets de grève d'étudiants contestataires, où les personnages ne sont ni bons ni mauvais mais justes humains, où le récit d'une histoire d'amour n'est pas le prétexte à une aimable et vaine comédie romantique avec Hugh Grant. Et ce sans qu'il s'agisse d'un petit film indie distribué dans 3 salles à New York mais bien d'une grosse production de la Columbia avec Robert Redford, Barbra Streisand et réalisé par Sydney Pollack, soit le gratin du gratin, le firmament des stars de l'époque.
Évidemment il ne s'agit pas de comparer Nos Plus Belles Années avec un film de Ken Loach.
Nous sommes bien dans un ample et luxueux film hollywoodien qui cherche à séduire, où les personnages ne sont jamais vraiment dans le besoin, où tout le monde est tiré à quatre épingles.
Mais cette chronique douce-amère d'un couple que tout sépare durant les années 40/50, la guerre puis le maccarthysme est un très beau moment de cinéma tout à la fois émouvant et subtilement intelligent. Rien n'y est caricatural, manichéen ni surtout propice à de pesantes démonstrations idéologiques. Barbra Streisand incarne admirablement une ardente intellectuelle aux convictions profondes et à l'inlassable (et épuisante) énergie face à un Robert Redford qui nuance avec talent son personnage de jeune homme de bonne famille sans réel idéal mais à qui tout sourit trop facilement. De compromis en compromissions, chacun sera le révélateur des forces et des failles de l'autre au gré des événements de la vie, qu'ils soient insignifiants ou historiques. Le titre original The Way We Were donne une idée bien plus juste du film par son côté plus nuancé, moins positif et nostalgique que le titre français. Ni mélo larmoyant, ni comédie sentimentale, ni chronique historique, Nos Plus Belles Années dépasse largement le cadre de son intrigue première pour évoquer, l'air de rien, bien des questionnements sur les idéaux, le couple, l'intégrité sans jamais juger aucun des protagonistes. En laissant ainsi le spectateur libre de se faire son opinion le film est sans doute plus surprenant encore aujourd'hui qu'à l'époque. C'était en 1973, autant dire une éternité.

dimanche 28 septembre 2008

The Mist

Pour sa troisième adaptation d’une œuvre de Stephen King, Frank Darabont n'a pas connu le succès rencontré avec Les Evadés et surtout La Ligne Verte. C'est d'ailleurs sans doute grâce au succès colossal du second que le réalisateur pu monter The Mist en dépit d'un scénario pour le moins sombre et politiquement pas très correct. Malheureusement, malgré une bonne volonté manifeste et un indéniable savoir-faire de la part du cinéaste, le film reste bien difficile à défendre.

Le scénario est très fidèle à la longue nouvelle du même nom écrite par Stephen King. Il y est question d'une petite ville qui, à la suite d'une effroyable tempête, est envahie par une brume opaque et mystérieuse venue des montagnes où se cache une base militaire top secrète. Un bon père de famille, son jeune fils et son voisin se retrouvent bientôt bloqués dans un supermarché en compagnie d’une partie de la population du coin venu faire ses courses. Bloqués, ou plutôt assiégés puisque ce petit monde apprend assez vite à ses dépends que le sinistre brouillard cache d'innombrables créatures terrifiantes.

Toute l'originalité de l’idée de départ était de traiter l'aventure et ses péripéties, mais également les tensions extrêmes qui s’établissent rapidement dans le refuge improvisé. En effet, si les monstres sont à l’extérieur, les vieux démons qui hantent les esprits se révèlent vite tout aussi redoutables. Seulement voilà, la mayonnaise ne prend pas. Il a beaucoup été reproché au film ses effets spéciaux jugés moyens qui seraient responsables de son échec artistique. Pourtant, hormis quelques volatiles à l'aspect discutable, les trucages sont dans l'ensemble plutôt de bonne facture et même parfois impressionnants, comme ces titanesques créatures parcourant la brume tels des fantômes lovecraftiens. Non : les causes de l'échec, plus graves, sont à chercher ailleurs .

Outre un souci de rythme lié à la longueur du film et de laborieuses explications d'autant plus dispensables qu'elles sont très mal introduites, se pose avant tout un réel problème de casting. Si pour les deux adaptations précédentes Frank Darabont avait su choisir d'excellents acteurs de la trempe de Morgan Freeman, Tom Hanks ou Tim Robbins, nous devons nous contenter ici d'acteurs de seconde zone au mieux transparents, au pire activement mauvais. Au premier rang desquels Thomas Jane qui, non content de présenter des faux airs de Christophe Lambert, s'attache aussi à en avoir la filmographie. Collectionnant les nanars de luxe auxquels il va comme un gant (Peur Bleue, Punisher, Dreamcatcher), l'acteur passe comme une ombre alors qu'il incarne ici le personnage principal. Même problème avec Laurie Holden, obscure actrice de série (dans tous les sens du terme) certes bien mignonne mais au jeu glacial ultra limité. Plus surprenant est le cas d’un élément central du récit, la très pieuse Mme Carmody incarnée par Marcia Gay Harden, actrice chevronnée mais qui ici en fait étrangement des tonnes, ramenant ainsi un personnage déjà outré au rang de lourde caricature.

Tout cela n'aurait pas autant d'importance si The Mist n'était qu'un simple survival basique où l'on court, hurle et escalade n'importe quoi en tirant sur n'importe qui. Mais face à l'ambition de présenter une vision fouillée des comportements d’une petite communauté confrontée au danger et à l'inconnu, ce flottement dans l'interprétation est fatal. On reste désespérément extérieur au drame qui se joue devant nous, en saluant malgré tout la démarche audacieuse du cinéaste. Car même si la démonstration est un peu lourde, cette vision d’une religiosité obscurantiste et sacrificielle, friande de boucs émissaires, se nourrissant de l’ignorance et de la détresse de ses ouailles surprend beaucoup dans ce type de production généralement très respectueuse de l’ordre moral. D’autant qu’il s’agit d’un environnement familier qui écarte la possibilité de coller une barbe et un turban à ces fous de Dieu ici aux joues bien roses. Le mérite en revient évidemment surtout à Stephen King, pourtant croyant convaincu, mais qui s’est toujours attaché à violemment s’en prendre aux dérives religieuses tout au long de son oeuvre.

La fin du film imaginée par le cinéaste, seul véritable ajout à la nouvelle originale, sidère tout autant par son redoutable pessimisme et sa volonté d'aller résolument en découdre avec les poncifs du formatage hollywoodien. Il est donc d'autant plus rageant de voir Frank Darabont échouer dans cette louable tentative pour ne livrer qu’un honnête spectacle là où il y avait matière à marquer une date dans le cinéma de genre.

mercredi 24 septembre 2008

Un Lion en Hiver

Oeuvre à la réputation discrète malgré un casting de tout premier ordre qui voit s'affronter Peter O'Toole, Katharine Hepburn, Anthony Hopkins et Timothy Dalton sur un scénario brillant adapté par James Goldman de sa propre pièce de théâtre, le film d'Anthony Harvey souffre sans doute de l'absence d'un réalisateur prestigieux au générique pour passer à une postérité plus visible. Malgré trois Oscars en 1969 pour le scénario, l'actrice principale et la musique de John Barry, le film demeure injustement peu connu.

À la tête de cette fantastique partie d'échec grandeur nature, un couple d'exception domine : Henri II Plantagenêt et Aliénor d'Aquitaine qui à eux seuls résument toute la complexité et la richesse de l'intrigue. D'un côté Henri, roi d'Angleterre mais français d'origine, à la tête de ce que les historiens appelleront "l'empire Plantagenêt" qui s'étend des frontières de l'Ecosse aux Pyrénées. De l'autre Aliénor, femme au destin exceptionnel, qui fut successivement reine de France puis d'Angleterre, participa à la seconde Croisade, fut emprisonnée 15 ans durant, mère de Richard Coeur de Lion, mécène éclairé et inlassable diplomate qui parcourut l'Europe jusqu'à sa mort à 82 ans. Deux personnages à la culture immense qui se marièrent en 1152 pour ensuite s'affronter durant une bonne partie de leur vie. James Goldman a su parfaitement saisir le caractère exceptionnel de la période et la démesure des personnages en présence pour en tirer un scénario d'une très grande force qui exploite au mieux le mélange de finesse et de grande violence présent durant ce Moyen-Age chaotique où les États peinent à se dessiner.

Le point de départ du film se situe à la veille de Noël 1183 à Chinon où un Henri II vieillissant et obsédé par sa succession réunit ses trois fils Richard, Geoffroy et Jean, sa femme Aliénor qu'il retient captive depuis 10 ans et le jeune roi de France Philippe Auguste afin de déterminer qui lui succédera et dans quelles conditions. Chacun ayant évidemment une idée différente sur le sujet, cette confrontation de quelques jours ne sera qu'un sombre et oppressant crescendo d'une infinie cruauté, rythmé d'innombrables alliances et de jeux stratégiques complexes où se mêleront étroitement marchandages territoriaux et règlements de comptes intimes. Solidement soutenu par des dialogues denses et percutants d'une grande intelligence, le film développe sur plus de deux heures un formidable affrontement psychologique où le cynisme, l'habileté et le rapport de force sont la règle.

Tout en privilégiant l'exactitude historique, le scénario est très représentatif de la période où il fut tourné. Les années 60 furent en effet l'occasion de faire voler en éclats les valeurs traditionnelles au théâtre et au cinéma qui osaient désormais aborder des thèmes jusque-là tabous. Sexe, introspection psychologique, remise en cause des vieux schémas moraux devenaient enfin possibles même dans les films grand public. Un Lion en Hiver se situe dans cette perspective et c'est avec une liberté surprenante qu'est évoquée la sexualité des personnages ou que sont mis à mal l'éloge de la famille et l'éducation parentale vertueuse. Les images d'Epinal y sont judicieusement malmenées jusqu'à rétablir quelques vérités historiques inconfortables pour l'ordre moral gardien de nos manuels d'Histoire. Même si quelques rares entorses chronologiques surgissent ici ou là, le film réussit pleinement à donner chair à des personnages crédibles, animés de sentiments humains ambigus et infiniment complexes, bien loin des représentations édifiantes jusqu'alors de rigueur dans le cinéma dit historique.

Sans doute dans le même esprit d'émancipation et surtout dans le but d'aérer une adaptation théâtrale, Un Lion en Hiver fut tourné en grande partie en décors naturels dans de nombreux châteaux et monastères en France et en Irlande plutôt qu'en studio comme c'était encore souvent la règle à l'époque. On peut cependant déplorer la réalisation très académique d'Anthony Harvey qui ne parvient pas toujours à illustrer au mieux l'ambition de l'auteur. Pourtant monteur de Stanley Kubrick (Lolita, Dr Folamour) et épaulé par le grand Douglas Slocombe à l'image, le cinéaste peine à s'écarter des vieilles habitudes un peu raides du cinéma de la décennie précédente.
Si côté acteurs l'Oscar fût attribué à Katharine Hepburn, le jeu de Peter O'toole dans le rôle de Henri II se révèle avec le recul bien plus remarquable et intemporel. Plein de fougue et de force, tour à tour effrayant et séducteur, malicieux et brutal, émouvant même, l'acteur emporte tout sur son passage et traverse le film comme une tornade. Katharine Hepburn l'affronte en jouant dans la retenue et la froideur une Aliénor retorse et subtile, mais dont l'interprétation n'évite pas quelques lourdeurs un peu datées dans le registre de l'émotion. Il fut d'ailleurs reproché à l'adaptation cinématographique de renforcer l'aspect sentimental du vieux couple afin d'adoucir la vision très désabusée et passablement cynique des relations humaines dans la pièce. Face à eux Anthony Hopkins dont c'est là une des premières apparitions sur grand écran donne déjà la pleine mesure de son talent en incarnant un Richard (pas encore Cœur de Lion) brutal et torturé, rivalisant sans peine avec son royal géniteur à l'écran. Timothy Dalton fait un excellent Philippe Auguste juvénile et tortueux à souhait tandis que Nigel Terry (futur Roi Arthur dans Excalibur) interprète un Prince Jean déjà fort perturbé.
A noter que l’auteur James Goldman retrouvera les personnages de Richard Cœur de Lion et de Jean en 1975 dans le scénario de La Rose et la Flèche, célèbre film de Richard Lester qui imaginait sur un mode plus léger un Robin Hood de retour de Croisade.

lundi 15 septembre 2008

Gomorra

Tiré du best seller de Roberto Saviano, le film de Matteo Garrone surprend là où on ne l’attendait pas. Si l’on pouvait imaginer une sorte de documentaire vaguement scénarisé dont la forme importerait peu au profit d’un flot de révélations inédites sur les agissements de la célèbre Camorra, on se trouve en fait face à un vrai grand film de cinéaste qui reste presque dans "l’anecdotique" côté information pure. Et c’est là toute sa force.

Qui peut encore faire semblant d’être surpris aujourd’hui par des jeunes fous qui se rêvent caïd à la place du caïd, de la contrefaçon de produits de luxe, du trafic d’armes et de drogue, des règlements de comptes meurtriers et même des déchets toxiques ensevelis n’importe où ? Si le film s’était contenté de décrire froidement les faits, il aurait intéressé mais n’aurait pas bouleversé à ce point. Or Matteo Garrone tient à nous montrer avant tout le destin parfois croisé d’une poignée de personnages bourreaux et victimes à des degrés divers dans une organisation criminelle omniprésente et décrite dans ce qu’elle a de plus ordinaire, de plus bêtement cruelle et corruptrice au quotidien. Ici pas de folklore mafieux à coup d’anti-héros flamboyants au code de l’honneur inflexible, pas de roulades au ralenti un pistolet dans chaque main, pas de parrain classieux et de grandes tirades sur le pouvoir. Le cinéaste nous rappelle qu’une mafia, qu’elle soit napolitaine ou non est conduite par de sombres crapules sans scrupules ni principes qui se nourrissent de la misère et de la peur d’une myriade de petites gens démunis dans le sens le plus large du terme. A la merci d’une aumône hebdomadaire ou d’une balle dans la tête, tout ce petit peuple est sommé de se positionner dès le plus jeune âge par rapport à une organisation en état de siège permanent contre les monstres qu’elle génère en son sein. Ses valeurs reposent sur ce qu’une société humaine peut produire de plus méprisable et désespérée ; le résultat ne peut-être qu’à son image : un enfer.

Le réalisateur s’attache donc à suivre quelques uns des acteurs de la tragédie permanente qui se joue dans un décor d’apocalypse en privilégiant résolument l’humain sur le récit circonstancié grâce à des comédiens hors normes et une mise en scène faussement simple. Filmé en cinémascope comme pour signaler d’entrée qu’il ne prétend pas au statut de documentaire, Matteo Garrone nous raconte ces histoires personnelles presque intimes en les débarrassant de presque tout aspect spectaculaire ou romanesque mais sans jamais négliger le cadre, le rythme ou l’émotion. Du coup le film se libère de son aspect didactique spécifiquement lié à une région pour tendre à l’universalité.
En nous montrant un monde où l’Etat, la loi et donc la démocratie n’existent pas, où la police n’intervient que fugitivement au gré d’une rafle ou pour constater une exécution, où les enfants sont partout sauf à l’école le cinéaste offre évidemment aussi une œuvre politique puissante. Dans ce registre la scène la plus significative et peut-être aussi une des plus discrète du film montre cette femme mandatée par un couturier de luxe venant vendre aux enchères l’exécution des modèles à des ateliers clandestins pour obtenir le plus bas prix de fabrication. L’image est violente et le symbole fort puisqu’il donne à voir comment notre système mondialisé s’accommode très bien de ces organisations criminelles basées sur la misère, quand il ne prend pas tout simplement modèle sur son fonctionnement au nom de la concurrence et du plus bas coût. L’épisode du traitement des déchets se situe dans la même perspective dans sa façon d’acheter à prix discount une bonne conscience écologique qui se paie au bout du compte en vies humaines. Inutile donc de dénoncer un politicien véreux en particulier puisque c’est le système tout entier qui se prête complaisamment à ce jeu meurtrier mais lucratif, du plus petit artisanat local jusqu’à la finance internationale.

A n’en pas douter cette Gomorra là pourrait parfaitement se situer dans n’importe quelle région du monde, les mécanismes humains et économiques qui la génère et la régisse en seraient les mêmes. Et c’est bien parce que le film dépasse largement le cas particulier de la Campanie et nous rappelle aussi cette réalité d’aujourd’hui que l’on sort de la salle sonné. Sonné et peut-être inquiet aussi pour notre propre avenir dans un monde où lorsque l’Etat de droit recule, c’est toujours au profit de la loi de la jungle.

vendredi 12 septembre 2008

Peines d'Amour Perdues

Kenneth Branagh tente de retrouver la finesse et la bonne humeur vivifiante de Beaucoup de Bruit pour Rien en adaptant à nouveau une pièce de Shakespeare sur un mode léger. Cette fois encore il change l’époque pour situer l’action à la veille de la Seconde Guerre Mondiale et en profite pour donner à cette aventure la forme d’une comédie musicale de la grande époque hollywoodienne.

Rythmé par d’épatants numéros musicaux qui sont autant d’hommages à Fred Astaire et autres Bal des Sirènes sur fond de grands standards de Cole Porter, Irving Berlin ou George Gershwin, le film déborde d’énergie et de bonne humeur complice avec juste ce qu’il faut de recul pour éviter la prétention sans tomber dans la parodie. Malheureusement, malgré des comédiens irréprochables qui interprètent eux-mêmes tous les numéros soutenus par une mise en scène vive et inventive, la musique tourbillonnante de Patrick Doyle et la très belle image d’Alex Thomson, la sauce ne prend jamais vraiment. La faute en revient sans doute à une intrigue cette fois plutôt insignifiante, adaptée de façon peu claire et qui à aucun moment ne parvient à susciter la moindre émotion. On se désintéresse donc bien vite de personnages assez ennuyeux et de leurs improbables tourments pour attendre impatiemment chaque intermède musical. Les interventions de Geraldine McEwan, Nathan Lane et surtout Timothy Spall en Don Armado sont cependant particulièrement savoureuses et permettent de passer un bon moment avec cette petite troupe tout à fait réjouissante qui aurait mérité un scénario un peu plus captivant.

samedi 6 septembre 2008

Charlotte Gray

Film pour le moins méconnu en raison d’une sortie sabordée, Charlotte Gray ne fut distribué aux Etats-Unis que dans une poignée de salles durant la dernière semaine de décembre 2001. Warner Bros décida dans la foulée d'annuler purement et simplement son exploitation en Europe, décision d’autant plus inexplicable que le film était l'un des plus gros budget du cinéma britannique de l’époque. Cette absence d’exploitation précipita dans les plus grandes difficultés la célèbre firme Channel Four/Film Four, fleuron du cinéma d’Outre-manche depuis près de vingt ans (Trainspotting, My Beautiful Laundrette, The Crying Game, Elisabeth, Secrets et Mensonges, Peter’s Friends etc…).
Ce n’est que par une dérogation spéciale du Ministère de la Culture que le film put être exploité en France dans une seule salle, à St Antonin le petit village où il fut tourné. Charlotte Gray est en effet l'adaptation du roman éponyme de Sebastian Faulks qui évoque l'aventure de l'une des nombreuses femmes britanniques parachutées sur le sol français pour aider la Résistance durant la Seconde Guerre Mondiale.

Curieux mélange de classique "film de Résistants" et d’ample mélodrame un peu convenu mais efficace, les aventures de la jeune écossaise au pays des frenchies sont de bonne tenue mais n'échappent pas à un certain académisme. La réalisatrice australienne Gillian Armstrong semble hésiter en permanence entre le flamboyant mélo historique et une vision inattendue, car plutôt désabusée, du combat au quotidien d'un minuscule réseau de résistants au destin tragique. L'image somptueuse du film et la réalisation sophistiquée soulignent encore cette démarche presque schizophrène qui finit parfois par donner à des situations dramatiques les couleurs d'une luxueuse carte postale. L'intention était probablement d'insuffler à l'odyssée personnelle de Charlotte Gray la dimension d’une vaste fresque historique, mais elle finit par nuire à crédibilité de l’ensemble.
A sa décharge le film pose un problème spécifique au spectateur français qui verra des dialogues anglophones très "Good morning mademoiselle" contribuer à rendre ce décor du terroir paradoxalement artificiel. Pourtant il faut accorder à la cinéaste d'avoir su éviter les clichés attachés à la France : ici pas d'accordéon ni de héros séducteur impénitent, bien au contraire.

L'interprétation dense et "habitée" de Cate Blanchett parvient à faire oublier en grande partie ces maladresses en emportant le spectateur dans le tourbillon de sa douloureuse expérience d’espionne ordinaire et improvisée. Passant de la fougue à la terreur, de la rigueur à la détresse, l'actrice porte tout le film sur ses épaules et de quelle manière. Face à elle Billy Crudup incarne un personnage tout en retenue assez surprenant pour ce type de rôle tandis que Michael Gambon est très émouvant en patriarche cynique et généreux.
Même s'il ne parvient pas vraiment à atteindre son objectif à force de vouloir être partout à la fois, Charlotte Gray est une oeuvre soignée, parfois poignante et esthétiquement magnifique qui mérite bien mieux que son statut de film fantôme.

mardi 26 août 2008

The Dark Knight

Après l'envoûtant et surprenant Prestige, Christopher Nolan est de retour avec son Batman plus rebooté que jamais. Coécrit avec son frère Jonathan et coproduit par sa femme Emma Thomas, cette énorme production détourne les standards du gros film de majors pour aller flirter l’air de rien du côté du film d’auteur. A l’instar des X-men de Bryan Singer, des Batman de Tim Burton ou même du Superman de Richard Donner, The Dark Knight démontre à nouveau que les meilleures adaptations de comics sont l’œuvre de réalisateurs à forte personnalité qui s’approprient les thèmes en évitant d’illustrer docilement l’œuvre originale souvent un peu simpliste. Fort du succès presque inattendu de son extraordinaire Batman Begins, Nolan enfonce donc le clou avec ce second volet plus personnel encore.

Durant presque 2h30, le film déroule une troublante succession de chapitres et de scènes presque autonomes - au point d’être parfois disparates - qui parvient peu à peu à élever cette banale histoire de super héros au rang de tragédie. Au point où les souvenirs du Parrain ou de Scarface me sont revenus à l’esprit durant la projection. Car en évitant presque toute l’imagerie comics et en s'attachant à rendre réalistes les actes et les motivations de personnages ambigus et violents, le film chasse ouvertement sur le terrain du thriller policier et de la fresque maffieuse. L’injection d’une dose d’affaires véreuses et de mafia internationale ne fait qu’amplifier cette impression.

Au passage exit le Gotham de folklore, le flamboyant manoir Wayne et sa techno-gothique Batcave, place au réalisme vitré et bétonné des grandes mégalopoles. Et si les inévitables scènes spectaculaires à coup d’explosions et de cascades vertigineuses sont au rendez-vous, Nolan marque bien davantage les esprits avec une petite devinette et un simple crayon. Entièrement focalisé sur ses personnages et leurs trajectoires tragiques à des degrés divers, le cinéaste s’approprie totalement le mythe en allant jusqu’au bout d’une vision humaine mais désespérée. A ce titre le sort de l’héroïne résume bien l’audace et l’intransigeance de la démarche. Là où ce retour au réel pouvait affadir le mythe, Christopher Nolan en profite au contraire pour mettre en oeuvre un lent mais implacable crescendo dramatique servi par une distribution de rêve.

Le très charismatique Heath Ledger est remarquable dans le rôle d’un Joker new-look plus proche du serial killer que du clown malfaisant et hystérique mais il serait injuste de concentrer toutes les louanges sur sa seule prestation. Car si le Joker est lui-même de bout en bout, Harvey Dent lui, devient Two Faces sous nos yeux. Aaron Eckhard rend formidablement crédible ce destin tragique qui le conduira d'un avenir politique brillant à la folie meurtrière et suicidaire. Son physique de golden boy et son jeu impeccable lui permettent de passer de l’un à l’autre avec une grande aisance et sans excès. Plus présent à l’écran que son rival psychotique au sourire balafré, on peut même se demander si le réalisateur n’était pas davantage intéressé par cette longue descente aux enfers que par la très linéaire folie destructrice du Joker. Et si le film était d’abord l’histoire d’Harvey Dent ?

Car le Dark Knight du titre est lui réduit à un personnage de second plan. Traversant le décor les mains dans les poches et le visage plus inexpressif que jamais, Bruce Wayne/Christian Bale réussit l’exploit d’être moins présent que son majordome Alfred incarné par un émouvant Michael Caine qui vous sert la gorge en une phrase et un regard. Comme si Christopher Nolan avait compris que ne pouvant rivaliser avec des comédiens de l’envergure de Gary Oldman, Morgan Freeman, Michael Caine, Heath Ledger ou même Aaron Eckhard, il était préférable de laisser Christian Bale en retrait et l’utiliser pour sa stature et une certaine présence.

Au registre des faiblesses, Nolan n’évite pas une certaine confusion dans sa manière d’accumuler plusieurs films en un seul, passant un peu du coq-à-l’âne sans se donner toujours le temps d’exploiter ce qu’il met en place. Cet aspect est particulièrement évident dans le premier tiers du film avec cette obscure intrigue d’associé chinois expatrié et de cambriolages multiples. Impossible également de faire l’impasse sur certaines idées sécuritaires tendancieuses, en particulier en ces temps d'Usa Patriot Act. On peut voir là des similitudes de fond avec l'incontournable Dark Knight Returns de Frank Miller où s’affrontaient déjà idées extrêmes et personnages tourmentés sur fond de désillusion morale et de société déliquescente. Malheureusement cet aspect semble désormais presque inséparable du personnage, ici souligné sans doute par un environnement résolument réaliste.

Au final, malgré un effet de surprise un peu émoussé depuis le précédent film de la série, ce second volet du duo Batman/Nolan se hisse incontestablement au sommet du genre sur un registre tout à fait inattendu. Même si comme pour Le Prestige, persiste cette impression diffuse mais tenace qu’il manque comme un souffle ou un brin de folie pour que le film accède au rang de chef-d’œuvre.

vendredi 15 août 2008

Cloverfield

Alors que le film DV se réclame volontiers d’une plus grande liberté, il n’est souvent en réalité qu’un moyen de s’enfermer dans un genre ultra calibré. Au même titre que le film en relief qui s’évertue à balancer tout et n’importe quoi n’importe quand vers le spectateur pour justifier son emploi, le "DV pour faire vrai" se révèle paradoxalement très artificiel et devient surtout le prétexte à toutes les facilités scénaristiques ou de mise en scène.

Le brillant 28 Jours Plus Tard était parvenu à sortir du registre de l’attraction de foire un format qui n’est finalement qu’un support comme un autre. Il en tirait le meilleur dont cette fameuse liberté qui se situe essentiellement du côté du coût réduit de production. Malheureusement Cloverfield fait comme si le film de Danny Boyle n’avait jamais existé et nous gratifie de tous les travers du genre.

L’argument épuisé de la désormais classique "cassette retrouvée" est le prétexte à un scénario inexistant qui tient en une phrase : un monstre attaque New york. Pourquoi pas. Mais dès l’interminable introduction faite de bavardages insipides dans la jeune bourgeoisie new yorkaise où l’on apprend que Machin a couché avec Bidule qui maintenant sort avec Truc, on a droit au montage et au cadre "amateur" c'est-à-dire de traviole et zébrés de coupures chaotiques "pour faire vrai". Et sans doute aussi pour meubler sans trop se casser la tête.

Heureusement le déclenchement des événements met un terme brutal à ce vide intersidéral de presque vingt minutes (!). L’effet de rupture est d’ailleurs puissant et les premières manifestations de l’arrivée de la créature (encore invisible à ce stade) sont très réussies. On pourra y voir ou non une référence à l’incontournable 11 septembre, peu importe, la séquence fonctionne à plein.
Malheureusement les péripéties s’enchaînent ensuite sans véritable intrigue hormis une invraisemblable bluette totalement hors de proportion avec le sujet. Ce bout-à-bout fonctionne parfois, ennuie aussi car le procédé s’use très vite. Du coup la caméra bringuebalante et les ruptures de montage ne produisent plus rien d’autre qu’un agacement contre-productif puisqu’ils créent de la distance avec le spectateur là où ils étaient censés l’immerger davantage dans les événements.
La séquence dans le métro achève de ramener le film à un simple niveau du jeu Half Life où la succession de péripéties n’est structurée par aucune narration ou aucun sentiment. Or ce qui est passionnant dans le cadre d’un jeu où le frisson est indissociable du fait d’être soi-même le moteur de l'action, devient vite creux lorsqu’on se contente de subir un flot d’images chaotiques et de personnages en carton.

Matt Reeves parvient tout de même de temps en temps à produire l’effet recherché au travers de quelques plans réellement impressionnants, notamment ceux laissant entrevoir le monstre ou durant les mouvements de foule.
Cloverfield ne souffre peut-être finalement que d’être un long métrage là où l’intention de départ et le procédé utilisé ne permettaient qu’un film brut d’une quinzaine de minutes qui aurait grandement gagné en cohérence et en efficacité.

A noter que le peu prolifique Matt Reeves est l'auteur d'une très agréable comédie datant de 1996 : Le Porteur de Cercueil.

mercredi 13 août 2008

Bons Baisers de Bruges

Malgré un titre crétin et une affiche à côté de la plaque, ce Bons Baisers de Bruges sorti (presque) de nulle part est une très belle surprise et un coup de maître de l'auteur/réalisateur Martin McDonagh dont c’est là le premier long métrage.
Avec un extraordinaire sens de la rupture et de la réplique qui tape juste affûté sans doute par son passé de dramaturge, l’auteur met en place une tragi comédie très écrite, noire et parfois décalée sur fond d’états d’âme de tueurs en cavale passablement dépressifs.

Le duo d’acteurs qui domine le film fonctionne admirablement bien sur le mode du tandem sans verser à aucun moment dans le buddy movie calibré.
Dans le rôle de l’agité, Colin Farrell expose un registre étonnant, tout à la fois émouvant, violent et comique dans le style pas très futé. Face à un Brendan Gleeson omniprésent, impressionnant de justesse et de sobriété, on pourra peut-être lui reprocher ici ou là d’en faire un peu trop, mais c’est parfois le "prix à payer" avec cette catégorie d’acteurs intenses et charismatiques qui, à force de crever l’écran, vont jusqu’à déborder du cadre par instants. Phénomène que l’on retrouve parfois avec Robert Downey Jr ou Daniel Day Lewis, mais qui tout compte fait se révèle largement bénéfique pour le film et le spectateur.

L’apparition tardive de Ralph Fiennes vient compléter le tableau sans jamais le déséquilibrer. L’acteur trouve aisément son propre registre et semble prendre au passage un grand plaisir à se détourner de son image d’éternel séducteur en incarnant ce chef de bande paranoïaque et colérique toujours à la limite de l’explosion meurtrière.

Si l’intrigue réserve quelques trouvailles jubilatoires grâce à un auteur qui ne néglige jamais la progression dramatique de son scénario, elle n’est au final qu’un composant un peu secondaire dans ce qui semble être avant tout une observation parfois attendrie mais jamais complaisante de trois ou quatre personnages au tournant de leur très médiocre existence. Tout comme la ville de Bruges qui somme toute aurait pu parfaitement être Berlin, Rome ou Paris. Car le véritable décor du film est bien davantage le visage de ces personnages souvent filmés au plus près, comme pour guetter les infinies nuances de leurs ultimes tourments.

mardi 12 août 2008

Wall-E

Propulsé au rang de chef-d'oeuvre avant même sa sortie, il est pourtant bien difficile d’être surpris par cette nouvelle production Pixar qui, malgré un progrès constant dans la qualité des images, semble se reposer un peu sur ses lauriers (mérités) côté scénario.
On serait presque tenté de faire un rapprochement avec l’histoire de la firme Disney qui durant ses premières décennies révolutionna constamment l’art de l’animation tout en se basant le plus souvent sur de très sages adaptations de contes célèbres.

Pourtant il faut reconnaître que si la production animée récente - Pixar compris - repose essentiellement sur des personnages bavards voire hystériques et une action tourbillonnante lourdement teintée de parodie, ce Wall-E presque muet perdu sur une Terre désertée de ses habitants laissait espérer un traitement à contre courant pour le moins rafraîchissant. Mais le film se révèle rapidement être un peu à l’image de son personnage principal : bien fait mais avec un irrépressible sentiment de déjà vu.

La première partie du film tient pourtant en partie ses promesses grâce aux images splendides, tout en velouté et lumière dorée enveloppant de vastes décors de ville abandonnée magnifiquement servis par un très beau cinémascope. L’animation, toujours impeccable et fine, met en scène quelques jolis moments de comédie tendre au parfum de nostalgie via les innombrables trouvailles que le petit robot, compacteur de déchets mais aussi chineur, collectionne amoureusement dans son refuge. Reliques qui sont autant de clins d’œil à notre époque.
On suit également avec plaisir les tentatives hasardeuses de Wall-E pour communiquer avec Eve, le second personnage à la force de frappe tout à fait dissuasive et qui fait irruption un beau jour dans son petit univers routinier.
Dans cette introduction plutôt réussie, on peut malgré tout déplorer la musique fade de Thomas Newman qui se contente d'illustrer platement l'action, là où l'absence de dialogues aurait exigé un compositeur nettement plus inspiré, à l'image du John Williams tout en finesse de E.T, ce petit cousin éloigné de Wall-E.
Au final tout cela est certes charmant, joliment réalisé, mais ronronne un peu trop pour crier au chef-d'oeuvre.

D’autant que passé cette première demi-heure, l’histoire nous emporte brusquement dans l’espace et vers… un tout autre film beaucoup plus classique celui-là, où les bonnes idées se font rares et les surprises brillent par leur absence.
Retour donc aux fondamentaux habituels avec une histoire qui s’enlise un peu dans des péripéties très conventionnelles ponctuéés de ressorts de comédie bien trop prévisibles pour être vraiment drôles. Le tout est soupoudré d’une vague fable écolo-redemptrice simpliste et très à la mode à défaut d’être convaincante. Même l'esthétique reste très classique et sans grande imagination. On n’échappera pas non plus au concept récurrent selon lequel l’autorité légitime ne commet des erreurs qu’en étant trompé par un sbire ou un subalterne. Pour une histoire qui se voudrait impertinente, on pouvait espérer mieux que ce vieux refrain conservateur usé jusqu’à la corde.

Malgré tout cela, le film reste bien au-dessus de l’avalanche de productions concurrentes par la qualité de ses images et la louable intention de faire un peu plus original que la moyenne, même si ça ne semble pas ici avoir été assumé jusqu’au bout. Ce qui fonctionnait à merveille avec les superbes et toniques Nemo, Monstres & Cie, Les Indestructibles devient ici un peu faible en regard de l'ambition affichée.
Devant autant de savoir faire et de talent, on se plaît à rêver d’une production Pixar plus mature et audacieuse qui prendrait pour une fois le risque de ne pas être à tout prix si fédératrice et mignonne.

dimanche 10 août 2008

Je suis une Légende

Si le choix du réalisateur de l'estimable et dépressif Constantine était une idée judicieuse pour porter à l'écran cette troisième version du roman apocalyptique de Richard Matheson, la présence de Will Smith dans le rôle-titre pouvait inspirer bien des appréhensions après une filmo très frime où l'acteur y fait essentiellement la promotion de lui-même et éventuellement de quelques sponsors. I, Robots était le parfait exemple d'un possible bon film d'anticipation totalement pilonné par la star qui n'en finissait plus de s'autocélébrer.

Heureusement, on évite ici le pire malgré l'incontournable séance de gym où Mr Smith nous gratifie à nouveau de son physique avantageux, ou un petit numéro "comique" autour du film Shrek. Mais heureusement l'essentiel est préservé : Will Smith incarne son Robert Neville avec une grande conviction et un vrai souci d'humanité en introduisant des moments de faiblesse, voire de folie qui rendent le personnage vivant, crédible et souvent émouvant. Performance d'autant plus remarquable que l'acteur est présent dans toutes les scènes et le plus souvent seul.

La première heure du film nous montre le quotidien du dernier survivant d'une humanité décimée trois ans plus tôt par un redoutable virus génétiquement modifié afin d'en faire un remède au cancer et contre lequel le héros est mystérieusement immunisé. Le prologue et quelques habiles flashbacks permettent de situer rapidement l'action tout en ponctuant de respirations opportunes un film par nature très linéaire. On y apprend notamment que Robert Neville est aussi un soldat et un scientifique qui travaillait sur le virus au moment de la catastrophe. Certes, le cumul avec le fait d'être immunisé défie toutes probabilités mais la pilule passe malgré tout grâce au talent du réalisateur, même si le laboratoire situé dans la cave du héros semble un peu trop simple par rapport au niveau de recherches effectuées.

Le second personnage du film est le décor lui-même, un étonnant et spectaculaire New York abandonné, grignoté inexorablement par la nature, parcouru d'animaux sauvages et baignant dans une atmosphère presque tropicale où seul le bruissement de millions d'insectes perturbe un silence qui règne désormais en maître dans la cité fantôme. Du moins le jour.
Car lorsque la nuit tombe, Robert Neville doit se barricader pour échapper aux hordes d'infectés fous et cannibales qui hantent les immeubles durant la journée afin d'échapper à la lumière qui leur est fatale.
L'idée selon laquelle on peut être tout à la fois désespérément seul et assiégé par une multitude de créatures invisibles et meurtrières est terrifiante. Une atmosphère pesante parfaitement rendue par une réalisation fluide et très soignée qui alterne les scènes spectaculaires, intimistes et même effrayantes comme durant la cauchemardesque première confrontation avec les infectés. A noter la très bonne utilisation ponctuelle de la caméra à l'épaule, non pas sous forme de gimmick ostentatoire mais bien pour optimiser l'intention du réalisateur à un moment précis.
Une première partie qui réussi donc pleinement cette nouvelle lecture du roman culte de Richard Matheson.

On regrettera cependant l'apparence des infectés et leur traitement entièrement numérique qui nuit beaucoup à leur crédibilité, une erreur que le réalisateur avait déjà commise dans Constantine. Assez mal conçus par Patrick Tatopoulos, ils sont aussi mal réalisés techniquement au point de cumuler tous les défauts de ce type d'effet : aspect "chewing gum", manque d'inertie, mouvements artificiels flirtant parfois avec le comique involontaire. On y voit une volonté de se démarquer des excellents 28 jours plus tard ou l'Armée des Morts qui exploraient le même thème, mais il était possible de le faire de façon beaucoup plus intéressante en suivant simplement l'idée développée par Richard Matheson lui-même.

En effet, là où les zombies/infectés sont généralement réduits à l'état de créatures hystériques décervelées bouffant leurs victimes, le roman décrivait la naissance d'une communication entre le héros immunisé et une population mutante qui prenait conscience d'elle-même et de sa place dans ce nouveau monde. Or Francis Lawrence et ses auteurs ont choisi d'éliminer cet aspect pour se contenter d'une énième version de la horde de monstres sautant sur tout ce qui bouge. Une véritable occasion gâchée et un manque d'ambition d'autant plus regrettable que ce qui a été imaginé en remplacement durant la dernière demi-heure tient du sabotage pur et simple. Il ne s'agit pas là de faire l'inventaire assez vain des ressemblances/trahisons par rapport au roman, mais bien de déplorer que ladite "trahison" ait pris cette tournure-ci en catalysant bon nombre des travers les plus pesants et prévisibles du cinéma hollywoodien.

::spoiler on::

Le sauvetage totalement invraisemblable du héros suicidaire par une super mère de famille immunisée et son jeune garçon altérait déjà le climat installé précédemment. Mais lorsque ce nouveau personnage donne lieu à d'insupportables dialogues mystiques sur le thème du "plan divin", on a envie de hurler. On flirte là avec de fumeuses et nauséabondes théories qui ne sont pas sans en rappeler d'autres, bien réelles celles-là, au moment de l'apparition du SIDA. Bêtise crasse, idéologie répugnante ou simple mauvais goût, le résultat est là.
Bien sûr, le héros ose malgré tout contester cette approche en proférant même un "il n'y a aucun dieu" qui lui sera évidemment fatal. Car le cinéma populaire américain déroge rarement au principe selon lequel un personnage qui ne croit plus ou pas le paiera très cher ou changera d'avis. Le final désastreux parvient à cumuler les deux aspects pour son héros, comme s'il fallait trouver une raison acceptable pour le faire mourir.

::spoiler off::

Jetons un voile pudique sur un épilogue dans le même esprit qui anéantit presque tout le concept jusqu'à rendre le titre inadapté, un comble. Notons au passage que cette fin louche également vers un autre roman traitant d’un thème identique, Le Fléau de Stephen King.

On retiendra donc de cette nouvelle version inégale une première heure (presque à la seconde près !) forte, passionnante et très bien construite par un Francis Lawrence doué qui sait ménager ses effets grâce à une mise en scène riche et énergique sans être tape à l’œil, soutenu par un Will Smith qui peut être excellent lorsqu’il fait l’effort d’oublier qui il est. D'autant que l'on frémit en pensant à ce qu'aurait pu être le film avec Arnold Schwarzenegger longtemps pressenti dans le rôle principal ou Michael Bay derrière la caméra, même si on lui doit l'arrivée de Will Smith sur le projet.