Jean Baptiste Grenouille naît sur un marché visqueux du Paris de 1744. Laissé pour mort, il est miraculeusement ramené à la vie puis recueilli par un orphelinat pouilleux où il développe un odorat extraordinaire qui le propulsera vers une prodigieuse odyssée meurtrière.
Personnage solitaire au caractère proche de l’autisme, Grenouille nous promène dans la France du XVIIIe siècle, celui des Lumières mais aussi de la misère, où partout règne la barbarie ordinaire. À l’image de son époque, l'orphelin incarne ce mélange d’extrême raffinement et de brutalité sauvage : hypersensible à la plus infime essence au point d’être capable de créer des parfums étourdissants, il n’hésite pas à devenir une effroyable machine à tuer en poursuivant une obsession folle et dévorante : conserver le parfum corporel de jeunes femmes afin de créer l’essence ultime, un concentré de désir, de pureté et de séduction…
Patrick Süskind refusa 15 ans durant toute adaptation de son roman - un best-seller international. Seul Stanley Kubrick trouvait grâce à ses yeux, mais le cinéaste jugea l’œuvre inadaptable. C’est finalement en Allemagne que le projet est mis en chantier par le producteur Bernd Eichinger, ami de l’auteur. En effet, malgré un casting essentiellement anglo-saxon et un tournage en anglais, il s’agit d’une coproduction allemande, française et espagnole qui, par ses allures de superproduction ambitieuse et ses thèmes inhabituels, rappelle un autre film conçu dans les mêmes conditions : Alexandre d’Oliver Stone. On y retrouve, malgré les apparences de faste hollywoodien, ce sentiment diffus mais puissant que jamais un tel spectacle n’aurait pu voir le jour de l’autre côté de l’Atlantique.
À la fois film historique flamboyant, thriller glauque et conte fantastique, le film de Tom Tykwer illustre avec talent l'univers délirant créé par le romancier. Empreinte de classicisme mais aussi de modernité par le biais d’effets bien dosés, la réalisation offre un spectacle de belle tenue, séduisant mais sans édulcorer les aspects les plus audacieux du sujet.
En premier lieu desquels figure Jean-Baptiste Grenouille lui-même, fascinant antihéros navigant entre le jeune homme hypersensible et le sociopathe le plus bestial. Tel un Victor Frankenstein aux allures de croquant, un Hannibal Lecter des bas-fonds, son obsession le consume tout entier et l’empêche d’éprouver la moindre empathie pour ses bienfaiteurs ou de rancœur pour ses tortionnaires. Rien n’a d’importance hormis le but qu’il veut atteindre, aussi fou soit-il.
À l’image du film, le jeune Ben Whishaw est impressionnant d’ambiguïté dans ce rôle ingrat et difficile de psycho killer avant l’heure. Avec peu de dialogue, il parvient par sa présence à rendre crédible ce personnage d’apparence fragile, presque gracieux et mu par une implacable obsession morbide. Face à lui Dustin Hoffman compose un truculent Pygmalion, parfumeur sur le retour bien vite dépassé par son élève. Mais c’est Alan Rickman qui hérite du rôle le plus riche, le plus touchant aussi : celui d’un grand bourgeois épris de raison, fou d’amour pour sa fille - joliment incarnée par la lumineuse Rachel Hurd-Wood - qui aura le malheur d’être l’objet de tous les désirs de l’impitoyable Grenouille...
Sombre, envoûtant, débarrassé de ces archétypes moraux et narratifs qui se soucient avant tout de rentabilité, Le Parfum va donc jusqu’au bout de lui-même, mélange les genres, émerveille parfois, dérange aussi, pour aboutir à quelque chose de rare, jusque dans ses excès.
1 commentaires:
Il a ses défauts mais c'est un bon souvenir de cinéma :) De toute façon, il n'était pas facile d'adapter un tel bouquin. Il s'en sort plutôt bien !
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