Dans le registre de la rupture de style, Darren Aronofsky fait très fort : lui qui était coutumier d’effets appuyés flirtant avec un maniérisme clippé, voilà que c’est sur le mode naturaliste qu’il fait un retour triomphant. Naturaliste à plus d’un titre puisqu’il joue sciemment de la confusion entre la vie de l’acteur principal et le personnage qu’il incarne : est-ce l’histoire de Randy le Bélier, catcheur sur le retour, ou bien celle de Mickey Rourke, acteur-boxeur en perdition dont il est question ? Les deux assurément, n’évitant pas un certain embarras face à ce film dans le film qui fait immanquablement penser à ces émissions de télé dites "réalité" où une poignée de has been vendent, en toute connaissance de cause, leur déchéance physique et professionnelle à un public friand de divertissements frelatés.
Seulement voilà, là où la télévision n’accouche que de programmes minables, Darren Aronofsky fait œuvre de création pour offrir un film d’une intensité poignante, profondément humaniste et digne. Mieux : le talent et la puissance de son acteur principal le hissent à l’exact opposé d’un spectacle cynique ou morbide : il rappelle à tous que Mickey Rourke est un acteur magnifique, habité, capable de tous les excès, de toutes les nuances aussi. Tandis que son alter ego de fiction nous donne à voir combien les forçats de l’entertainment que sont les catcheurs sont infiniment plus respectables que le public de bourrins qui les consomment comme des bêtes de foire, qui jouissent sans complexes de voir des hommes, souvent issus de milieux pauvres, se consumer comme exutoire de leur bestialité frustrée.
Alors finalement peu importent l’histoire forcement prévisible, la vieille soupe mélo vaguement saupoudrée d’idéologie reborn qu’ heureusement Aronofsky a le bon goût de tempérer in extrémis : The Wrestler est un beau film à la fois simple, épuré, souvent émouvant de la part d’un cinéaste inspiré qui tient à nous montrer l’envers du décor d’un rêve américain définitivement moisi. Comme pour nous rappeler que, dans cette société du "marche ou crève", looser est avant tout une manière culpabilisante de qualifier un laissé-pour-compte.
5 commentaires:
Coïncidence, j'ai découvert ce film il y a quelques jours, et en pense tout le bien que tu décris avec une plume toujours aussi élégante : Mickey Rourke est énorme, sûrement plus que le film, "épuré" comme tu dis. J'ai bien aimé le parallèle entre le quotidien de la strip-teaseuse et le catcheur, embrassant tous deux le spectacle dont ils sont l'attraction. Bien beau texte !
Un des meilleurs longs-métrages de 2009, et un réalisateur dont le talent ne se dément pas film après film...
Un très beau film en effet, surprenant de la part d'un réalisateur plutôt habitué aux effets visuels. Ceci dit, la place du corps est au coeur de tous ses films : mutations, addictions, maladies. Ce n'est pas étonnant que l'histoire ce catcheur l'ait intéressé, surtout quand on voit comment il filme les combats et ce que s'infligent les catcheurs.
Je l'ai revu samedi et c'est vraiment un film superbe. :)
Vu aussi ce week-end, une vraie rupture dan sle registre par rapport aux trois opus précédents ce qui pour moi dénote d'un réel talent (j'étais déjà convaincu), une vraie largeur de gamme. Bref, on ne peut que s'attacher aux protagonistes et tirer son chapeau au plus bas sur l'écran noir final.
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