mercredi 16 mars 2011

The Social Network

C'est l'histoire d'un jeune type qui développe un truc cool et globalement inutile - c'est un utilisateur assidu qui l'écrit - en exploitant l'idée d'un autre avec l'argent d'un pote. Il le fait parce qu'il s'est pris un vent par sa copine de classe. Depuis, le truc en question est censé avoir révolutionné le monde ou à peu près. D'ailleurs ça vaut des milliards, ou plutôt c'est "évalué" à des milliards. Sa valeur étant déterminée par celle que lui accordent ses acheteurs potentiels, il n'y a aucune limite : 10, 50, 100 milliards $ ? En tout cas assez pour que chacun tienne à récupérer une part de ce gâteau aux allures de coquille vide : Facebook.

Après le tueur vintage de son enfance dans Zodiac et la fresque fantastico-mélodramatique de L'Etrange Cas de Benjamin Button, c'est donc à un sujet assez quelconque que décide de s'attaquer David Fincher : un biopic doublé d'une success-story comme Hollywood les aime. Avec tout de même une singularité de taille puisque l'aventure se poursuit plus que jamais aujourd'hui : Facebook fut créé en 2004, ouvert à tous en 2006, le livre de Ben Mezrich a été écrit en 2009 et le film dont il est tiré est sorti en 2010 en pleine Facebookmania. En somme du cinéma en temps - presque - réel, en parfaite adéquation avec son sujet, le web. Un film bien dans son époque également par le type de personnage qu'il décrit : un milliardaire post-ado, fruits de la génération startup où un jeune informaticien rusé peut se rêver nabab en quelques mois pour peu que des investisseurs voient en lui "l'Avenir".

David Fincher nous avait habitué à des sujets plus tordus, ou tout au moins plus intrigants. Mais la diversité est souvent la marque des cinéastes talentueux. Et c'est bien de talent dont il s'agit ici, car c'est avec une maîtrise rare que le cinéaste parvient à offrir un film brillant... à défaut d'être passionnant. Si, c'est possible !

S'il est bien question d'une success-story, on n'est pas exactement sur le registre Rocky Balboa. Nous avons affaire à une poignée de jeunes gens issus de l'Amérique la plus gâtée, des étudiants fortunés dans le cadre cosy de la prestigieuse université d'Harvard. C'est peu dire que côté "revanche" et "adversité", on navigue dans le relatif. Difficile de vibrer pour des personnages qui ne risquent absolument rien, si ce n'est réussir un peu moins que prévu. Aucun d'eux n'étant par ailleurs sympathique ou charismatique, l'identification ne pouvait décidément pas être un moteur déterminant du film.

Côté péripéties, on a connu plus échevelé : outre des préoccupations techniques parfois absconses échangées autour d'un clavier d'ordinateur, les ressorts de l'intrigue relèvent de la déception sentimentale de collégien, de trahisons standards ultra prévisibles, de conflits d'intérêts et d'affrontements feutrés par avocats interposés. Tout cela est en mode mineur et fleure bon le déjà vu sur petit ou grand écran. Et comme Facebook (le vrai) a obtenu modifications et coupes avant la sortie du film, il n'est pas facile d'envisager le tout comme un document.

Flairant donc les nombreuses faiblesses du projet, Fincher redouble d'intelligence pour livrer par contre-coup son film le plus dense, le plus sec et peut-être le plus efficace. Grâce à l'écriture nerveuse d'Aaron Sorkin, ses dialogues percutants, des jeunes comédiens tous excellents, un découpage stupéfiant, une image splendide toute fincherienne qui rehausse un décor fade ou corporate, le cinéaste évite les pièges tout en épurant habilement son style. Ce qui ne l'empêche pas de se lâcher ponctuellement avec quelques effets de manche jouissifs qui nous rappellent qu'il s'agit bien d'une œuvre de cinéma et pas d'un docudrama trendy : le plan d'ouverture, la courte séquence d'aviron ou les jumeaux "numériques".

Malgré les apparences, The Social Network est résolument un manifeste contre cette vieille idée convenue de la réalité dépassant la fiction. La réussite du film est liée essentiellement à la manière dont le sujet est transformé, interprété, sublimé par son (ses) auteur(s), sans jamais tomber ni dans l'hagiographie ou l'idéologie bêlante du winner, ni dans le pathos du "pauvre garçon trop riche". Sous la forme d'un documentaire factuel ou confié à un réalisateur sans saveur, The Social Network serait prodigieusement ennuyeux : le spectacle de la médiocrité ordinaire sous le lustre des milliards virtuels et de la réussite éclair 100% geek. David Fincher, lui, en profite pour nous offrir une saisissante leçon de cinéma. Exploit.

4 commentaires:

Mo5kau a dit…

D'accord avec ta critique. Pas facile de tirer un bon film d'un sujet pareil. Non seulement Fincher y parvient, mais se permet de réaliser un TRES bon film...

RobbyMovies a dit…

C'est une drôle d'impression tout de même, j'ai peu d'autres exemples qui me viennent à l'esprit.

Erik a dit…

Comme toi Robby, peu d'exemples. Ça n'est même pas un mauvais scénario et une bonne réal. Un sujet pas très passionnant sublimé par le regard, le métier d'un artiste. FAudrait que je regarde Zodiac, quand même. Button, je n'ai pas tenu au-delà de l'1h30.

RobbyMovies a dit…

Benjamin Button est long, très long, jusqu'au bout haha. Je ne m'explique toujours pas cette durée compte tenu du propos.