mercredi 22 octobre 2008

Gods and Monsters

Traduit stupidement par "Ni Dieux Ni Démons" (!) et inédit en salle par chez nous malgré une avalanche de récompenses internationales dont l’Oscar du meilleur scénario adapté en 1999, ce magnifique film de Bill Condon évoque les derniers jours de James Whale, réalisateur du célébrissime Frankenstein de 1931 avec Boris Karloff et de sa suite La Fiancée de Frankenstein auquel le titre original fait référence*.

Tiré du livre de Christopher Bram "Le Père de Frankenstein" et coproduit par Clive Barker, l’intrigue s’appuie sur le mystère qui entoure la mort du réalisateur en 1957 : gravement malade, il fut retrouvé inanimé dans sa piscine à Hollywood sans que l’on sache s’il s’agissait d’un suicide, d’un accident ou d’un meurtre. Comme il s’adonnait à la peinture depuis qu’il avait quitté le cinéma en 1949, une grande quantité de reproductions et de nus fut retrouvée dans sa villa après sa disparition. Le film s’attache à rassembler ces éléments en imaginant la relation ambiguë qui s’établit entre le peintre et son dernier modèle : son jardinier.

James Whale définit La Fiancée de Frankenstein comme "un film sur la mort" et "une comédie qui respectait ceux qui ne savaient pas". Bill Condon s’approprie l’idée pour réaliser un film limpide, lumineux dans la forme, souvent amusant, se déroulant sous le climat idyllique de Los Angeles, là où l’on pouvait redouter une emphase révérencieuse louchant vers le gothique. Teintée de nostalgie mais sans jamais tomber dans le travers d’une œuvre trop référencée ne s’adressant qu’au cinéphile averti, Gods and Monsters est avant tout un film sur le temps qui passe, l’amitié, la mémoire. Fortement diminué à la suite d’une attaque cardiaque, Whale est victime de troubles cérébraux qui font resurgir les épisodes les plus marquants de sa vie. Comme Clay Boone, ce jeune jardinier qu'il tente de séduire, le spectateur fait peu à peu connaissance avec Jimmy Whale, gamin anglais pauvre, brisé comme tant d’autres par la boucherie de la première guerre mondiale mais doté d’un formidable appétit de vivre. Successivement ouvrier dès 14 ans, soldat puis comédien pendant sa captivité en Allemagne, décorateur, directeur artistique, metteur en scène de théâtre et enfin de cinéma, Whale se raconte et nous laisse entrevoir au passage l’envers du décor de son œuvre maîtresse : Frankenstein.

Irrité par le culte voué aux deux films auxquels il préfère L’Homme Invisible et Show Boat, mais sachant très bien jouer de cette notoriété pour obtenir ce qu’il désire, Whale manipule son entourage avec gourmandise. Sa très pieuse gouvernante hongroise Hannah tout d’abord, éternelle compagne réprobatrice témoin de ses frasques, son ex compagnon le producteur David Lewis, mais aussi les journalistes venant l’interviewer et finalement ce jeune jardinier un peu bas du front dont il s’entiche et qui comme lui porte de profondes blessures intimes. Si l’homosexualité du cinéaste est bien sûr indissociable de l’histoire du film comme elle l’était de sa propre vie, elle ne constitue pas ici le propos principal. Toute l’intelligence des auteurs est justement d’en faire un élément ordinaire parmi d’autres. D’ailleurs Boone ne partage aucunement les goûts de Whale dont les desseins se révéleront ne pas être tout à fait ceux que l’on pouvait imaginer…

Il fallait le talent et le charisme de l’immense comédien Ian McKellen pour donner au personnage de Jimmy Whale toute l’ambiguïté, le charme du vieux dandy lucide et caustique, jusqu’à la fin en quête d’une liberté absolue. Trouvant là sans doute l’un de ses plus grands rôles au cinéma, l’acteur est bouleversant, drôle, malicieux, cassant aussi. A noter l’implication de McKellen l’activiste qui avait conscience de la portée sociale du film, Whale refusant comme lui de vivre sa sexualité dans le placard.
Face à lui Brendan Fraser montre qu’il vaut nettement mieux que les pantalonnades dans lesquelles il semble se spécialiser. Il est ici étonnant de justesse et de vulnérabilité sous son physique de colosse, pendant glamour et plein de santé du Monstre interprété jadis par Boris Karloff. La ressemblance n’est évidemment pas un hasard puisque tout le film s’attache à tisser des liens entre passé et présent, reliant ainsi les désirs et les blessures du cinéaste à son oeuvre. Gods and Monsters trouve toute sa force et son originalité dans cette façon souvent onirique de mettre en image la vie d’un homme grâce à des évocations surgissant tels des rêves ou des hallucinations. L’une des plus poignantes est celle où, dans les décors stylisés de Frankenstein, Boone figurant le Monstre conduit Whale par la main vers une tranchée jonchée de cadavres de soldats.
Le film s’achève sur une scène extraordinairement touchante qui serait en partie une idée de Brendan Fraser. Elle clôt de manière fort poétique une œuvre magistrale, sensible, tout en finesse. Sans doute l’un des plus beaux hommages au cinéma jamais réalisé. Indispensable.


* "To a new world of Gods and Monsters !" est le toast porté par le Dr Prétorius lors de la création de la Fiancée de Frankenstein.

13 commentaires:

Anonyme a dit…

voilà qui donne sacrément envie ! :)

RobbyMovies a dit…

Hello !
Oui c'est un très très beau film malheureusement mal connu. Même sa distribution dvd est calamiteuse en zone2 grrr...
Robby

Anonyme a dit…

Bonsoir Robby, cela fait partie des mystères des NON-sorties de films. Problèmes de droits, de volonté, que sais-je et pourtant Ian McKellen, ce n'est pas n'importe qui. Le sujet est intéressant. Je l'avais entre-aperçu sur Canal+. Bonne soirée.

Baccawine a dit…

Bonjour Robby. Tout ce qui touche de près ou de loin à l'oeuvre de M. Shelley m'intéresse. Surtout, cet article est très complet et enrichissant. Merci pour ce tuyau car je ne connaissais pas ce film. Amicalement.

RobbyMovies a dit…

Bonjour Baccawine,
Merci ! J'espère que cette petite contribution aidera a faire découvrir un peu mieux ce film qui le mérite. Robby
PS : tu devrais peut-être utiliser l'adresse de ton blog pour signer tes commentaires ;o)

>Dasola : je crois qu'il est passé aussi une ou deux fois sur Arte. Mais probablement pas en VO. Robby

Anonyme a dit…

Bonjour Robby,

Voilà donc la chronique de ce fameux film !

Si tu avais déjà bien attisé ma curiosité en évoquant ce film sur mon blog, tu m'as désormais totalement donné envie de me procurer ce film (c'est dire si ta chronique est efficace !).

Je pense le commander très rapidement (je l'ai vu à 15€ sur le site d'alapage.fr, avec le titre original en plus !).

Amicalement,

Shin.

RobbyMovies a dit…

re-bonjour Shin,
Ah ça me fait très plaisir venant de ta part ! Oui j'avoue, j'aime beaucoup ce film et si je peux aider à le faire connaitre davantage je serais ravi. J'ai hâte de connaitre ton avis. A bientôt. Robby

Anonyme a dit…

Bonsoir Robby,

En fait, le DVD est "quasiment" acheté. Il faut juste que j'achète un ou deux autres DVD en même temps étant donné que les frais de port ne sont gratuits chez alapage.fr qu'à partir de 25 € d'achat... Crevard un jour, crevard toujours comme dirait un ami à moi !

Amicalement,

Shin.

PS: J'suis con, j'aurai pas dû m'acheter "Delivrance" et "The Monster Squad" la semaine dernière...

RobbyMovies a dit…

Héhé je fais pareil sur CDiscount , je groupe. Robby.

Anonyme a dit…

Un grand film. Oui, oui, j'insiste.

Anonyme a dit…

Bonjour Robby,

Finalement, j'ai craqué et je me suis acheté le film ! ^__^

Je viendrai te dire ce que j'en ai pensé bien sûr...

Au fait, te voilà tagué ! C'est par ici : http://shin.over-blog.org/article-24456110.html

Amicalement,

Shin.

RobbyMovies a dit…

Bonjour Shin,

Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris le concept du tag mais je suis sûr que c'est sympa, donc merci ! Je file sur ton site pour comprendre héhé...
A bientôt.
Robby

Anonyme a dit…

Un film très touchant, avec le "grandissime" McKellen. Merci de nous l'avoir fait partager...