dimanche 6 septembre 2009

L'Oeuvre de Dieu, La Part du Diable

Et hop encore un titre français qui décoiffe ! Mais cette fois les distributeurs ont une excuse puisqu'il s'agit de l’adaptation d’un best seller de John Irving dont la traduction date de 1986. Il faut reconnaître que ça sonne bien, même si les intentions de l’auteur s’en trouvent considérablement altérées pour ne pas dire détournées. Difficile à traduire tel quel, The Cider House Rules est pourtant le cœur du propos de Irving qui entend démontrer que des lois arbitraires imposées par des gens non concernés sont faites pour être transgressées. Un propos qui va à l’encontre de la plate connotation religieuse et moralisante de la version française.

Sixième roman de l’écrivain et troisième adaptation à l’écran après Le Monde Selon Garp et Hôtel New Hampshire, L’Oeuvre de Dieu, la Part du Diable est né de la volonté indéfectible de John Irving qui cette fois écrivit le scénario, obtint un droit de regard sur le casting, le choix du réalisateur et même le montage final. Longtemps différé pour des raisons de productions ou de réalisateurs défaillants, c’est presque treize ans après son adaptation écrite que le film de Lasse Hallström vit enfin le jour.

Roman préféré de l’auteur, on pouvait redouter un traitement par trop révérencieux ou littéraire qui oublierait que le cinéma obéit à ses propres règles. Mais Irving parvint à dépasser brillamment cet obstacle en offrant une remarquable adaptation de son œuvre et qui fut à juste titre récompensée par un Oscar. Sans jamais trahir ni affadir le propos, le film présente une version précise et fidèle, tout en densifiant considérablement le dernier tiers d’un roman qui s’étiolait.

L’essentiel est là : au travers de l’itinéraire initiatique d’un jeune homme élevé dans un orphelinat de la côte Est des Etats-Unis durant les années 30 et 40, le film aborde quelques thèmes rares dans un cinéma américain populaire si souvent coupable de pusillanimité face à la morale religieuse qui mine le pays. Toute la force du film de Haalström est ainsi de proposer une réflexion sur des sujets tels que l’avortement, l’inceste et plus largement la transgression, et ce sous une forme luxueuse et romanesque aisément accessible. D’un point de vue "pédagogique", la démarche est bien plus efficace qu’un film ouvertement militant s’adressant à un public conquis d’avance.

Lasse Hallström déploie donc tout son talent et son savoir-faire pour offrir une œuvre à la fois ample et profondément intimiste. En adoptant un style flamboyant frisant l'académisme mais toujours d’une très grande beauté formelle, le cinéaste parvient fort bien à illustrer l’univers foisonnant de John Irving où mélodrame, comédie, situations extraordinaires et simple quotidien se côtoient avec bonheur. Sans oublier l’immense tendresse de l’auteur pour tous ses personnages, même les plus ambigus.

Dans le rôle d’Homer Wells l’orphelin introverti découvrant le monde, Tobey Maguire est impressionnant de justesse à chaque instant tandis que Michael Caine incarne un bouleversant Dr Larch plus vrai que nature. Son rôle de père adoptif, mentor et professeur à la fois généreux et égoïste, pudique et sentimental lui vaudra au passage son second Oscar. À leurs côtés, Charlize Theron compose un personnage crédible et vivant tandis que Delroy Lindo et Erykah Badu sont excellents dans des rôles plus discrets mais décisifs. À noter également un stupéfiant casting d’enfants, que les personnages soient muets ou non. On retrouve, là plus qu’ailleurs, toute la finesse et la sensibilité du réalisateur de Gilbert Grape.

Sans être évidemment un brûlot subversif, L’Oeuvre de Dieu, La Part du Diable se révèle résolument plus audacieux et subtil que la moyenne des "films à Oscars". En somme, un beau et grand mélodrame magnifiquement réalisé qui charme et émeut tout en affirmant avec finesse un positionnement moral et social courageux. Pas mal non ?

3 commentaires:

Erik Wietzel a dit…

Superbe chronique qui non seulement donne envie de voir le film mais promet de l'apprécier en se sentant plus intelligent :-)

(John Irving fait partie des auteurs qui m'ont donné l'impulsion d'écrire. Toutefois, je n'ai jamais terminé ce roman pour des raisons qui m'échappent aujourd'hui. Mais, promis, je le lirai)

RobbyMovies a dit…

Merci Erik, ça me fait très plaisir car je connais ton admiration pour Irving :)

En fait je peux très bien comprendre qu'on puisse avoir du mal à finir le roman qui, s'il est formidable sur la première moitié, devient interminable durant la seconde. Je me rappelle clairement avoir eu beaucoup de mal à le terminer, alors que j'avais dévoré Garp et Hotel New Hampshire...

Intelligent je ne sais pas, mais ce qui frappe c'est à quel point certains thèmes sont presque totalement absents d'un certain cinéma américain. Que ce film-ci se hisse jusqu'aux Oscars en affichant les opinions prochoix de Irving m'étonne encore...

Jérôme a dit…

quel plaisir de lire une chronique sur ce film qui est mon roman préféré de mon auteur préféré. C'est pour moi le livre parfait: sensible, intelligent, avec des personnages que seuls Irving sait construire au fil des pages (Mélanie...).

C'est donc dire si je redoutais cette adaptation (surtout après un Hôtel New Hampshire un peu fade et un monde selon Garp un peu trop gagesque). Eh bien je n'ai pas été (trop) déçu, comme tu l'écris si bien le réalisateur déploie de la tendresse à filmer le livre et cela m'a suffit pour ne pas me sentir trahi.